Google+ Article deux: septembre 2013

lundi 23 septembre 2013

L’abstention est un refus du statu quo


Extrait d’un article publié en mai 2013 par un sociologue allemand.

La plupart des gens me considèrent comme un monstre lorsque je leur dis que je ne voterai pas. Comment ? Alors que certains se battent pour obtenir ce droit ? Après tout ce qui s’est passé en Allemagne au XXe siècle ? L’abstention n’est pas acceptable. Voter est un devoir citoyen.



(…) Au moins peut-on opter pour le “moindre mal”, le moins néfaste de tous ceux-là ou bien étudier l’éventail des coalitions possibles et se déterminer stratégiquement pour ce qui apparaîtra comme la moins pire des solutions. Mais qui incarne ce moindre mal aujourd’hui, et par rapport à quoi ? (…)

(..) En réalité, toute l’ironie de notre ère postdémocratique réside dans le fait que les dernières personnes à associer appartenance politique et divergence idéologique sont nos hommes et nos femmes politiques, car dans la pratique parlementaire les décisions de fond sont généralement repoussées non pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons partisanes. Il faut être prêt à défendre la moindre couillonnade émanant de son parti et à rejeter la proposition la plus brillante au motif qu’elle vient du parti rival. Les prétendues divergences ne sont plus que des éléments cosmétiques. Les politiques essaient de nous convaincre de choses auxquelles ils ne croient pas eux-mêmes. (…)

Nos partis se désintéressent unanimement de la construction de notre avenir. Ils recyclent de vieilles politiques au lieu d’en imaginer de nouvelles et jouent la surenchère sur des questions marginales comme si elles étaient centrales : des quotas de femmes dans les conseils de surveillance ? Mais c’est bien sûr ! Une augmentation des impôts sur les hauts revenus ? Voilà bien une solution radicale à la crise financière !

Les élections sont démocratiques lorsque la volonté des électeurs peut se traduire dans l’action du gouvernement. Mais le sont-elles encore lorsque la souveraineté nationale, et donc le gouvernement, est ainsi soumise à la “pression des marchés” ? Qu’en penser lorsque des pays européens sont placés sous curatelle par une “troïka” agissant sans la moindre légitimité parlementaire ou lorsqu’ils sont classés en Etats gentils ou frondeurs ? Que penser de ces politiques d’austérité qui se traduisent dans certains pays – notamment l’Espagne, où la dette publique était pourtant relativement faible – par le chômage de plus d’un jeune sur deux ? (…)

Comment donner sa voix à un parti quand aucun n’est prêt à ruer dans les brancards quand il le faut ? Dites-moi, dans ces circonstances, qui incarne ce moindre mal à qui je pourrais donner la préférence ? Dans ces circonstances, l’abstention est un refus du statu quo. Il ne s’agit pas d’un acte passif et silencieux, il faut au contraire en parler en privé comme en public. Seule une rupture avec le consensus peut obliger les partis à se rendre compte de leur perte de légitimité et à se rappeler à qui appartient le pouvoir dans un Etat démocratique.

Harald Welzer

Publié le 27 mai dans Der Spiegel.

Un Bijoutier, la Justice et les Médias…


Proposons quelques réflexions sur « l’affaire » des dernières semaines, maintenant que les esprits, disons plutôt les médias, semblent s’être calmés quelque peu.

Rappelons brièvement les faits : un bijoutier niçois a tué un malfaiteur avec son arme à feu après une tentative de braquage.


Rapidement, les chaines de télévision d’informations mettent en première ligne les évènements qui ne tardent pas à émouvoir une opinion publique qui, sur les réseaux sociaux et notamment sur Facebook, déclare son soutien au commerçant. La question de la légitime défense revient donc au premier plan dans un pays où depuis de nombreuses années, l’insécurité, la délinquance sont des thèmes sensibles…

Pourquoi ce fait divers plus qu’un autre ?

Tout d’abord, on s’interroge, une nouvelle fois, sur le pouvoir des médias audiovisuels pour mettre en lumière LE fait divers de leur choix. Des faits divers tragiques comme celui-ci, il s’en produit malheureusement des dizaines par jour… Pourquoi certains ont-ils un impact médiatique aussi fort et aussi rapide à un moment précis ?

Au regard du mode de fonctionnement des chaînes d’infos diffusant en continu, on peut retenir l’explication du seul « timing » : celle d’un fait « sensationnel », dramatique, dans une période « creuse » d’un point de vue journalistique… Une affiche du championnat de France de football, une cérémonie des oscar, un tennisman français réalisant un bon parcours dans un tournoi majeur, la rentrée scolaire, voilà autant « d’informations » qui occultent généralement tout le reste…

Du pouvoir de la télévision sur Internet.

