Google+ Article deux: décembre 2013

vendredi 20 décembre 2013

Barbusse, Barrès et le Bac de français...



Deux textes.


Deux évocations littéraires des combats des tranchées lors de la Première guerre mondiale.


Un moyen d’observer la nécessité des cours de littérature au collège et au lycée. Les mots, la grammaire, les figures de rhétorique ont un pouvoir. Le style d’un auteur, loin d’être seulement un ornement, un choix artistique, est également le moyen de renforcer ses intentions. Le but d’un exercice comme le commentaire composé au baccalauréat est d’étudier en quoi le style renforce parfois les intentions d’un auteur.


Tous les textes n’ont pas pour seule finalité la beauté. Savoir déceler les procédés d’écriture, les analyser, identifier les contextes d’écriture, déterminer les parcours des auteurs, sont des moyen de se préparer au métier de citoyen. C’est une démarche à suivre au quotidien lorsque que l’on lit la presse, lorsque l’on écoute les discours de nos élus ou de ceux et celles qui aspirent à l’être… ou lorsque l'on est soumis à la publicité et aux réseaux sociaux...  






Tout d’abord, Lisons les deux extraits.


Texte 1.


Brusquement, devant nous, sur toute la largeur de la descente, de sombres flammes s'élancent en frappant l'air de détonations épouvantables. En ligne, de gauche à droite, des fusants sortent du ciel, des explosifs sortent de la terre. C'est un effroyable rideau qui nous sépare du monde, nous sépare du passé et de l'avenir. On s'arrête, plantés au sol, stupéfiés par la nuée soudaine qui tonne de toutes parts ; puis un effort simultané soulève notre masse et la rejette en avant, très vite. On trébuche, on se retient les uns aux autres, dans de grands flots de fumée. On voit, avec de stridents fracas et des cyclones de terre pulvérisée, vers le fond où nous nous précipitons pêle-mêle, s'ouvrir des cratères, ça et là, à côté les uns des autres, les uns dans les autres. Puis on ne sait plus où tombent les décharges. Des rafales se déchaînent si monstrueusement retentissantes qu'on se sent annihilé par le seul bruit de ces averses de tonnerre, de ces grandes étoiles de débris qui se forment en l'air.


On voit, on sent passer près de sa tête des éclats avec leur cri de fer rouge dans l'eau. À un coup, je lâche mon fusil, tellement le souffle d'une explosion m'a brûlé les mains. Je le ramasse en chancelant et repars tête baissée dans la tempête à lueurs fauves, dans la pluie écrasante des laves, cinglé par des jets de poussier et de suie.


Les stridences des éclats qui passent vous font mal aux oreilles, vous frappent sur la nuque, vous traversent les tempes, et on ne peut retenir un cri lorsqu'on les subit.


On a le cœur soulevé, tordu par l'odeur soufrée. Les souffles de la mort nous poussent, nous soulèvent, nous balancent. On bondit ; on ne sait pas où on marche. Les yeux clignent, s'aveuglent et pleurent. Devant nous, la vue est obstruée par une avalanche fulgurante, qui tient toute la place. C'est le barrage. Il faut passer dans ce tourbillon de flammes et ces horribles nuées verticales. On passe. On est passé, au hasard : j'ai vu, ça et là, des formes tournoyer, s'enlever et se coucher, éclairées d'un brusque reflet d'au-delà. J'ai entrevu des faces étranges qui poussaient des espèces de cris, qu'on apercevait sans les entendre dans l'anéantissement du vacarme. Un brasier avec d'immenses et furieuses masses rouges et noires tombait autour de moi, creusant la terre, sortant de dessous mes pieds, et me jetant de côté comme un jouet rebondissant. Je me rappelle avoir enjambé un cadavre qui brûlait, tout noir, avec une nappe de sang vermeil qui grésillait sur lui, et je me souviens aussi que les pans de la capote qui se déplaçait près de moi avaient pris feu et laissaient un sillon de fumée. À notre droite, tout au long du boyau 97, on a le regard attiré et ébloui par une file d'illuminations affreuses, serrées l'une contre l'autre comme des hommes.


