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mercredi 8 janvier 2014

Le mal être des enfants en 2014...


Aujourd’hui, on ne compte plus les rapports alarmants quant à l’attitude des enfants à l’école.

Impossibilité de se concentrer, problème de mémorisation, irritabilité extrême, arrogance, refus d’obéissance, immaturité, insatisfaction, ennui, et même comportements dépressifs, sont des lieux communs attribués aux élèves français tout au long de leurs parcours scolaires depuis la maternelle jusqu’au lycée.



On dresse parallèlement le constat d’une baisse de niveau flagrante des élèves. Cela suscite inexorablement les moqueries de certains qui avancent que cette baisse a été dénoncée par toutes les générations depuis l’Antiquité.

Une classe d’âge parvenue à majorité intellectuelle aurait visiblement toujours du mal à voir d’où elle est partie et ce qu’elle a été et se sentirait donc inévitablement en décalage par rapport à celle qui lui succède. Peut-être est-ce simplement inné d’être particulièrement préoccupé, et donc en état d'alerte permanent, sur ce sujet. Après tout, la transmission du savoir d’une génération à la suivante n’est-elle pas ce qui distingue principalement les hommes des animaux ?

Comment expliquer les problèmes de comportements des petits français à l’école ? Les méthodes pédagogiques sont régulièrement mises en cause : on les juge souvent trop laxistes. On n’exigerait plus rien des enfants, tant à la maison, qu'à l'école. Il n’y a plus de devoirs à faire à la maison à l’école primaire, par exemple. Autre exemple, on ne pratique plus d’exercices répétitifs, jugés ennuyeux,  pour ancrer les connaissances de bases, grammaticales ou mathématiques. Les enfants n'auraient donc plus aucun repère. Ils ne pourraient plus se confronter, par la suite, aux difficultés de l'existence. D'où leurs problèmes existentiels et comportementaux.
Mais d’où viendrait cette extrême attention que l'on porte à l'enfant, cette préoccupation visiblement négative pour sa construction? On cite alors l’influence de Rousseau…
 

Voici un extrait tiré du plus célèbre traité d’éducation français : Emile ou de l’éducation de J.J. Rousseau publié pour la première fois en 1762.
 

« La lecture est le fléau de l'enfance, et presque la seule occupation qu'on sait lui donner. À peine à douze ans Émile saura-t-il ce que c'est qu'un livre. Mais il faut bien au moins, dira-t-on, qu'il sache lire. J'en conviens: il faut qu'il sache lire quand la lecture lui est utile; jusqu'alors elle n'est bonne qu'à l'ennuyer. (…)

Si l'on ne doit rien exiger des enfants par obéissance, il s'ensuit qu'ils ne peuvent rien apprendre dont ils ne sentent l'avantage actuel et présent, soit d'agrément, soit d'utilité; autrement quel motif les porterait à apprendre? L'art de parler aux absents et de les entendre, l'art de leur communiquer au loin nos sentiments, nos volontés, nos désirs, est un art dont l'utilité peut être rendue sensible à tous les âges. Par quel prodige cet art si utile et si agréable est-il devenu un tourment pour l'enfance? Parce qu'on la contraint de s'y appliquer malgré elle, et qu'on le met à des usages auxquels elle ne comprend rien. Un enfant n'est pas fort curieux de perfectionner l'instrument avec lequel on le tourmente; mais faites que cet instrument serve à ses plaisirs, et bientôt il s'y appliquera malgré vous.

L'intérêt présent, voilà le grand mobile, le seul qui mène sûrement et loin. Émile reçoit quelquefois de son père, de sa mère, de ses parents, de ses amis, des billets d'invitation pour un dîner, pour une promenade, pour une partie sur l'eau, pour voir quelque fête publique. Ces billets sont courts, clairs, nets, bien écrits. Il faut trouver quelqu'un qui les lui lise; ce quelqu'un, ou ne se trouve pas toujours à point donné, ou rend à l'enfant le peu de complaisance que l'enfant eut pour lui la veille. Ainsi l'occasion, le moment se passe. On lui dit enfin le billet, mais il n'est plus temps. Ah! si l'on eût su lire soi-même! On en reçoit d'autres: ils sont si courts! Le sujet en est si intéressant! on voudrait essayer de les déchiffrer; on trouve tantôt de l'aide et tantôt des refus. On s'évertue, on déchiffre enfin la moitié du billet: il s'agit d'aller demain manger de la crème... on ne sait où ni avec qui... Combien on fait d'effort pour lire le reste! »

Rousseau, Emile ou de l’éducation, 1762.