Ensuite, on s’interroge sur le réel pouvoir des réseaux sociaux… Sans l’emballement des médias traditionnels sur ce fait divers, qu’en serait-il de l’emballement de la page de soutien au bijoutier sur Facebook ? Une page qui est devenue d’ailleurs elle-même un des titres majeurs des journaux télévisés pendant plusieurs jours du fait des doutes de comptabilisation des clics obtenus. Si télévision et internet s’autoalimentent, force est de constater que le pouvoir initial, l’élément déclencheur, appartient encore au média traditionnel qu’est la télévision. Combien de causes, sans aucun doute, nobles restent lettre-morte dans les méandres de l’Internet ?

Lorsque l’Internet est à l’initiative d’un phénomène cela reste exclusivement pour des futilités, pour ne pas dire des stupidités : on se filme dans sa chambre en train de jouer à des jeux vidéo (« Pewdiepie »), on pratique des mises en scène loufoques de « danses » exécutées dans des situations diverses et variées (« Harlem Shake »).

Le règne de l’émotion et de l’instantané

Un million de soutiens est donc recensé en quelques jours sur une page Facebook en faveur d’un homme qui en a tué un autre. (1 633 310 à ce jour).

La facilité de réalisation d’une telle page, l’absence totale de références ou d’identité des concepteurs ne freinent absolument pas les internautes qui se précipitent pour cliquer sur un petit pouce levé. Que représentent vraiment « ces soutiens » ? Quelle suite sera donnée à cette page par ses initiateurs ? Une collecte de fond ? Des manifestations ? Une tentative de coup d’état ? Quel crédit peut-on bien donner à cette page ? Est-ce que l’engouement aurait été tel si l’on avait demandé un engagement plus marqué de la part des « soutiens » ? Ne serait-ce que de remplir un formulaire comportant nom et adresse ou une contribution financière ? A ce propos, une pétition lancée via le site mesopinions.com recueille en comparaison 62 590 signatures à ce jour « seulement ».

Un « j’aime » sur Facebook ne sera jamais qu’un clic avec sa souris… Qui se souvient de toutes les photos, vidéos, articles, pages qu’il a « likés » ? Le geste est insignifiant et ne représente, comme son intitulé l’évoque pourtant parfaitement, qu’une déclaration d’affectation, sans aucun degré particulier qui plus est.

Cette page n’est en partie que le signe, et c’est loin d’être négligeable, d’une exaspération, d’une colère, d’une crainte c'est-à-dire d’une émotion par rapport à ce thème préoccupant de l’insécurité.

Le problème du recensement des « j’aime » ne doit pas être occulté non plus. Beaucoup a été écrit sur l’origine des « soutiens » sans que l’on sache vraiment finalement la réalité. On apprend que le « j’aime » peut s’acheter, qu’il peut être numériquement automatisé, ce qui revient à le discréditer complètement. Il y a aussi les subtilités de la programmation informatique : un commentaire, même négatif ou d’opposition, à un lien partagé sur Facebook est recensé comme un « j’aime » sur la page du blog ou du site dont il est issu, par exemple…

Temps de l’actualité, temps de la justice.

Plus important encore que ces considérations, il faut rappeler qu’aucun citoyen n’est au cœur de l’enquête judiciaire. Le temps de l’actualité n’est pas le temps de la justice. La procédure policière est longue et comporte un bon nombre d’étapes : analyse scientifique de la scène de crime, collecte d’informations et recherche de témoins, interrogations des prévenus, reconstitutions,… Dans la presse, à la télévision, chaque information concernant un fait divers est révélée comme un scoop. Tout apparait au public au fur et à mesure, jour après jour, et ne manque pas de fausser parfois complètement le jugement. Ce n’est qu’au bout de plusieurs jours que l’on apprend que l’arme du bijoutier était détenue illégalement ou que le braqueur tué était récidiviste. Que penserait-on de toute cette affaire et des soutiens Facebook si l’enquête révélait dans plusieurs semaines que le bijoutier était le recéleur du cambrioleur tué ? Ce n’est là qu’une hypothèse qui ne changerait rien au drame que représente la mort d’un homme mais il faudrait admettre que le point de vue général ne serait plus du tout le même.

Le cas d’une révélation spectaculaire ne s’est-il jamais produit ? Rappelons ici simplement l’affaire dite du RER D en 2003 qui avait suscité la plus vive émotion de la population française. Toute la presse écrite et audiovisuelle s’était empressée de relater des faits sur la base des témoignages de la soi-disant victime d’une agression atroce,… avant de révéler sans aucune excuse ni remise en question des méthodes qu’il s’agissait d’une affabulation totale.