- En avant !


Maintenant, on court presque. On en voit qui tombent tout d'une pièce, la face en avant, d'autres qui échouent humblement, comme s'ils s'asseyaient par terre. On fait de brusques écarts pour éviter les morts allongés, sages et raides, ou bien cabrés, et aussi, pièges plus dangereux, les blessés qui se débattent et qui s'accrochent.


Le Boyau International!


On y est. Les fils de fer ont été déterrés avec leurs longues racines en vrille, jetés ailleurs et enroulés, balayés, poussés en vastes monceaux par le canon. Entre ces grands buissons de fer humides de pluie, la terre est ouverte, libre. [...]


- En avant ! crie un soldat quelconque.


Alors tous reprennent en avant, avec une hâte croissante, la course à l'abîme. [...]


Une nuée de balles gicle autour de moi, multipliant les arrêts subis, les chutes retardées, révoltées, gesticulantes, les plongeons faits d'un bloc avec tout le fardeau du corps, les cris, les exclamations sourdes, rageuses, désespérées ou bien les " han ! " terribles et creux où la vie entière s'exhale d'un coup. Et nous qui ne sommes pas encore atteints, nous regardons en avant, nous marchons, nous courons, parmi les jeux de la mort qui frappe au hasard dans toute notre chair.


Henri BARBUSSE, Le Feu, Journal d'une escouade, 1916,




Texte 2.


« Debout les morts »


Je me retourne vers les cadavres étendus. Je pense : « Alors, leur sacrifice va être inutile ? Ce sera en vain qu’ils seront tombés ? Et les Boches vont revenir ? Et ils nous voleront nos morts ?... ». La colère me saisit. De mes gestes, de mes paroles exactes, je n’ai plus souvenance. Je sais seulement que j’ai crié à peu près ceci : « Holà ! Qu’est-ce que vous foutez par terre ? Levez-vous, debout ! et allons foutre ces cochons-là dehors ! »


Debout les morts !... Coup de folie ? Non. Car les morts me répondirent. Ils me dirent : »Nous te suivons. » Et se levant à mon appel, leurs âmes se mêlèrent à mon âme et en firent une masse de feu, un large fleuve de métal en fusion. Rien ne pouvait plus m’étonner, m’arrêter. J’avais la foi qui soulève les montagnes. Ma voix, éraillée et usée à crier des ordres pendant ces deux jours et cette nuit, m’était revenue, claire et forte.


Ce qui s’est passé alors ? Comme je ne veux vous raconter que ce dont je me souviens, en laissant à l’écart ce que l’on m’a rapporté par la suite, je dois sincèrement avouer que je ne le sais pas, il y a un trou dans mes souvenirs, l’action a mangé la mémoire. J’ai simplement l’idée vague d’une offensive désordonnée. Nous sommes deux, trois, quatre ou plus contre une multitude, mais cela nous est orgueil et réconfort. Un des hommes de ma section, blessé au bras, continuait de lancer sur l’ennemi des grenades tachées de son sang. Pour moi, j’ai l’impression d’avoir eu un corps grandi et grossi démesurément, un corps de géant, avec une vigueur surabondante, illimitée, une aisance extraordinaire de pensée qui me permettait d’avoir l’œil de dix côtés à la fois, de crier un ordre à l’un tout en donnant à un autre un ordre par geste, de tirer un coup de fusil et de me garer en même temps d’une grenade menaçante. Prodigieuse intensité de vie, avec des circonstances extraordinaires. Par deux fois les grenades nous manquent, et par deux fois nous en découvrons à nos pieds des sacs pleins, mêlés aux sacs à terre. Toute la journée, nous étions passés dessus sans les voir. Mais c’étaient les morts qui les avaient mis là ?...


Maurice Barrès, « Debout les morts » 17 novembre 1915,


dans Chroniques de la grande guerre, 1920-1924.




Ensuite, lisons, les notions biographiques des deux auteurs et les contextes d’écriture.


