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vendredi 11 décembre 2015

Abstention piège à cons II

Cette chronique de Raphaël Enthoven a suscité beaucoup de critiques virulentes sur sa page Facebook. Les abstentionnistes étaient qualifiés d'ingrats,  de malhonnêtes, d'irresponsables...

Abstention piège à cons

Depuis l'intéressé a restreint les possibilités de commentaires publics à ses posts sur son mur Facebook. Cela laisse songeur sur la fameuse "horizontalité" des réseaux sociaux. Certains ont le droit de recourir à l'insulte sur les ondes aux heures de grandes écoutes mais refusent de se confronter aux réactions aussi désagréables soient elles.  Il n'avait pourtant pas eu la même attitude lors d'une récente joute argumentative sur Facebook avec un rapper...

Ici, et on l'a souvent répété, on aime bien Enthoven pour diverses raisons.  Présentement, son attitude confirme pourtant les attaques qu'il réfute souvent: mépris de classe,  élitisme culturel,  condescendance,... c'est dommage.

Nous comprenons de plus en plus ici l'abstention même si nous ne la pratiquons pas. (Pas encore... on a du mal. On n'y arrive pas. Le déconditionnement est difficile) Et ce n'est pas en insultant que l'on peut convaincre ceux qui décident de ne plus choisir.

N'oublions pas que la citoyenneté ne se résume pas au passage devant les urnes.  Il semble que, depuis longtemps,  des citoyens se débrouillent, usent d'alternatives pour vivre en communauté (associations,  coopératives, bénévolat ou autres), et se passent très bien d'une représentation nationale toujours issue des mêmes catégories sociales et dont ils se sentent totalement coupés. Ils ne font plus confiance à des élus trahissant leurs paroles électorales, prêts à toutes les compromissions et tous les reniements pour conserver leur place via le suffrage, se comportant comme des adolescents hystériques sur les bancs de l'assemblée, englués dans des affaires judiciaires et ce au plus haut degré des magistratures.

Qu'on leur prouve donc que l'alternance politique est utile... Ne l'ont-ils pas suffisamment éprouvée? N'ont-ils pas assez entendu la rengaine du "changement c’est maintenant"? Reprenons l'histoire des élections depuis disons 1981, et recueillons nous devant l'autel des idéologies politiques. 

Ces "gens" que l'on moque, que l'on insulte, que l'on montre du doigt à chaque scrutin respectent les lois de leur pays, payent leurs impôts, éduquent leurs enfants, agissent forcément en citoyen au quotidien. Ils sont sans doute plus politisés que l'on veut bien le faire croire. Un seul moyen de le savoir: une vraie reconnaissance du vote blanc. Un vote blanc qui effraie nos professionnels de l'élection car sa reconnaissance permettrait un réel blocage des institutions par l'invalidation du suffrage et peut-être un véritable renouvellement de notre paysage républicain.

Et si les abstentionnistes avaient compris que voter toujours et encore pour le même personnel politique profitant pleinement d'un système à bout de souffle ne permettait qu'une seule chose: sa perpétuation...

Pouvons nous dire sérieusement que la fin de cette campagne des régionales avec ces incohérences de listes, ce cirque médiatique,  ces attaques indignes ne donnent pas des arguments aux abstentionnistes?

mardi 8 décembre 2015

Le meilleur des mondes, la revanche.

Un petit extrait. Juste comme ça.  Au hasard.

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Si les politiciens et leurs électeurs n'étaient mus que par le dessein de servir leur intérêt à long terme et celui de leur pays,  ce monde serait un paradis terrestre. En réalité, ils agissent souvent contre leur propre avantage,  simplement pour assouvir leurs passions les moins honorables;  c'est pourquoi nous vivons dans un lieu de souffrances.

La propagande pour une action conforme à l'intérêt bien compris fait appel à la raison au moyen d'arguments logiques fondés sur les plus solides preuves disponibles,  exposées honnêtement et dans leur intégralité. La propagande pour une action dictée par des impulsions plus basses que l'intérêt présente des preuves forgées, falsifiées, ou tronquées, évite les arguments logiques et cherche à influencer ses victimes par la simple répétitions de slogans, la furieuse dénonciation de boucs émissaires étrangers ou nationaux, et l'association machiavélique des passions les plus viles aux idéaux les plus élevés, si bien que des atrocités en arrivent à être commises au nom de Dieu et que l'espèce la plus cynique de Realpolitik est traitée comme une affaire de principe religieux et de devoir patriotique.

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Huxley, Retour au meilleur des mondes, 1958.

Allocution du parti abstentionniste

Encore une fois,  Article Deux est la tribune du président du parti de l'abstention. Avouons qu'il ne se renouvelle guère.


"
Chers compatriotes,


Au regard du score encore une fois extraordinaire de notre mouvement des abstentionnistes, il est temps de remercier tous ceux qui font de nous le premier parti de France.

Je veux parler d'abord de ceux qui nous ont rejoints récemment et qui, hier encore, glissaient dans l'urne un bulletin blanc ou un bulletin nul. Maintenant, ils nous ont rejoints et ont franchi un cap dans la non-participation politique. J’annonce, ici, d’ailleurs, que notre alliance avec nos camarades du parti Blanc se finalise. Ils ne se laissent pas duper, en effet, par la fausse reconnaissance que nos dirigeants ont attribué à leurs bulletins. Ces derniers sont désormais comptés à part mais n'ont toujours absolument aucune incidence sur les résultats définitifs. Ils sont donc toujours sans effet. C’est là, un camouflet pour les partisans du vote blanc qui contribue à les rapprocher de nous de façon définitive…

Je veux remercier encore une fois nos médias télévisés et plus précisément ces formidables chaînes d'information qui appauvrissent totalement, minutes après minutes, le jeu démocratique, le réduisant à un cirque médiatique, à une course à l’audience ridicule et qui, à force de répétitions, de débats stériles inaudibles, abrutissent totalement les citoyens et les poussent inexorablement à rejoindre nos rangs.