Rousseau passe pour être le premier à vraiment mettre en évidence le bien-être de l’enfant et l’attention dont il doit faire l’objet de la part des adultes. Accordons-lui sur ce point tout le crédit qu’il mérite.

Les préceptes éducatifs avancés ici par Rousseau paraissent tout à fait louables.

Ils semblent privilégier avant tout autre chose la personnalité de l’enfant : «si l’on ne doit rien exiger des enfants par obéissance… ». Il faut respecter leur rythme : « A peine à douze ans Emile saura-t-il ce que c’est qu’un livre ».

Avec l’exemple de l’apprentissage de la lecture, Rousseau expose ici une vision utilitaire et plaisante de l’éducation : « L’intérêt présent, voilà le grand mobile, le seul qui mène sûrement et loin 

Il faut que la lecture, présentée ici comme une torture pour l’enfant (« fléau », « tourment », « instrument », « contraint »), présente donc un intérêt et/ou un plaisir pour l’enfant : « un avantage actuel et présent, soit d’agrément, soit d’utilité ».

Cette théorie est mise en pratique par l’idée des billets, des petits mots, que l’on adresse à l’enfant et qui l’incitent à découvrir par lui-même la lecture et à faire tous les efforts nécessaires pour déchiffrer.


L’influence de Rousseau.

On retrouve, à travers ce petit extrait tiré du célèbre traité d’éducation, le regard que nous portons de nos jours sur l’enfant et quelques principes du système éducatif que nous leur appliquons.

Ainsi, cette volonté de voir l’enfant être l’initiateur de son propre savoir prend sans doute origine dans la lecture de L’Emile dans lequel on trouve : « J’appelle plutôt gouverneur que précepteur, le maître de cette science, parce qu’il s’agit moins pour lui d’instruire que de conduire. Il ne doit point donner de préceptes, il doit les faire trouver ».

Ainsi cette volonté de faire de l’école un lieu purement dédié à l’utilité où, par extension, au bout du parcours le « débouché » professionnel rémunérateur est le Graal. Le but de l’école pour bon nombre d’élèves, lorsqu’on leur pose spontanément la question, est d’apprendre un métier. Beaucoup de parents et d’élus s’interrogent dans le même ordre d’idée sur la pertinence d’aborder certaines œuvres littéraires. Les enfants relaient ces interrogations par des jugements péremptoires : « ça ne me servira à rien plus tard ».

Ainsi la volonté, en prolongeant l’utilitarisme, d’abaisser encore l’âge pour l’orientation vers les filières professionnelles, afin de permettre à l’enfant d’entrer le plus tôt possible dans le domaine du concret alors qu’il n’est pas entré tout à fait encore dans l’adolescence.

Ainsi cette volonté de ne pas ennuyer l’enfant à l’école par des exercices rébarbatifs, répétitifs. L’enfant doit prendre du plaisir en apprenant et se rendre en classe sans appréhension sinon il ne fera aucun effort. Il faut lui donner le goût de l’apprentissage par des « activités » la plupart du temps en groupe.
 

Rousseau aurait-il été mal lu ? Est-il applicable ?

Commençons déjà par rappeler que l’enfant dont parle Rousseau est un enfant imaginaire, un concept : tout ne repose dans cet ouvrage que sur des hypothèses. Si les principes apparaissent comme louables, ne serait-ce pas justement parce qu’il s’agit d’une théorie, d’une hypothèse ?

Rousseau est très clair dans les premières lignes de son essai. Son traité s’applique à un petit enfant de la noblesse : « Le pauvre n’a pas besoin d’éducation ».