Henri Barbusse (1873-1935) s’engage volontairement à quarante et un ans en 1914. Blessé, il rédige son ouvrage, Le Feu, Journal d’une escouade, à l’hôpital de Chartres en 1916. Il y relate son expérience de soldat en Artois et en Champagne. Il est le premier à révéler l’enfer des tranchées : la vie quotidienne dans la boue, avec les rats, les poux ; les bombardements d'artillerie, les attaques à la baïonnette dans la présence obsédante de la mort. Au chapitre 20, c'est l'assaut; il faut essuyer un violent tir de barrage d'artillerie avant de parvenir à la tranchée ennemie.


Maurice Barrès (1862-1923) est un écrivain nationaliste ayant affirmé la culpabilité de Dreyfus. Rêvant d’une revanche sur l’Allemagne, après la défaite de 1870, il est l’un des grands partisans de la guerre de 1914. Dans les quatorze tomes de Chroniques de la grande guerre, Barrès a regroupé ses chroniques journalistiques qu’il rédigea pendant la première guerre mondiale. Trop vieux pour faire la guerre, il participait à sa façon en tentant de soutenir le moral des troupes et des civils par ses écrits.




Enfin, observons les analyses possibles des deux extraits.



Plan possible de commentaire composé pour le texte de Barbusse.
 - procédés → Analyse
=> Interprétation.



Axe de lecture n°1
Axe de lecture n°2
Axe de lecture n°3
L’apocalypse
Le soldat, un combattant ?
La mort inévitable
A. Le monde des enfers
- métaphore « descente » → profondeur. Monde souterrain.
- adjectifs qualificatifs d’une vision d’horreur→ amplification de l’atmosphère infernale
- Substantifs (« au-delà »)… et adverbe(« monstrueusement ») → Peur, terreur du lecteur.
=> Univers de destruction. Rôle inutile de l’homme
A. Deshumanisation des soldats
- prédominance du pronom personnel indéfini « on » → groupe indistinct.
- Fin de l’extrait « nous » → groupe plus petit : les survivants. Opposition aux morts et aux blessés.
- occurrence du « je » associé au regard. → souvenir du narrateur ;témoignage. Aucune action de bravoure. Témoin de la mort des autres
- désignation des soldats, « formes » ; « faces », »tout d’une pièce » métonymie « capote » → retire humanité
=> souligne le peu de valeur de la vie humaine.
A. Omniprésence du danger
- champ lexical des armes → origines multiples de la mort « canons » ; « explosifs », « balles », « éclats » ; « fusants ».
- CC de lieu → provenance multiples du danger. Toutes les directions.
- comparaison « blessés » à des « pièges » → aucune solidarité possible. Camarades assimilés à la mort.
« vous » présence du destinataire pour évoquer la souffrance→ implication du lecteur. Susciter sa compassion.
=> . Aucune issue. Fatalité du soldat.
B. Déchaînements de la nature
- métaphore filée : assimilation des canons aux catastrophes naturelles (« cyclone » ; « cratères » ; « lave » ; « tourbillon » ;« flots »; « tonnerre » ;« tempête » → puissance des armes
- Champ lexical des éléments Terre, eau, feu, air → Nature déchaînée dangereuse.
=> Barrage assimilé à une Lutte vaine des soldats contre les éléments.
B. Soumission aux événements
- Champ lexical de la vue → aucune aide : aveuglement du soldat.
- Champ lexical du bruit associé à la souffrance→ aucun repère.
- Soldat en position de COD → subit les actions exprimées par les verbes, « nous poussent » « nous balancent ».
- Champ lexical de la vitesse → aucune compréhension des événements.
=> Aucune action possible. mise en valeur de la force des tirs d’artillerie.
B. La course vers la mort
- Verbes de déplacement et champ lexical de la profondeur → voyage vers la mort.
- métaphore de la tombe « terre ouverte » ; « cratère » ; « trou ».→ champ de bataille est assimilé à un charnier. « morts allongés, sages, raides ou bien cabrés ».
- « abîme » pour tranchée → symbolise la mort.
=> Assaut vers la tranchée ennemie n’est qu’une course à la mort.
C. Absence de combat.
- une seule mention du mot soldat → retire la qualité, le rôle de l’homme sur le champ de bataille.
- pas usage des armes, lâche son arme → pas d’action. Soldat n’accomplit pas sa tâche.
- Verbes de déplacement uniquement pour les actions des soldats → guerrier ne peut que se déplacer.
=> pas d’héroïsation du soldat.
C. Le hasard
- « au hasard » répétées à deux reprises → souligne la soumission du soldat aux événements.
- Champ lexical du jeu→ rôle désuet du soldat « jouet rebondissant ».
Métaphore « jeux de la mort » pour les armes ennemies. → souligne le caractère cynique de la guerre moderne. Soldat est un pantin.
=> champ de bataille est un terrain de jeu macabre. Soldats sont des pions inutiles pour l’issue de la partie. Chair à canons.
C. Destin inévitable
- litote « nous qui ne sommes pas encore atteints » → renforce les faibles chances de s’en sortir indemne.
- « en avant » répétés 5 fois → aucun moyen de reculer
- citation ligne 4-5 anaphore. « nous sépare du monde, nous sépare du passé, de l’avenir ». → transformation durable de l’homme par cette expérience.
=> isolement total du soldat. Traumatisme éternel du soldat.