Il nous faut aussi ici avoir une pensée pour notre cher système scolaire qui, année après année, allègement de programme après allègement de programme, ne permet plus à nos nouveaux citoyens de posséder toutes les armes intellectuelles pour une bonne compréhension des enjeux démocratiques, et les en détourne alors inexorablement.

Venons en, enfin, à nos plus fidèles alliés, ceux à qui nous devons tant : les représentants, élus ou qui aspirent à l'être, de tous les partis politiques de notre beau pays. Leur incompétence, leur immoralité, leur absence de courage, leur dogmatisme, leur opportunisme, leur condescendance, leur hypocrisie, leur mauvaise foi, sont pour nous une bénédiction de chaque instant.

Bien sûr, nous n'oublions pas que pendant longtemps nous, partisans de l'abstention, avons été bien utiles à leurs yeux. En effet, un taux d'abstention élevé était toujours le moyen de culpabiliser les mauvais citoyens totalement éloignés de leurs devoirs civiques. C'était également le moyen pour l'élu de voir son niveau de responsabilité bien moins élevé car obtenu avec une frange du peuple dérisoire finalement. Enfin, faussant statistiquement la représentativité nationale, c'était le moyen pour les plus malins de profiter du système et de devenir des professionnels non pas de la politique mais du suffrage.

Mais aujourd'hui, la créature est en train de se retourner contre ses maîtres. L'abstention gagne et c'est par le suffrage universel, pourtant son mode d'expression, que la démocratie risque de porter à sa tête ceux qui veulent la voir mourir.

Nous ne nous sentirons pas coupables si une telle horreur devait se produire. N'entendons nous pas les hommes politiques à l'issue de chaque scrutin dire qu'ils vont tirer les enseignements de cette inquiétante montée de l'abstention et qu’ils s’en sentent responsables ? Leurs paroles ne sont que pure formalité de circonstance mais prouvent qu’ils ont bien conscience de leur responsabilité… À défaut d'enseignements ils subiront les conséquences définitives de leur hypocrisie. Et le peuple, lui, affrontera la situation… Nous aimerions ne pas avoir à en arriver là…

Nous, partisans de l'abstention, ne sommes pas des inconscients suicidaires. Nous sommes le peuple fatigué. Fatigués de voir que nos représentants nous imposent des règles qu'ils ne suivent jamais. Fatigués de n'avoir à choisir qu'entre la peste et le choléra pour ne tomber que de Charybde en Scylla. Fatigués d'être toujours considérés comme ignorants, taillable, et corvéable à merci. Ne comprennent-ils pas que notre silence et notre mépris de l'urne ne sont rien d'autre que de l'exaspération, premier signe de la colère ? Un contrat social suppose deux corps respectant mutuellement leur part. Pourquoi le peuple assumerait-il toujours ses engagements, ses devoirs, ses responsabilités, si les élites dirigeantes ne le font pas ?

Le peuple est toujours plein de bon sens : il retrouvera le chemin des urnes, il exprimera à nouveau sa voix démocratique, quand ses institutions et leurs textes fondateurs seront scrupuleusement honorés par ses élus. Je rappelle en tant que président du parti de l’Abstention que c’est là notre seul programme, notre seule volonté…

Mes chers compatriotes, pour les prochaines échéances électorales,  n'oubliez pas : «Un choix par défaut est un mauvais choix : Ne pas choisir ; c’est déjà choisir ».

"

Pierre-Paul MARTIN.
Président du PDA

lundi 7 décembre 2015

Election rime avec abstention

Petit retour sur le premier tour des régionales 2015. Comme personne ne peut être surpris du score  du FN, on préfère s'appuyer sur la réaction d'un philosophe au sujet d'un thème qui nous tient à coeur: L'abstention.

"L’abstentionniste n’est pas un électeur tellement exigeant qu’en son âme et conscience, après un examen minutieux, il constate qu'aucune proposition ne le satisfait... L’abstentionniste, c’est un snob qui a une si haute opinion de sa propre opinion qu’il aurait l’impression de la souiller en la mêlant à la tourbe des autres. C’est un enfant gâté qui, parce qu’il a décidé de ne pas voter, suspend son vote à la coïncidence (improbable) de ses désirs et des propositions que les politiques lui font.
Il ne faut pas s’y tromper. Qui veut s’abstenir trouvera toujours d’excellentes raisons pour le faire. En cela, son comportement ne renseigne pas sur la nullité des élus, mais sur celle des électeurs." Raphaël Enthoven, 7 décembre 2015.

Cliquez ci-dessous pour l'image et l'intégralité:

Abstention piège à cons

On partage cette vidéo parce que cela va plaire à certaines et certains (qui nous ont reproché notre approche récente sur la question) et parce qu'ici on apprécie monsieur Enthoven.

Un philosophe doit s'engager.  Il faut faire preuve de courage dans ses opinions.  Il convient donc de respecter les idées de l'intervenant.

Cependant, ...

On comprend la tactique du sieur Raphaël. Estimant que l'on est trop gentil (ce qui reste tout de même à prouver) avec l'abstentionniste, il use du contre-pied parfait en l'insultant.  Il veut susciter la réaction vive, choquante, celle qui déclenche le débat et l'intervention.  Un peu de buzz médiatique pour attirer le public. Or, n'est pas Zemmour qui veut.  En tant que chroniqueur quotidien, Enthoven a encore du chemin à parcourir et devra sans doute changer de cibles pour faire parler plus de lui.

Ensuite,  est-ce vraiment digne d'un philosophe que de mettre au pilori un bouc émissaire pour expliquer une situation?  Attitude que le concerné a pourtant amplement dénoncée pendant des années sur toutes les ondes et antennes... 