Il est confié dès sa naissance à un précepteur. Ce dernier doit être jeune pour qu’il puisse devenir un compagnon partageant tout avec son disciple. Il le suivra jusqu’à son âge adulte, ses vingt cinq ans. On mesure la différence entre ce petit Emile et les rapports qu’il entretient avec son gouverneur et ceux que peut entretenir un élève d’aujourd’hui avec ses maîtres, instituteurs, professeurs au milieu d’une classe de 35 camarades tout au long de trois trimestres tronçonnés par des périodes de 15 jours de vacances.

Chez Rousseau, les parents sont retirés de l’équation, ce qui simplifie, pour le gouverneur, considérablement les choses. Il n’y a ainsi plus qu’un seul discours, qu’un seul modèle : pas de risque de confusion d’autorité.

Emile vit et grandit dans une monarchie absolue. Il sera un sujet du roi de France et n’aura donc pas un rôle de citoyen. Appartenant à la noblesse, il ne travaillera pas mais « s’occupera » avec les activités de son rang comme la chasse par exemple. Si le gouverneur lui apprend un métier, celui de menuisier, ce n’est pas parce qu’Emile y est contraint par sa condition et pour gagner sa vie, c’est pour mieux enseigner le métier et les devoirs de l’homme. Point de responsabilité civique, point de responsabilité professionnelle et économique pour Emile. On mesure que les déterminations sociales et politiques ont bien changé depuis l’époque de Rousseau.

Le plus grave concernant l’Emile de Rousseau reste un contresens majeur : Rousseau serait le partisan de la liberté totale pour les enfants. Laisser tout faire aux enfants et se soumettre à tous leurs caprices.

L’éducation selon Rousseau n’a qu’un but : former un homme libre capable d’affronter les aléas de l’existence.

Pour le philosophe, il n’existe qu’un moyen pour y parvenir : respecter la liberté de l’enfant. Cependant, Rousseau fait bien la distinction entre les besoins naturels de l’enfant (la liberté est le premier de ces besoins) et la satisfaction de ses désirs. Ceux qui satisfont tous les désirs de l’enfant, le rendent esclaves de ces mêmes désirs.

Dans le Contrat Social, Rousseau écrit : « L’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». Finalement, Emile aborde ce principe politique sur le plan de l’éducation. La vraie liberté est celle qui consiste à n’être soumis qu’aux lois de la nature.

Rousseau écrit dans l’Emile : «  Votre enfant ne doit rien obtenir parce qu’il le demande, mais parce qu’il en a besoin, ni rien faire par obéissance, mais seulement par nécessité. Ainsi les mots d’obéir et de commander seront proscrits de son dictionnaire, encore plus ceux de devoir et d’obligation ; mais ceux de force, de nécessité, d’impuissance et de contrainte y doivent tenir une grande place ».

C’est donc beaucoup plus subtil qu’il n’y parait et quant on lit l’Emile, on se rend compte que l’éducation avancée par le gouverneur est quelque peu, … rude…

Finalement… 

La finalité du projet éducatif de Rousseau, former un homme libre capable de se défendre contre toutes les contraintes de la vie, correspond bien, encore, à la finalité de notre projet éducatif (espérons-le).

Le problème ne réside-t-il donc pas dans le fait d’avoir voulu appliquer des méthodes relevant de la théorie, n’ayant jamais été vérifiées, et dans des conditions d’application pratiques sans aucun rapport avec celles d’origine, et dans un univers socialement et politiquement différent ?




c'était mieux avant

3 commentaires:

  1. Juste une question ou deux. Pourquoi est-ce en France que les enfants sont les plus malheureux à l'école ? quel est le secret des Finlandais et autres Suédois etc ?
    Pourquoi l'école devient laxiste et la vie en entreprise devient de plus en plus exigeante et épuisante (j'ai des collègues qui font des "burn out" !!! le truc à la mode... si tu ne fais pas ton burn out ça veut dire que tu ne t'investis pas à fond dans ton boulot... j'exagère mais presque pas).
    Pourquoi plus personne ne vit de ses rentes en chassant ? :) bon ça c'est pour rire... mais presque pas. Pourquoi ce tourbillon permanent de la planète : fric, compétition, échanges...
    Pourquoi tout le monde doit se définir en tant qu'être humain uniquement par rapport à sa profession (si elle est prestigieuse ou pas), ou alors ça c'est Français... et c'est ça qui rend les élèves malheureux (à l'avance)...
    En Suisse, l'apprentissage et le métier manuel sont nobles, pourquoi ici c'est la "voie des loosers".