Plan possible de commentaire composé pour le texte de Barrès
- procédés → Analyse
=> Interprétation.


Axe de lecture n°1
Axe de lecture n°2
Axe de lecture n°3
Une Illusion de témoignage
Un combat irréel
L’apologie du sacrifice
A. Un soldat narrateur
-Première personne sing →illusion d’un narrateur ayant vécu les faits.
-Langage familier et discours direct → illusion du réel. Un soldat parle
-présent énonciation / temps du récit. → retour sur les faits. Impression de témoignage
- marque du destinataire « vous » → rapprochement narrateur et lecteur : illusion de réel encore une fois
=>volonté d’emporter l’adhésion du lecteur par l’illusion d’un témoignage véridique
A. De l’épique…
- Adjectifs mélioratifs→ mise en valeur de l’héroïsme
- Champ lexical combat, des armes → mise en valeur de la dextérité du soldat.
- Première personne du pluriel → du Je au nous : union des soldats. Mise en valeur de la solidarité au combat.
- petit nombre soldat / Multitude des ennemis.→ combat ultime. Renforce la bravoure.
-énumération, multiples actions simultanées → enchainement des actions du soldat. Héros.
=> susciter l’admiration du lecteur
A. Le rôle des morts
- appel du vivant aux morts.→ Union de tous les soldats
-réponse des morts. Italique.→ mise en valeur de l’élément fantastique. Soutien moral
- munitions aux vivants. Deux fois → soutien concret et répété
- fusion des âmes morts/ vivants → grandeur de la cause.
-« foi », « Levez-vous » allusion mystique. Religion. → Magnifier le combat. Caution religieuse.
=> Mort n’est pas inutile. Soutien aux civils. Minimiser le traumatisme des chiffres de pertes.
B. Au cœur de l’action
- Présent de narration → récit vivant.
- Passé simple → mise en valeur d’un moment du passé. Action de premier plan
- Rythme rapide → Vivacité du soldat. Mettre en valeur les actes rapides et multiples
- verbes d’action → montrer la capacité de réaction et de décision du soldat narrateur.
=> impressionner le lecteur par un récit vif, haletant, d’un combat.
B … au fantastique
- Champ lexical Doute → intrusion d’un fait inexplicable
- phrases interrogatives → renforce les doutes et l’inexplicable
-« coup de folie ? » « non » assurance du soldat en opposition avec le doute  →  caractéristique traditionnel d'un fait fantastique. Intervention direct des tués au combat.
- transformation physique du soldat → mélange des âmes. Fusion du monde spirituel et du monde réel.
=> donner l’impression d’une victoire inéluctable. Vers la Propagande.
B. Le don de soi
- Emotion vive (« colère ») dépasse la raison → ne plus réfléchir pour la cause.
- Oubli et Champ lexical mémoire → Absence de réflexion. Action spontanée.
- « sacrifice » → mourir pour la France est glorifié.
- « grenades tachées de sang » → image : donner son sang.
- phrase nominale → mise en valeur des circonstances et des conséquences.
- Transformation physique → homme nouveau. Rendu plus fort par la présence des morts.
=> Magnifier la Défense de la patrie. La passion dépasse la raison.