Fontenelle disait en 1686 : « Assurons nous bien du fait avant de nous inquiéter de la cause ».

De la légitime défense.

Le débat sur la légitime défense, à une heure où une catégorie de la population a le sentiment d’être abandonnée des pouvoirs publics, est sans doute nécessaire. Mais il doit être mené dans des conditions beaucoup plus saines que celles qui nous sont proposées pour le moment. Les conséquences en sont trop importantes pour la société. Toute décision prise sur le coup de l’émotion, dans la précipitation ou dans l’omission de certaines données sera-t-elle une sage décision ?

Il faut s’alarmer d’une société qui apporte son « soutien », dans la précipitation, sans vraiment en connaître les circonstances, à un homme qui en a tué un autre. Il faut s’alarmer d’une société dans laquelle l’exaspération, l’émotion prend le dessus sur la loi. La légitime défense est en effet strictement précisée par la loi sans que cela soit vraiment rappelé par nos médias et sans que cela préoccupe les soutiens véhéments au bijoutier.

Peut-on croire que le sentiment de sécurité serait plus grand si l’on vivait dans une société où tout un chacun serait armé et pourrait se faire justice lui-même ? Militaires et policiers ne subissent ils pas un entrainement rigoureux et régulier pour user d’armes dans le cadre de leurs fonctions ? N’a-t-on pas l’exemple de pays où la possession d’armes par les citoyens cause régulièrement des massacres ? Enfin, comment désigne-t-on un environnement où la loi ne définit plus les comportements de chacun ?

Une question hors des clivages partisans ?

Le problème de la sécurité est délicat. Mais nous sommes dans un état de droit. Nous avons élu des hommes et des femmes pour représenter notre souveraineté. Ces représentants politiques doivent se montrer à la hauteur de leurs fonctions pour affronter les questions sociales. Nous serions peut-être en droit d’attendre sur ces questions de justice et de sécurité une certaine forme de compromis.

La cause pour le bien-être et la sureté des membres du corps social ne doit pas être le prétexte à des conjonctures politiciennes. Il ne devrait pas y avoir une solution proposée par un parti mais La solution pour tous les citoyens. L’unité des partis républicains sur ce domaine sensible et primordial serait le meilleur barrage aux idées extrémistes. Des propos comme ceux du maire de Nice, M. Estrosi, (« Le gouvernement est du côté des voyous »), en plus d’être indignes de sa fonction de représentant du peuple, sont indécents au regard de la gravité des faits, et dangereux au regard de la fébrilité du peuple sur cette question.

vendredi 20 septembre 2013

Trop libre?

Réflexion sur la notion de liberté et sur le modèle de société que nous choisissons au nom de cette dernière... Extrait tiré d'un article du Journal norvégien Aftenposten du 29 août 2013.



La beauté de la molécule d’ADN est étonnante. Observer la double hélice, les spirales qui s’enroulent les unes autour des autres, les liaisons formées par les paires de bases, c’est découvrir la condition de toute vie.

L’ADN fait penser aux gènes, à notre génotype, et c’est à partir de cette association d’idées que je souhaite maintenant aborder la politique.

Bien que ce soit une simplification, nombre de mes compatriotes font le lien entre l’évolution presque inconcevable de notre pays vers la prospérité, l’amélioration de la qualité de vie durant les décennies de l’après-guerre et l’âge d’or du Parti travailliste norvégien [Det norske Arbeiderparti – initialement abrégé DnA, aujourd’hui AP]. Pour les générations de l’après-guerre, le parallèle DnA = DNA [ADN en norvégien] était donc porteur de sens. Dans son ouvrage Contre le vide moral : restaurons la social-démocratie, l’historien britannique Tony Judt dit n’avoir jamais observé de progrès plus flagrants que durant la période consensuelle de la social-démocratie.

Mais qui associerait aujourd’hui le Parti travailliste à l’ADN ? Il semblerait en effet que le “A” de “Arbeid” (travail, en français) de son sigle DnA ait été remplacé par le “B” de “Bank” [DNB est une grande banque norvégienne]. Autrefois, l’idée était de prendre un peu aux riches pour donner aux pauvres. Maintenant, tout le monde doit devenir riche. Notre génotype moral a donc changé. Aux efforts collectifs en faveur d’une répartition équitable des richesses s’est substituée la course individuelle au gain financier.

Cette critique ne s’adresse pas uniquement au Parti travailliste. Les efforts politiques des pays nordiques après la guerre avaient ceci d’admirable qu’ils visaient à trouver une alternative au socialisme et au capitalisme, une sorte de troisième voie. Aujourd’hui, cette quête semble avoir été abandonnée. La mentalité DNB a pris le dessus. Il n’y a pas si longtemps, il nous paraissait évident que les activités fondamentales de la société (éducation, services de santé, soins aux personnes âgées, transports en commun, recherche, infrastructures) aient pour but tout autre chose que le gain financier.