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    1. Merci pour vos questions!

      Est-ce en France que les enfants sont les plus malheureux à l'école? Eh bien nous n'en savons rien. Comparaison n'est pas raison dit l'adage populaire.

      Les Finlandais et les Suédois sont-ils plus heureux? Vaste question encore. Il est clair que l'herbe parait toujours plus verte ailleurs mais les situations sont propres à chaque pays. L'histoire, la structure sociale, familiale ne sont pas les mêmes d'une frontière à l'autre. Rappelons que nous voulions, il y a peu, appliquer le rythme scolaire des Allemands quand, dans le même temps, eux, voulaient l'abandonner pour copier notre modèle... donc...

      Peut-être faut-il se dire qu'il n'y a pas de modèle parfait. L'idéal réside sans doute dans une adaptation perpétuelle des institutions à la réalité. Depuis une ou deux générations on se rend compte que la société évolue très vite à cause de l'histoire, de nouvelles technologies, de courants migratoires... Il y a eu très certainement un manque d'initiatives face à tous ces bouleversements. Les enfants des années 1970 et même 1980 n'ont pas grandi dans la même société que ceux des années 1990 et 2000. Est-ce que l'école est vraiment si différente pour autant?

      Avant 1968 approximativement, on peut dire que l'école ET les parents étaient "sévères" vis à vis de l'enfant. Puis, alors que les parents restaient plutôt stricts (car ayant été élevés et éduqués "à la rude"), le système scolaire, lui, est devenu plus souple vis à vis de l'enfant. Un décalage s'est donc créé entre l'école et la famille. Les parents attendant de l'école qu'elle permette à l'enfant de se construire, d'assumer son existence et ses responsabilités par la rigueur. L'école s'efforçant de ne plus ennuyer les enfants, de leur faire aimer l'école, la rigueur n'était plus le maître mot. Nous assistons maintenant à un rapprochement naturel (par la démographie) entre les parents et l'institution scolaire vers la souplesse, ce que certains appellent laxisme.

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    2. Suite...

      "Burn Out"? Est-ce l'école qui ne prépare plus aux exigences du monde de l'entreprise? Est-ce
      le monde de l'entreprise qui est devenu beaucoup plus dur? Est-ce les deux?

      "Le tourbillon planétaire"? Et si c'était l'école qui n'assumait plus son rôle originel justement? A privilégier sans cesse les chiffres, la technique, la rentabilité, les sciences exactes, les débouchés, bref, l'utilité, l'école s'éloigne de ce que l'on nommait les "Humanités"... Le mot école vient d'un mot grec qui signifie "LOISIRS". Etymologiquement, l'école devrait être le lieu de l'inutile... et donc de ce qui est fondamental pour la nature humaine. Les enfants, très tôt, assimilent l'école à l'apprentissage d'un métier. Ce n'est pas son rôle. De là, un regard sur le monde de plus en plus en froid, calculateur et utilitaire. Les managers d'aujourd'hui n'ont pas eu pour matière principale, la philosophie, l'histoire, la littérature, la poésie... d'où ce monde de la compétition permanente, de la course au profit, sans beaucoup de convictions éthiques, morales,... C'est une hypothèse...

      Voilà pourquoi sans doute aussi, tout le monde se définit, comme vous le dîtes, par son travail. Parce qu'il y est conditionné dès son plus jeune par les exigences de la société actuelle et que l'école n'est plus le moyen justement d'échapper à ce déterminisme.

      La Suisse et son "amour" des métiers manuels? Encore une fois il faut se garder de comparer des pays aux structures sociales très différentes... Quoiqu'il en soit, il faut s'interroger sur la formation intellectuelle donnée aux enfants avant leur orientation vers "l'apprentissage". Exercer un métier manuel ne signifie pas ne pas être un homme accompli, un citoyen responsable, intellectuellement indépendant, propre à mener sa vie de façon raisonnable et honnête. Tout est une question d'éducation... "humaine". Il faudrait observer les programmes suisses et les parcours des élèves en ce beau pays.

      Bien à vous. En espérant avoir ici d'autres remarques pertinentes de votre part!!

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