Donnez

mardi 10 décembre 2013

Information / Intimité / réseaux sociaux

Vite fait...

Information est un pouvoir. Intimité est une garantie démocratique.

1- Les réseaux sociaux et l'information.

Facebook devient vecteur d'informations. Or, l'information est un pouvoir. La démocratie suppose de plus en plus, en effet, le contrôle de l'opinion. Contrôler l'information, c'est s'imposer, justifier ses décisions. Pendant une guerre, les belligérants se donnent un mal fou pour contrôler l'opinion via l'information. Facebook s'arrange désormais, par ses algorithmes, pour montrer aux gens les informations qu'elle veut bien leur montrer.

C'est un risque. Démocratique.

On peut très bien ne pas vouloir le comprendre.


2- Les réseaux sociaux et le respect de la vie privée. 

Là aussi c'est un enjeu démocratique. Contrôler la population est le propre des régimes totalitaires. Facebook, Google, les liseuses connectées, entre de mauvaises mains sont le moyen, les outils, pour surveiller les opposants et les contraindre si besoin.

L'intimité, le secret, la solitude, c'est fondamental. Les régimes de dictateurs favorisent toujours la communauté, les associations, les regroupements. Cela permet l'auto surveillance.

La solitude, l'intimité, c'est la garantie d'une part de liberté.

Où est cette part si quelqu'un peut savoir ce que vous lisez, où, quand, à quelle vitesse?

La solitude, l'intimité, c'est le moment de la réflexion. De la remise en question. De la contestation naissante.


3- L'utilisation des réseaux sociaux.

Outils à utiliser à bon escient? Le peut-on? Peut-on être discret? Sans pouvoir être secret?

Oui, selon tous les supports et toutes les applications... or, en refusant toutes les politiques de confidentialité, les smartphones sont inutilisables.

Apple, Androïd, Microsoft, réduisent la notion de liberté à celle du choix. Or la liberté dépend avant tout de la limite, de la loi, des règles. Et les réseaux sociaux semblent au dessus des lois. Ils refusent d'être transparents. On donne l'illusion d'un outil démocratique, participatif, alors que c'est un outil de surveillance ultime auquel les gens se soumettent volontairement...



trois grands frères pour le prix d'un


dimanche 8 décembre 2013

A l'occasion de la mort de Mandela.


On a l’impression que certains hommes ne sont pas dans l’Histoire mais sont l’Histoire. Ces hommes sont rares et symbolisent une génération, un mouvement, une cause, une nation. Pour rester en notre beau pays, on dit de la langue française qu’elle est celle de Molière ; des Lumières qu’elles ont pour figure emblématique Voltaire ; du Second Empire que sa légende noire est toute entière symbolisée par Hugo ; de la Résistance française qu’elle est fondée par De Gaulle,…


Tous les pays du monde ont leurs figures historiques : Lincoln, Churchill, Gandhi… Pour en venir à celui qui suscite la raison d’être de ce billet, on dit de Mandela qu’il est le père de l’Afrique du Sud.

La disparition de tels hommes est généralement un moment d’union nationale, de communion dans le recueillement et suscite une émotion vive amplement relayée, de nos jours, par les forces médiatiques.

Leur aura dépasse les frontières et les souvenirs de leur talent, de leurs engagements semblent impérissables. On les honore régulièrement. On fête les anniversaires de leurs naissances, de leurs morts. On fait de beaux discours. On les visite.