Son analyse serait pertinente et bienvenue avec un taux d'abstention ponctuel à 10 ou même à 20% mais lorsque, de façon récurrente,  la moitié du corps électoral n'accomplit pas son devoir,  cela renseigne aussi, n'en déplaise au philosophe des médias, sur la nullité des élus ou de ceux qui aspirent à l'être, et pas seulement sur celle des électeurs.

Le propos enthovenien tombe dans la facilité et le mépris de masse gratuit. Certains lui reprocheront d'être le signe d'un élitisme intellectuel et politique. Celui qui a si souvent appelé à penser contre soi-même semble ne plus être en mesure de le faire désormais.

Des millions de citoyens formés depuis l'enfance au respect et à l'exercice démocratique,  sont ainsi des "fainéants", des "malhonnêtes", des "irresponsables", des "ingrats"... sans que l'on entende dans les propos du chroniqueur la moindre nuance apportée par une analyse politique ou historique, même succincte (décennies de promesses électorales non tenues, décennies d'inefficacité sur le plan économique,  déni de l'expression populaire de 2005).

Ne tirons donc aucun enseignement des comportements de nos élites politiques ni de ceux qui les conseillent. Continuons donc ainsi, il ne s'agit que de quelques mauvaises graines, que "d'enfants gâtés"...

Ne nous interrogeons pas non plus sur la qualité de notre système éducatif censé assurer la formation intellectuelle et citoyenne et donc la bonne compréhension des enjeux de notre société.  Les établissements scolaires fréquentés par le jeune Raphaël Enthoven ont bien accompli ces objectifs.  Alors...

Et puis, au fait,  au passage, l'attitude citoyenne se résume-t-elle uniquement au passage ou non dans l'urne? La démocratie,  notre République, est-ce seulement le suffrage? Un citoyen qui ne vote pas peut se montrer exemplaire sur beaucoup d'autres plans  à l'égard de la République, et n'être donc pas  "fainéant", "malhonnête", " irresponsable" ou "ingrat". Bien au contraire.

On notera pour finir, encore une fois, la simple évocation en cinq mots du vote blanc ("c'est un autre problème ") qui, s'il impliquait des conséquences électorales, permettrait de parfaire la connaissance de notre système démocratique, de ceux qui le composent et de sa pratique. Tant que le vote blanc n'aura pas un réel pouvoir,  il sera lié à la problématique de l'abstention. Il ne sera pas un autre problème.

Pour finir vraiment: tous les contributeurs Article Deux ont voté hier.



samedi 14 novembre 2015

Journée mondiale de la gentillesse

Effroi, tristesse, colère, sont des émotions qui l'emportent toujours d'emblée face à de tels événements.

Mais,  quand ces événements se répètent ; quand le processus global se lance au quart de tour dans toute sa frénésie,  des chaînes d'information  (approximations, précipitations,  erreurs,  témoignages sordides et inutiles,  curiosité macabre) au réseaux sociaux (réactions spontanées de bons sentiments, commentaires déplacés,  interventions haineuses en 140 caractères, photos retouchées, intox grossières, récupérations immédiates en logos et autres slogans) en passant par les déclarations maladroitement lyriques stéréotypées et donc dénuées de sens des responsables publics ; quand seul finalement change le degré de l'horreur par l'amplification du nombre des morts,  alors même ces émotions habituelles s'effacent devant la lassitude et l'hébétude.

Lassitude face à l'absence totale d'enseignements tirés du passé récent. Va-t-on encore nous sortir l'argument de l'huile sur le feu?  Comme 10 mois semblent une éternité à certains! Rappelons que l'on débattait encore il y a peu sur le fait d'être ou non Charlie.

Hébétude face à l'avenir... Quelles conséquences à ces faits que tout annonçait?

Nos seules véritables pensées pour le moment sont pour les victimes innocentes de la lâcheté et de la sauvagerie,  sont pour ceux qui subissent cruellement, dans leur chair et dans leur âme,  ces événements terribles,  sont pour ceux qui s'inquiètent et attendent dans l'angoisse des nouvelles de leurs proches, blessés ou membres des forces de l'ordre.

lundi 24 août 2015

L'Hellène et le Bressan

De notre envoyé spécial...

À Frangy, ce dimanche 23 août, sous une pluie qui n'aura pas fait fuir le peuple de gauche venu en nombre à l'invitation d'Arnaud Montebourg (plus de mille couverts auront été servis), eut  lieu la 43eme fête de la Rose.

L'invité d'honneur était cette année, et c'est une première, un étranger : Yanis Varoufakis, l'ancien ministre grec de l'économie, qui a quitté le gouvernement Tzipras suite au dernier plan d'aide imposé par la Troïka.

Un bon poulet de Bresse et une bonne "cuvée de l'Europe " plus tard, les deux ex ministres de l'économie de France et de Grèce ont donc, devant un public attentif et malgré une météo capricieuse, expliqué à la tribune leurs positions en matière de politique européenne.

Montebourg rappelait d'abord que c'est il y a un an exactement, à Frangy même, qu'il scellait son sort en demandant une réorientation de la politique économique française en faveur des ménages,  entraînant dans son sillage deux autres ministres sur la même ligne que lui, Hamon et Filipetti.

Il enchaîna bien vite sur la politique européenne, dénonçant la gestion des principaux dirigeants européens. Des dirigeants sourds aux désirs du peuple grec en refusant de donner crédit au mandat du jeune premier ministre grec Tzipras et à son ministre Varoufakis de négocier avec la Troïka, la BCE, le FMI, l'UE.

Le discours de Montebourg hélas avait un air de déjà entendu, car il y a un an déjà, il rappelait les mêmes évidences qu'aujourd'hui : l'Europe n'a pas su se donner les outils pour sortir de la crise, en ne reprenant pas la gestion de sa banque centrale.

L'ancien ministre rappelait aussi que l'Allemagne n'a pas les mêmes soucis que les autres pays, comme la France en particulier : l'Allemagne vieillit quand la France connaît une natalité dynamique, qui dans quinze ans fera d'elle le pays le plus peuplé de l'UE.