Nous ne voyons pas que nous sommes en train de dilapider notre patrimoine – la foi dans les principes moraux que sont l’égalité, la justice, la solidarité – et de lui substituer la seule notion de liberté. Et, comme nous n’avons plus de débat idéologique, il n’y a plus grand monde pour comprendre que ce sont deux modèles de société différents. Car plus de liberté implique désormais toujours moins d’égalité et creuse les différences entre les individus. Ce qui me manque le plus, c’est de pouvoir régler son compte au dogme “plus de croissance”, à l’idée selon laquelle la croissance peut se poursuivre à l’infini, le plus important pour une nation étant de réaliser un bénéfice élevé. La société norvégienne s’est transformée en entreprise : Norge AS [Norvège SA]. Mais nous sommes devenus riches, tellement riches que nous en sommes presque anesthésiés ! Le reste du monde n’existe pas.

Il est ainsi symptomatique de voir le peu d’intérêt que porte la campagne électorale [des législatives du 9 septembre] à la politique internationale et à l’état de la planète. Nous blâmons les pays où les riches se sont construit des enclaves pour en exclure d’autres individus, plus pauvres, sans voir que c’est ce que nous faisons, nous aussi. La Norvège est en train de devenir une telle enclave. Bientôt, il ne nous manquera plus qu’un haut mur le long de la frontière, avec des tessons de verre dessus. C’est le pétrole, cette aubaine fabuleuse, qui nous a rendus si prospères, si gâtés.

Presque chaque jour, nous lisons dans la presse que le dérèglement climatique exige une nouvelle économie. Une chose est sûre : la Norvège ne se battra pas pour cette cause. Nos dirigeants se contentent de mesures symboliques et d’une taxe carbone qui ne diminue d’aucune manière le rythme d’extraction. Certes, les responsables politiques évoquent leur obligation d’œuvrer pour une économie sans CO2, mais, en coulisses, ils s’efforcent de trouver et d’exploiter les derniers gisements de gaz et de pétrole. Et la majorité des Norvégiens les soutient. Qui souhaite vraiment une convention internationale contraignante sur le climat qui freinerait le développement de la production pétrolière norvégienne ?

Qui soutient une évolution susceptible de faire diminuer le prix du pétrole, au risque de provoquer un déclin de l’économie nationale, un chômage élevé et une baisse de la prospérité ? Notre richesse fondée sur le pétrole est extrêmement vulnérable, aussi essayons-nous d’occulter le dilemme moral qu’elle implique, même si nous sommes conscients des répercussions négatives de la production d’hydrocarbures. Pourquoi n’envisageons-nous pas une politique prônant un changement radical de système ? Parce que nous voulons toujours plus. Parce que ce n’est pas l’ADN qui dirige le pays mais, au sens figuré, la DNB.

Jan Kjærstad*

Note :* Né en 1953, il a étudié la théologie et publié son premier livre en 1980. Son œuvre la plus connue (non traduite en français) est la trilogie de Jonas Wergeland : Forføreren (Le séducteur, 1993), Erobreren (Le conquérant, 1996) et Oppdageren (L’explorateur, 1999).
Article cité dans le Courrier International n°1193. http://www.courrierinternational.com





jeudi 12 septembre 2013

La controverse de Valladolid.


De Jean-Claude Carrière, 1992

Un roman historique qui imagine la joute oratoire entre deux hommes de l'église catholique au XVIème siècle au sujet de la condition des indiens d'Amérique. 

Sont-ils des hommes? Doivent-ils être évangélisés? Sont-ils des sous-hommes que l'on doit réduire à l'esclavage pour servir les intérêts de l'Espagne? D'un côté, Les Casas, de l'autre Sépulveda. Deux prélats qui ont réellement existé et sur les écrits desquels l'auteur s'est appuyé pour la composition de son ouvrage. 

Citation clé: "Ils étaient pris par surprise. Ils ne comprenaient pas qui nous étions, ni ce que nous voulions. [...] Leur premier, leur plus grand malheur fut de croire à notre parole."

Intérêt citoyen: découvrir ou redécouvrir la permanence des interrogations liées à l'autre, à celui qui est différent. Régime politique, organisation sociale, religion,... ne pas oublier que la connaissance, le savoir n'empêchent pas le rejet et la volonté de nier l'existence de l'autre. Le XVIE siècle était le siècle de l'humanisme mais aussi celui des massacres des guerres de religion et de la conquête de l'Amérique par des Européens avides.