Les qualités du « grand homme »

Comment expliquer cette qualité de « grand homme » ? Qu’est ce qui les caractérise vraiment ? Qu’est ce qui leur donne cette qualification à laquelle tous les pays vouent un culte ?

Tous ces hommes ont la particularité d’abord d’avoir subi de vives oppositions au cours de leurs existences. Politiques, culturelles, artistiques, militaires, raciales, tous ont connu l’adversité ; et tous en ont subi des conséquences : censure, exil, condamnation, prison, torture… Les pires dictateurs (toujours) comme les plus humbles dirigeants démocratiques (souvent) cherchent à s’ériger en figure d’opposition, jusqu’à pousser à celle du martyr : cela montre à quel point ils savent que nous affectionnons ceux qui résistent, qui luttent. Une pensée commune serait donc que c’est l’adversité qui forge un homme.

Mais plus important encore, c’est leur incapacité au renoncement qui, peut-être, impressionne les masses. Nous affectionnons ceux qui restent fidèles, jusqu’au bout, à leurs principes. Leur force de conviction, leur caractère inébranlable, même dans le plus profond isolement, sont leurs piliers d’airain. Ils refusent de soumettre leurs idées, ou plutôt leurs idéaux. Ils mettent en accord leur existence avec leurs principes. Ils pourraient tous avoir déclamé ce célèbre vers de Victor Hugo : « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui là ».

Le culte de la personne

Leur image est sans faille. Les discours à leurs égards sont unanimes. Ils étaient parfois des modèles de leur vivant et semblent se voir attribuer cette qualité pour l’éternité dès lors qu’ils disparaissent.

Il faut pourtant ne pas tomber dans la sacralisation, dans la déification, d'un homme. Il faut aussi à ce niveau faire preuve de modération. Les journalistes doivent ainsi échapper à l’émotion et ne pas simplement relayer l’image que beaucoup ont du « grand homme » qui vient de mourir. Les historiens échappent à la tentation hagiographique et font preuve de plus d’objectivité mais toujours plus tard,  trop tard, par rapport à la force des médias.

Le culte de la personnalité est toujours montré comme une volonté effroyable des pires dictateurs, des pires régimes totalitaires et  les hommes de bien n’ont pas besoin de cela pour apparaître « grands ». Si les « mauvais » veulent toujours apparaître infaillibles, c’est justement parce qu’ils veulent se placer au dessus de la condition humaine pour mieux imposer leur pouvoir. Tout homme porte sa part d’ombre. Chaque médaille a son revers. Dire d’un homme qu’il a œuvré pour le bien et lui en rendre hommage est noble et nécessaire. Il n’en apparaîtra pas moins grand parce que l’on est objectif et que l’on rappelle d’éventuels manquements par exemple, publics bien entendu, aussi infimes soient-ils.

Insister sur leur caractère proprement humain les rend plus grands encore. Ne point trop les glorifier, les rapprocher du commun des mortels, cette volonté de ne pas les déifier rend leurs actions plus susceptibles d’être imitées. Ils sont « des grands » mais sont avant tout « des hommes ». 
Avec l'objectivité, toute mauvaise foi est prise de court, tout rejet stérile de principe est mis à mal. C'est même le moyen de débattre, d’expliquer les manquements, les zones d'ombre, au lieu de les laisser se répandre et devenir des contre-vérités.

Ainsi, on reproche ici ou là de ne pas rappeler que Mandela portait une amitié visiblement sincère et marquée à Yasser Arafat. Ainsi, certains seront tentés de dénaturer la pensée du grand homme en le disant antisioniste pour ne pas dire antisémite. La réalité est sans aucun doute beaucoup plus compliquée que cela, du moins plus nuancée. Et si Mandela était tel, il ne faudrait pas le taire.
N'oublions pas également qu'ils sont rarement totalement seuls, ces grands hommes. La mort de Mandela aurait pu être aussi le moment de rappeler le destin tragique de Steven Biko. Nous avons trop rarement entendu le nom de celui qui n'est pas sorti vivant de sa geôle sud-africaine.
C'est en dissimulant, en magnifiant, que l'on crée le doute, que l'on attise la suspicion sur des figures qui peut-être ne le méritent pas.  