Montebourg priait donc le président Hollande de tenter un sursaut encore possible pour réorienter la politique économique française et européenne en s'appuyant principalement sur l'Italie, la Grèce et peut-être demain l'Espagne, en faveur de la relance, en s'accordant une inflation maîtrisée pour, à l'instar du Japon, de la Grande-Bretagne ou des États Unis, relancer la consommation des ménages.

"Les intérêts particuliers de l'Allemagne ne doivent pas devenir l'intérêt général de l'Europe " lança hier Montebourg avec raison.

L'hôte tenait aussi à rappeler que la solidarité européenne avait par le passé joué en faveur de l'Allemagne, notamment lorsque le président Chirac aida le chancelier Schröder à négocier pour surseoir aux critères de Maastricht suite à la réunification allemande très coûteuse pour son économie.

Il ajouta que l'Histoire nous enseigne que le peuple allemand sait mieux que n'importe quel autre peuple ce qu'est de se faire imposer un diktat de l'étranger et de se voir étrangler économiquement.

Le Bressan semble porter enfin un regard désabusé sur la notion du suffrage universel: voter non en Grèce ou en France comme en 2005 c'est comme voter oui; voter pour la gauche française c'est se retrouver avec le programme de la droite allemande.

Yanis Varoufakis prit ensuite le relais avec un long et captivant discours malgré les aléas de la traduction et... de la météo.

L'ancien ministre grec rejoignait alors l'ancien ministre français et appuyait son discours de propos d'économistes parmi les plus réputés du monde comme Stiglitz, Galbraith, eux aussi effarés de cette persistance en une austérité qui aggrave le tonneau des danaïdes de la dette.

Varoufakis captiva une assistance écoeurée par les révélations des coulisses des négociations menées de sa prise de fonction jusqu'à ce mois de juillet fatidique pour la Grèce, seule, trop seule, face à la Troïka, et surtout face à Schäuble, Juncker et Lagarde.

Dans un style non dénué d'humour et de charisme, il raconta moult anecdotes prouvant le caractère si peu démocratique des rencontres internationales à Bruxelles.

Ainsi, alors que Varoufakis s'étonnait qu'on fasse si peu de cas du mandat du gouvernement de son pays souverain et de son dernier référendum, Schäuble lui répliqua que l'on ne pouvait changer les règles au mépris des traités et que cela ne changeait rien.

Varoufakis déclara alors qu'il serait bon d'en alerter les électeurs européens mais aussi le PC chinois qui serait ainsi conforté dans sa pratique de la démocratie ...

Yanis termina, en bon francophile, par une critique cinglante de nos élites françaises. Il déplore en effet  que depuis Mitterrand / Delors,  les élites politiques aient abandonné le pouvoir en Europe aux élites allemandes et surtout se soient laissées contaminer par leur idéologie, entraînant toute l'Europe à leur suite.

On sentait aussi son  inquiétude poindre qu'au final tout cela ne se retourne contre les citoyens allemands eux-mêmes.

On retiendra pour conclure le fort du message de l'invité d'honneur de Frangy 2015: les eurocrates sont opposés à  la seule évocation d'un plan B quel qu'il soit, de Syriza ou d'autres, de peur de le voir réussir et donc de confirmer l'inanité de leurs dogmes. Comportement pathétique et condamnable... 

S.M.


Une belle assemblée 

vendredi 17 juillet 2015

Résistance par le Silence.

Quand on demande l'avis d'un peuple, que l'on met au vote les orientations politiques, sociales, économiques de son pays ou de l'entité supranationale à laquelle il appartient, qu'il subit une propagande tenace et un bourrage de crâne permanent et que malgré tout il s'oppose clairement aux dogmes que l'on veut lui faire accepter,... on nie purement et simplement son choix, l'expression de son opinion.
On se rend compte au niveau européen que ce déni de démocratie est la règle: France, Pays-Bas, Irlande, Grèce...
Ensuite, on fait semblant de s'étonner des niveaux d'abstention records des scrutins, de la montée des partis extrémistes... tout en culpabilisant le citoyen de son irresponsabilité.
Si le respect du suffrage est bafoué, que reste-t-il aux citoyens pour faire entendre leurs voix, leurs mécontentements, leurs avertissements?
Le peuple est muet en effet. Sage? Assagi par l'habitude de la pratique du régime démocratique? Assurément, il est las d'être trahi, trompé. Il ne réagit même plus ou si peu à ces graves manquements. La devise de nos dirigeants, de nos députés devient : «qui ne dit mot consent».
Nos dirigeants agissent comme s'ils testaient les limites des citoyens. Force est de constater qu'elles sont immenses mais certainement pas infinies. Jusqu'à quand vont-elles tenir? Les conditions d'existence, ou plutôt de survie, devraient être un peu plus prises en compte par nos élus...On ne sait jamais...
La démocratie n'est plus qu'une illusion, en admettant qu'elle ait existé réellement un jour...
On fait semblant de respecter des règles qui n'ont jamais été écrites que pour calmer des aspirations populaires au bien être, donner de l'espérance, affronter un quotidien toujours difficile... mais finalement surtout pour toujours satisfaire les intérêts d'une seule et même classe. Si les bons principes et les bons sentiments animant le système démocratique ont été sincères à un moment, il est clair qu'ils ont été détournés au profit de quelques-uns...
L'Ancien Régime est-il si loin?
Quand le jeu est faussé, quand le mensonge, la trahison, le mépris des règles sont récurrents, restez-vous dans la partie?
Et si l'on prônait la désobéissance citoyenne...?
Si l'on refusait de participer à cette mascarade tant que nos véritables principes républicains ne sont pas correctement appliqués? Certains sont déjà dans cette action depuis longtemps. Qualifiés d'adeptes de la pèche, peut-être sont-ils finalement beaucoup plus politisés que nos médias et experts-analystes-politiques veulent bien nous le faire croire.
Si l'on passait de l'implicite à l'explicite?
Un seul mot d'ordre: «retour aux sources». Un seul slogan: «non».
Une abstention revendiquée, proclamée, assumée. Une abstention symbole de résistance, symbole de la reconnaissance du peuple, de sa souveraineté.  La prise de conscience d'une unité permettant la décrédibilisation définitive des institutions malmenées par les sempiternels professionnels de l'élection.
Ne leur permettons plus de se servir de l'abstention comme d'un moyen d'asseoir leur pouvoir. L'abstention est une arme qui peut se retourner contre eux.
Sinon quelle alternative?
Une Ump ou LR engluée dans les affaires et les batailles d'ego et qui a déjà montré son incompétence...?
Un PS aux composantes idéologiques internes antinomiques et une soumission aux principes défendus par ses opposants...?
Un FN parti familial anti démocratique, il y a peu ultra libéral économiquement et aujourd'hui faussement étatique à des fins électoralistes...?
Un Front de Gauche dont le fer de lance justifie des régimes dictatoriaux à l'étranger et dont l'équivalent en Grèce vient de trahir lui aussi l'expression populaire...?
Une extrême gauche qui n'aspire absolument pas à gouverner et qui se compromet sur le principe de laïcité...?
Un centre traditionnellement, idéologiquement, historiquement soumis à la droite...?
Des partis écologistes reniant leurs idéaux pour des places...?
Que nous reste-t-il? Imposons une autre voie, d'autres voies, par le biais, dans un premier temps, du silence...  Ils nous méprisent. Méprisons-les.
Que vaudra un mandat obtenu avec 80% d'abstention? ou plus? Quelle légitimité pourrait bien avoir une assemblée avec un tel niveau du refus volontaire du scrutin?
Vous savez bien que certains députés érigent en courage le fait de s'abstenir de voter dans l'hémicycle. Vous savez bien que certains députés n'honorent même pas la représentation nationale de leur présence...
Le pouvoir nous appartient... paraît-il... Faisons leur comprendre...
"Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen" disait Alain. D'abord la Résistance. Ensuite l'obéissance.
Résistance ne rime pas forcément avec violence.
Au prochain déni, elle y passe...  

lundi 6 juillet 2015

"Fraternité européenne"



Réussir à faire détester l'idée d'une Union européenne aux peuples qui la composent et qui sont pourtant convaincus de sa nécessité; 

réussir à créer de l'animosité entre ces mêmes peuples, en paix depuis si longtemps peut être pour la première fois dans leur l'histoire;

réussir cela en restant sourds aux avertissements et aux revendications qu'elles soient politiques, économiques, sociales de vos citoyens, 

réussir cela en trahissant ceux qui vous ont pourtant délégué leur souveraineté avec confiance...

Chapeau bas messieurs les technocrates!
Chapeau bas messieurs nos dirigeants nationaux démocratiquement élus!

Votre conception de la démocratie est en train de détruire une belle idée construite sur les ruines de la Deuxième guerre mondiale. Et si vous vous rappeliez qu'elles étaient les circonstances de la naissance de l'Europe? N'étaient-elles pas plus difficiles qu'aujourd'hui à tous les points de vue? N'avez-vous vraiment pas d'autres moyens d'actions, d'autres objectifs que ceux de la finance et de l'ultralibéralisme?

Après le peuple français en 2005 et sans oublier les peuples irlandais et hollandais, que vous avez superbement ignorés et humiliés, montrant là une bien étrange application du mot compromis, le peuple grec vous rappelle encore en 2015 la définition du mot Démocratie.

Il serait sans doute temps d'écouter ce nouvel avertissement ou à vos risques et périls d'avancer au moins au grand jour et de ne plus vous cacher derrière ces belles idées d'Europe et de Démocratie.

Et si vous manquez d’inspiration… lisez donc le discours qui suit… Il ne date pas d’hier mais comporte tout ce que les peuples attendent : Loi, Justice, droit, devoir, paix, intérêts communs, destinée commune, nations, qualités distinctes, glorieuses individualités, fraternité européenne, commerce, esprits, idées, suffrage universel des peuples, arbitrage d’un grand sénat souverain


« Messieurs, si quelqu'un, il y a quatre siècles, à l'époque où la guerre existait de commune à commune, de ville à ville, de province à province, si quelqu'un eût dit à la Lorraine, à la Picardie, à la Normandie, à la Bretagne, à l'Auvergne, à la Provence, au Dauphiné, à la Bourgogne : Un jour viendra où vous ne vous ferez plus la guerre, un jour viendra où vous ne lèverez plus d'hommes d'armes les uns contre les autres, un jour viendra où l'on ne dira plus :-Les normands ont attaqué les picards, les lorrains ont repoussé les bourguignons. Vous aurez bien encore des différends à régler, des intérêts à débattre, des contestations à résoudre, mais savez-vous ce que vous mettrez à la place des hommes d'armes ? savez-vous ce que vous mettrez à la place des gens de pied et de cheval, des canons, des fauconneaux, des lances, des piques, des épées ? Vous mettrez une petite boîte de sapin que vous appellerez l'urne du scrutin, et de cette boîte il sortira, quoi ? une assemblée ! une assemblée en laquelle vous vous sentirez tous vivre, une assemblée qui sera comme votre âme à tous, un concile souverain et populaire qui décidera, qui jugera, qui résoudra tout en loi, qui fera tomber le glaive de toutes les mains et surgir la justice dans tous les cœurs, qui dira à chacun : Là finit ton droit, ici commence ton devoir. Bas les armes ! vivez en paix ! Et ce jour-là, vous vous sentirez une pensée commune, des intérêts communs, une destinée commune ; vous vous embrasserez, vous vous reconnaîtrez fils du même sang et de la même race ; ce jour-là, vous ne serez plus des peuplades ennemies, vous serez un peuple ; vous ne serez plus la Bourgogne, la Normandie, la Bretagne, la Provence, vous serez la France. Vous ne vous appellerez plus la guerre, vous vous appellerez la civilisation.