A quoi bon ?

Pour conclure cette modeste réflexion, notons qu’il est toujours « amusant » d’observer avec quelle ferveur on rend hommage à ces « grands hommes », avec quelle émotion on loue leurs paroles et leurs actes. S’ils sont dignes des plus belles louanges et des plus grands honneurs, pourquoi ne pas s’inspirer de leurs valeurs pour conduire nos actions ? C’est bien beau de se réclamer d’une noble personne mais encore faut-il que cela puisse se voir en actes : ce n’est pas chose impossible pour chacun d’entre nous, à notre modeste place.

Du côté de nos représentants, ce n’est plus de possibilité dont il doit être question mais plutôt de devoir. Car il faut bien être cohérent après tout. A quoi bon encenser par les mots les comportements vertueux ou courageux des « grands » si ce n’est que pour mieux les bafouer dans les faits.

Plutôt que les belles cérémonies, les belles commémorations, les beaux transferts de cendres, ne serait-ce pas meilleur hommage à la mémoire des « grands hommes » que de voir nos leaders suivre leurs exemples, leurs honorables préceptes ?

Dans le cas contraire, rendre les honneurs aux « grands hommes » n’est pour nos officiels qu’un prétexte à la parade dans la plus grande hypocrisie.

Après tout, même le dirigeant de la Corée du Nord a rendu hommage à Nelson Mandela.




un "grand homme" sur son cheval


vendredi 6 décembre 2013

Voltaire: Quatre extraits

Dix minutes avec François-Marie Arouet, de son nom de plume Voltaire, figure emblématique du Siècle des Lumières.  Nous proposons ici quatre extraits de son œuvre immense de polygraphe. Tout d'abord, un passage de son conte philosophique le plus célèbre, Candide, dans lequel l'homme des Lumières aborde la question de l'esclavage. Puis, une marque de l'engagement de Voltaire dans les affaires de son temps avec un passage de son Traité sur la Tolérance. Ensuite, un extrait de son Dictionnaire Philosophique dans lequel il aborde un thème qui lui est cher celui de la religion. Enfin, un pamphlet intitulé De l'Horrible danger de la lecture qui illustre parfaitement le style du philosophe: la vivacité et bien entendu l'ironie.  


 *******
Candide est un jeune homme naïf, qui, chassé du château dans lequel il vivait, découvre la réalité du monde. Il n’avait eu jusque là que les leçons de son précepteur, Pangloss, répétant sans cesse que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible », pour se faire une image de l’existence humaine. Candide, après bien des aventures, se retrouve en Amérique du Sud.


 En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite.

"-Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ?

- J'attends mon maître, monsieur Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.

- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ?

 - Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère." Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible.

- Ô Pangloss ! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination ; c'en est fait, il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme.

- Qu'est-ce qu'optimisme ? disait Cacambo.

- Hélas ! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal."

Et il versait des larmes en regardant son nègre, et, en pleurant, il entra dans le Surinam.
  

Voltaire, Candide, « le nègre du Surinam », 1759,


*******


 Le 10 mars 1762, Jean Calas, commerçant protestant, injustement accusé d’avoir tué son fils parce que ce dernier souhaitait se convertir au catholicisme, est exécuté sur la place publique, à Toulouse. Voltaire, qui est alors reconnu par toute l’Europe comme le plus grand écrivain de son temps, est révolté. Conduit par les lumières de la raison et l’amour de la vérité, il s’engage pour obtenir sa réhabilitation et « arrêter chez les hommes la rage du fanatisme ». C’est le début de l’affaire Calas. En 1763, Le philosophe publie un Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas. La réhabilitation de Jean Calas est proclamée à l’unanimité des juges le 9 mars 1765.