Si quelqu'un eût dit cela à cette époque, messieurs, tous les hommes positifs, tous les gens sérieux, tous les grands politiques d'alors se fussent écriés :-Oh ! le songeur ! Oh ! le rêve-creux ! Comme cet homme connaît peu l'humanité ! Que voilà une étrange folie et une absurde chimère !-Messieurs, le temps a marché, et cette chimère, c'est la réalité. 

Et, j'insiste sur ceci, l'homme qui eût fait cette prophétie sublime eût été déclaré fou par les sages, pour avoir entrevu les desseins de Dieu ! 

Eh bien ! vous dites aujourd'hui, et je suis de ceux qui disent avec vous, tous, nous qui sommes ici, nous disons à la France, à l'Angleterre, à la Prusse, à l'Autriche, à l'Espagne, à l'Italie, à la Russie, nous leur disons :

Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu'elle serait impossible et qu'elle paraîtrait absurde aujourd'hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'assemblée législative est à la France ! Un jour viendra où l'on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd'hui un instrument de torture, en s'étonnant que cela ait pu être ! Un jour viendra où l'on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d'Amérique, les États-Unis d'Europe, placés en face l'un de l'autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies […]. »


Congrès de la Paix, 1849, Victor Hugo, Actes et Paroles, 1849.

 
The Final Countdown

samedi 20 juin 2015

La Nuit des Rois

Assister à la représentation, d’une pièce classique ou originale, par une compagnie d’amateurs (le mot n’est pas péjoratif bien au contraire) est toujours le moyen de se rassurer sur le plan culturel : 

Non, le talent n’est décidément pas héréditaire et l’on peut prendre un plaisir immense à découvrir ou redécouvrir des œuvres alors que l’affiche ne comporte aucun nom de « fils de » ou « fille de »… 

Oui, le théâtre est bien un genre littéraire à part puisqu’il suppose une re-création permanente des textes des plus grands dramaturges que l’on adapte, que l’on modernise, pour proposer des lectures et des interprétations personnelles et courageuses. Et nul besoin d’avoir une renommée germanopratine pour s’approprier les auteurs classiques tout en leur témoignant le plus grand des respects. 

Oui, avec peu de moyens et beaucoup d’énergie, de travail, de volonté, on peut proposer des spectacles d’une qualité qui n’a rien à envier aux grandes salles subventionnées et aux âmes comédiennes bien nées. 

La Nuit des Rois de William Shakespeare par la Compagnie Icare est une nouvelle preuve de ces quelques remarques.

La mise en scène illustre parfaitement d’emblée la fameuse phrase du dramaturge « All the world is a stage », (la vie est un théâtre, notre quotidien est une scène), puisque la pièce est déjà commencée lorsque l’on pénètre dans la salle. Tentative astucieuse de briser la frontière entre le spectacle et la réalité. L’Illyrie, lieu de l’intrigue, devient une discothèque, lieu de fête, de musique, d’alcool, de débauche et d’intrigues amoureuses. Jumeaux séparés par un naufrage. Quiproquo sur l’identité des personnages. Séductions amoureuses. Vilains tours pour ridiculiser les méchants et les benêts… Tous les ressorts de la comédie sont magnifiquement interprétés par cette troupe où tous les comédiens se montrent à la hauteur des exigences du texte. 

Mention particulière cependant à deux rôles : ceux de Malvolio et de Feste, le fou. Monologue et bouleversement psychologique majeur pour le premier, anticonformisme, jeu sur le langage et chant pour le deuxième. Deux rôles qui n’ont rien de secondaires par leurs difficultés respectives et dont les comédiens se tirent magnifiquement. Le duo des parasites fêtards, Toby et Andrew, donne une interprétation haute en couleur qui assure bien sa fonction principale, faire rire. Les suivants manipulateurs, Fabien et Maria, se démarquent également et confirment l’impression que les intrigues secondaires donnent finalement l’intérêt majeur de cette représentation. Choix du metteur en scène ? L’important ne serait pas où l’on croit ? Sens qui nous trompent ? Jeux de dupes ? Illusions théâtrales ?

Avouons en effet que l’intrigue principale des jumeaux séparés (Viola-Sébastien) et des amours de Viola déguisé en Cesario, du Duc Orsino, et d’Olivia, aurait mérité, au vue de la qualité de l’interprétation, quelques trouvailles de mise en scène propres à illustrer la notion du double, du travestissement, de l’imagination, de la passion amoureuse…  Mais l’essentiel est là. Le plaisir est atteint et l’on attend de pied ferme la prochaine adaptation de cette troupe talentueuse. 

Le théâtre appartient à tous. Le spectacle est partout. Sortez des sentiers battus. Eloignez-vous des affiches majeures. Le plaisir, la découverte, les interprétations et les analyses n’en sont pas moindres…

B.H.


samedi 13 juin 2015

Dialogue romanesque?



10 minutes avec Victor Hugo et un extrait de son roman consacré à la Révolution française : Quatre-vingt treize, publié en 1873. On y relève deux conceptions de la République, deux conceptions de l’existence. Toujours d’actualité?


Ces deux hommes causaient. Gauvain disait :

- Les grandes choses s'ébauchent. Ce que la révolution fait en ce moment est mystérieux. Derrière l'œuvre visible il y a l'œuvre invisible. L'une cache l'autre. L'œuvre visible est farouche, l'œuvre invisible est sublime. En cet instant je distingue tout très nettement. C'est étrange et beau. Il a bien fallu se servir des matériaux du passé. De là cet extraordinaire 93. Sous un échafaudage de barbarie se construit un temple de civilisation.

- Oui, répondit Cimourdain. De ce provisoire sortira le définitif. Le définitif, c'est-à-dire le droit et le devoir parallèles, l'impôt proportionnel et progressif, le service militaire obligatoire, le nivellement, aucune déviation, et, au-dessus de tous et de tout, cette ligne droite, la loi. La république de l'absolu.