Plaidoyer pour une réhabilitation

Il paraissait impossible que Jean Calas, vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuis longtemps les jambes enflées et faibles, eût seul étranglé et pendu un fils âgé de vingt-huit ans, qui était d'une force au-dessus de l'ordinaire; il fallait absolument qu'il eût été assisté dans cette exécution par sa femme, par son fils Pierre Calas, par Lavaysse1, et par la servante. Ils ne s'étaient pas quittés un seul moment le soir de cette fatale aventure. Mais cette supposition était encore aussi absurde que l'autre: car comment une servante zélée catholique aurait-elle pu souffrir que des huguenots assassinassent un jeune homme élevé par elle pour le punir d'aimer la religion de cette servante? Comment Lavaysse serait-il venu exprès de Bordeaux pour étrangler son ami dont il ignorait la conversion prétendue? Comment une mère tendre aurait-elle mis les mains sur son fils? Comment tous ensemble auraient-ils pu étrangler un jeune homme aussi robuste qu'eux tous, sans un combat long et violent, sans des cris affreux qui auraient appelé tout le voisinage, sans des coups réitérés, sans des meurtrissures, sans des habits déchirés.

Il était évident que, si le parricide avait pu être commis, tous les accusés étaient également coupables, parce qu'ils ne s'étaient pas quittés d'un moment; il était évident qu'ils ne l'étaient pas; il était évident que le père seul ne pouvait l'être; et cependant l'arrêt condamna ce père seul à expirer sur la roue.

Le motif de l'arrêt était aussi inconcevable que tout le reste. Les juges qui étaient décidés pour le supplice de Jean Calas persuadèrent aux autres que ce vieillard faible ne pourrait résister aux tourments, et qu'il avouerait sous les coups des bourreaux son crime et celui de ses complices. Ils furent confondus, quand ce vieillard, en mourant sur la roue, prit Dieu à témoin de son innocence, et le conjura de pardonner à ses juges.


Voltaire, Traité sur la Tolérance, 1763

1-       Ami de la Famille.

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FANATISME


Le fanatisme est à la superstition ce que le transport1 est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique […].

Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. […]

Il y a des fanatiques de sang-froid : ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n’ont pas d’autre crime que de ne pas penser comme eux ; et ces juges-là sont d’autant plus coupables, d’autant plus dignes de l’exécration du genre humain que, n’étant pas dans un accès de fureur, comme les Clément, les Châtel, les Ravaillac, les Gérard, les Damiens2, il semble qu’ils pourraient écouter la raison. […]

Il n’y a d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal ; car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir, et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes ; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod, qui assassine le roi Eglon ; de Judith, qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec lui ; de Samuel, qui hache en morceaux le roi Agag : ils ne voient pas que ces exemples qui sont respectables dans l’Antiquité, sont abominables dans le temps présent ; ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne. […]
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage ; c’est comme si vous lisiez un arrêt du Conseil3 à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?
Ce sont d’ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains; ils ressemblent à ce vieux de la montagne4 qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu'ils iraient assassiner tous ceux qu'il leur nommerait. Il n'y a eu qu'une seule religion dans le monde qui n'ait pas été souillée par le fanatisme, c'est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède.
Car l'effet de la philosophie est de rendre l'âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité.
Voltaire, article « Fanatisme », dans le Dictionnaire philosophique (1764).
1.        Emportement
2.        Auteurs d’attentats contre des souverains
3.        Gouvernement
4.        Chef d’une secte orientale
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DE L’HORRIBLE DANGER DE LA LECTURE
Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu, mouphti1 du Saint-Empire ottoman2, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction.
Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte vers un petit État nommé Frankrom3, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis4 et imans5 de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs6 connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser ladite infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées
1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés.
2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la sainte doctrine.
3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place.
4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance.
5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes.
6° Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence.
A ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité7 quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime-Porte.
Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l’Occident septentrional; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays; lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous plaira.
Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 de l’Hégire.
Voltaire, De l’horrible danger de la lecture, 1765

1.        Chef religieux
2.        Empire Turc
3.        France
4.        Prêtres
5.        Juges
6.        Moines
7.        Tribunal ecclésiastique