- Je préfère, dit Gauvain, la république de l'idéal. Il s'interrompit, puis continua :

- O mon maître, dans tout ce que vous venez de dire, où placez-vous le dévouement, le sacrifice, l'abnégation, l'entrelacement magnanime des bienveillances, l'amour ? Mettre tout en équilibre, c'est bien ; mettre tout en harmonie, c'est mieux. Au-dessus de la balance il y a la lyre. Votre république close, mesure et règle l'homme ; la mienne l'emporte en plein azur ; c'est la différence qu'il y a entre un théorème et un aigle.
- Tu te perds dans le nuage.
- Et vous dans le calcul.
- Il y a du rêve dans l'harmonie.
- Il y en a aussi dans l'algèbre.
- Je voudrais l'homme fait par Euclide.
- Et moi, dit Gauvain, je l'aimerais mieux fait par Homère.

Le sourire sévère de Cimourdain s'arrêta sur Gauvain comme pour tenir cette âme en arrêt.

- Poésie.
- Défie-toi des poëtes.
- Oui, je connais ce mot. Défie-toi des souffles, défie-toi des rayons, défie-toi des parfums, défie-toi des fleurs, défie-toi des constellations.
- Rien de tout cela ne donne à manger.
- Qu'en savez-vous ? l'idée aussi est nourriture. Penser, c'est manger.
- Pas d'abstraction. La république c'est deux et deux font quatre. Quand j'ai donné à chacun ce qui lui revient...
- Il vous reste à donner à chacun ce qui ne lui revient pas.
- Qu'entends-tu par là ?
- J'entends l'immense concession réciproque que chacun doit à tous et que tous doivent à chacun, et qui est toute la vie sociale.
- Hors du droit strict, il n'y a rien.
- Il y a tout.
-Je ne vois que la justice.
- Moi, je regarde plus haut.
- Qu'y a-t-il donc au-dessus de la justice ?
- L'équité.

Par moments ils s'arrêtaient comme si des lueurs passaient. Cimourdain reprit :

- Précise, je t'en défie.
- Soit. Vous voulez le service militaire obligatoire. Contre qui ? contre d'autres hommes. Moi, je ne veux pas de service militaire. Je veux la paix. Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère supprimée. Vous voulez l'impôt proportionnel. Je ne veux point d'impôt du tout. Je veux la dépense commune réduite à sa plus simple expression et payée par la plus-value sociale.
- Qu'entends-tu par là ?
- Ceci : d'abord supprimez les parasitismes ; le parasitisme du prêtre, le parasitisme du juge, le parasitisme du soldat. Ensuite, tirez parti de vos richesses ; vous jetez l'engrais à l'égout, jetez-le au sillon. Les trois quarts du sol sont en friche, défrichez la France, supprimez les vaines pâtures ; partagez les terres communales. Que tout homme ait une terre, et que toute terre ait un homme. Vous centuplerez le produit social. La France, à cette heure, ne donne à ses paysans que quatre jours de viande par an ; bien cultivée, elle nourrirait trois cent millions d'hommes, toute l'Europe. Utilisez la nature, cette immense auxiliaire dédaignée. Faites travailler pour vous tous les souffles de vent, toutes les chutes d'eau, tous les effluves magnétiques. Le globe a un réseau veineux souterrain ; il y a dans ce réseau une circulation prodigieuse d'eau, d'huile, de feu ; piquez la veine du globe, et faites jaillir cette eau pour vos fontaines, cette huile pour vos lampes, ce feu pour vos foyers. Réfléchissez au mouvement des vagues, au flux et reflux, au va-et-vient des marées. Qu'est-ce que l'océan ? une énorme force perdue. Comme la terre est bête ! ne pas employer l'océan !
- Te voilà en plein songe.
- C'est-à-dire en pleine réalité.

Gauvain reprit :

- Et la femme ? qu'en faites-vous ?

Cimourdain répondit :

- Ce qu'elle est. La servante de l'homme.
- Oui. A une condition.
- Laquelle ?
- C'est que l'homme sera le serviteur de la femme.
- Y penses-tu ? s'écria Cimourdain, l'homme serviteur ! jamais. L'homme est maître. Je n'admets qu'une royauté, celle du foyer. L'homme chez lui est roi.
- Oui. A une condition.
- Laquelle ?
- C'est que la femme y sera reine.
- C'est-à-dire que tu veux pour l'homme et pour la femme...
- L'égalité.
- L'égalité ! y songes-tu ? les deux êtres sont divers.
- J'ai dit l'égalité. Je n'ai pas dit l'identité.

Il y eut encore une pause, comme une sorte de trêve entre ces deux esprits échangeant des éclairs. Cimourdain la rompit.

- Et l'enfant ! à qui le donnes-tu ?
- D'abord au père qui l'engendre, puis à la mère qui l'enfante, puis au maître qui l'élève, puis à la cité qui le virilise, puis à la patrie qui est la mère suprême, puis à l'humanité qui est la grande aïeule.
- Tu ne parles pas de Dieu.
- Chacun de ces degrés, père, mère, maître, cité, patrie, humanité, est un des échelons de l'échelle qui monte à Dieu.

Cimourdain se taisait, Gauvain poursuivit :

- Quand on est au haut de l'échelle, on est arrivé à Dieu. Dieu s'ouvre ; on n'a plus qu'à entrer. 

Cimourdain fit le geste d'un homme qui en rappelle un autre.

- Gauvain, reviens sur la terre. Nous voulons réaliser le possible.
- Commencez par ne pas le rendre impossible.
- Le possible se réalise toujours.
- Pas toujours. Si l'on rudoie l'utopie, on la tue. Rien n'est plus sans défense que l'œuf.
- Il faut pourtant saisir l'utopie, lui imposer le joug du réel, et l'encadrer  dans le fait. L'idée abstraite doit se transformer en idée concrète ; ce qu'elle perd en beauté, elle le regagne en utilité ; elle est moindre, mais meilleure. Il faut que le droit entre dans la loi ; et, quand le droit s'est fait loi, il est absolu. C'est là ce que j'appelle le possible.
- Le possible est plus que cela.
- Ah ! te revoilà dans le rêve.
- Le possible est un oiseau mystérieux toujours planant au-dessus de l'homme.
- Il faut le prendre.
- Vivant.

Gauvain continua :

- Ma pensée est : Toujours en avant. Si Dieu avait voulu que l'homme reculât, il lui aurait mis un œil derrière la tête. Regardons toujours du côté de l'aurore, de l'éclosion, de la naissance. Ce qui tombe encourage ce qui monte. Le craquement du vieil arbre est un appel à l'arbre nouveau. Chaque siècle fera son œuvre, aujourd'hui civique, demain humaine. Aujourd'hui la question du droit, demain la question du salaire. Salaire et droit, au fond c'est le même mot. L'homme ne vit pas pour n'être point payé ; Dieu en donnant la vie contracte une dette ; le droit, c'est le salaire inné ; le salaire, c'est le droit acquis.

Gauvain parlait avec le recueillement d'un prophète. Cimourdain écoutait. Les rôles étaient intervertis, et maintenant il semblait que c'était l'élève qui était le maître.

Cimourdain murmura :

- Tu vas vite.
- C'est que je suis peut-être un peu pressé, dit Gauvain en souriant. Et il reprit :

- O mon maître, voici la différence entre nos deux utopies. Vous voulez la caserne obligatoire, moi, je veux l'école. Vous rêvez l'homme soldat, je rêve l'homme citoyen. Vous le voulez terrible, je le veux pensif. Vous fondez une république de glaives, je fonde...

Il s'interrompit :

- Je fonderais une république d'esprits.

Cimourdain regarda le pavé du cachot, et dit :

- Et en attendant que veux-tu ?
- Ce qui est.
- Tu absous donc le moment présent ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est une tempête. Une tempête sait toujours ce qu'elle fait. Pour un chêne foudroyé, que de forêts assainies ! La civilisation avait une peste, ce grand vent l'en délivre. Il ne choisit pas assez peut-être. Peut-il faire autrement ? Il est chargé d'un si rude balayage ! Devant l'horreur du miasme, je comprends la fureur du souffle.

Gauvain continua :

- D'ailleurs, que m'importe la tempête, si j'ai la boussole, et que me font les événements, si j'ai ma conscience !

Et il ajouta de cette voix basse qui est aussi la voix solennelle :

- Il y a quelqu'un qu'il faut toujours laisser faire.
- Qui ? demanda Cimourdain.

Gauvain leva le doigt au-dessus de sa tête. Cimourdain suivit du regard la direction de ce doigt levé, et, à travers la voûte du cachot, il lui sembla voir le ciel étoilé.

Ils se turent encore. Cimourdain reprit :

- Société plus grande que nature. Je te le dis, ce n'est plus le possible, c'est le rêve.
- C'est le but. Autrement, à quoi bon la société ? Restez dans la nature. Soyez les sauvages. Otaïti est un paradis. Seulement, dans ce paradis on ne pense pas. Mieux vaudrait encore un enfer intelligent qu'un paradis bête. Mais non, point d'enfer. Soyons la société humaine. Plus grande que nature. Oui. Si vous n'ajoutez rien à la nature, pourquoi sortir de la nature ? Alors, contentez-vous du travail comme la fourmi, et du miel comme l'abeille. Restez la bête ouvrière au lieu d'être l'intelligence reine. Si vous ajoutez quelque chose à la nature, vous serez nécessairement plus grand qu'elle ; ajouter, c'est augmenter ; augmenter, c'est grandir. La société, c'est la nature sublimée. Je veux tout ce qui manque aux ruches, tout ce qui manque aux fourmilières, les monuments, les arts, la poésie, les héros, les génies. Porter des fardeaux éternels, ce n'est pas la loi de l'homme. Non, non, non, plus de parias, plus d'esclaves, plus de forçats, plus de damnés ! Je veux que chacun des attributs de l'homme soit un symbole de civilisation et un patron de progrès ; je veux la liberté devant l'esprit, l'égalité devant le cœur, la fraternité devant l'âme. Non ! plus de joug ! l'homme est fait, non pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes. Plus d'homme reptile. Je veux la transfiguration de la larve en lépidoptère ; je veux que le ver de terre se change en une fleur vivante, et s'envole. Je veux...

Il s'arrêta. Son œil devint éclatant. Ses lèvres remuaient. Il cessa de parler. La porte était restée ouverte. Quelque chose des rumeurs du dehors pénétrait dans le cachot. On entendait de vagues clairons, c'était probablement la diane ; puis des crosses de fusil sonnant à terre, c'étaient les sentinelles qu'on relevait ; puis, assez près de la tour, autant qu'on en pouvait juger dans l'obscurité, un mouvement pareil à un remuement de planches et de madriers, avec des bruits sourds et intermittents qui ressemblaient à des coups de marteau. Cimourdain, pâle, écoutait. Gauvain n'entendait pas. Sa rêverie était de plus en plus profonde. Il semblait qu'il ne respirât plus, tant il était attentif à ce qu'il voyait sous la voûte visionnaire de son cerveau. Il avait de doux tressaillements. La clarté d'aurore qu'il avait dans la prunelle grandissait.

Un certain temps se passa ainsi. Cimourdain lui demanda :

- A quoi penses-tu ?
- A l'avenir, dit Gauvain.

Et il retomba dans sa méditation. Cimourdain se leva du lit de paille où ils étaient assis tous les deux. Gauvain ne s'en aperçut pas. Cimourdain, couvant du regard le jeune homme pensif, recula lentement jusqu'à la porte, et sortit. Le cachot se referma.

Victor Hugo, Quatre-vingt treize, Troisième partie, Livre VI, chapitre V



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