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vendredi 20 décembre 2013

Barbusse, Barrès et le Bac de français...



Deux textes.


Deux évocations littéraires des combats des tranchées lors de la Première guerre mondiale.


Un moyen d’observer la nécessité des cours de littérature au collège et au lycée. Les mots, la grammaire, les figures de rhétorique ont un pouvoir. Le style d’un auteur, loin d’être seulement un ornement, un choix artistique, est également le moyen de renforcer ses intentions. Le but d’un exercice comme le commentaire composé au baccalauréat est d’étudier en quoi le style renforce parfois les intentions d’un auteur.


Tous les textes n’ont pas pour seule finalité la beauté. Savoir déceler les procédés d’écriture, les analyser, identifier les contextes d’écriture, déterminer les parcours des auteurs, sont des moyen de se préparer au métier de citoyen. C’est une démarche à suivre au quotidien lorsque que l’on lit la presse, lorsque l’on écoute les discours de nos élus ou de ceux et celles qui aspirent à l’être… ou lorsque l'on est soumis à la publicité et aux réseaux sociaux...  






Tout d’abord, Lisons les deux extraits.


Texte 1.


Brusquement, devant nous, sur toute la largeur de la descente, de sombres flammes s'élancent en frappant l'air de détonations épouvantables. En ligne, de gauche à droite, des fusants sortent du ciel, des explosifs sortent de la terre. C'est un effroyable rideau qui nous sépare du monde, nous sépare du passé et de l'avenir. On s'arrête, plantés au sol, stupéfiés par la nuée soudaine qui tonne de toutes parts ; puis un effort simultané soulève notre masse et la rejette en avant, très vite. On trébuche, on se retient les uns aux autres, dans de grands flots de fumée. On voit, avec de stridents fracas et des cyclones de terre pulvérisée, vers le fond où nous nous précipitons pêle-mêle, s'ouvrir des cratères, ça et là, à côté les uns des autres, les uns dans les autres. Puis on ne sait plus où tombent les décharges. Des rafales se déchaînent si monstrueusement retentissantes qu'on se sent annihilé par le seul bruit de ces averses de tonnerre, de ces grandes étoiles de débris qui se forment en l'air.


On voit, on sent passer près de sa tête des éclats avec leur cri de fer rouge dans l'eau. À un coup, je lâche mon fusil, tellement le souffle d'une explosion m'a brûlé les mains. Je le ramasse en chancelant et repars tête baissée dans la tempête à lueurs fauves, dans la pluie écrasante des laves, cinglé par des jets de poussier et de suie.


Les stridences des éclats qui passent vous font mal aux oreilles, vous frappent sur la nuque, vous traversent les tempes, et on ne peut retenir un cri lorsqu'on les subit.


On a le cœur soulevé, tordu par l'odeur soufrée. Les souffles de la mort nous poussent, nous soulèvent, nous balancent. On bondit ; on ne sait pas où on marche. Les yeux clignent, s'aveuglent et pleurent. Devant nous, la vue est obstruée par une avalanche fulgurante, qui tient toute la place. C'est le barrage. Il faut passer dans ce tourbillon de flammes et ces horribles nuées verticales. On passe. On est passé, au hasard : j'ai vu, ça et là, des formes tournoyer, s'enlever et se coucher, éclairées d'un brusque reflet d'au-delà. J'ai entrevu des faces étranges qui poussaient des espèces de cris, qu'on apercevait sans les entendre dans l'anéantissement du vacarme. Un brasier avec d'immenses et furieuses masses rouges et noires tombait autour de moi, creusant la terre, sortant de dessous mes pieds, et me jetant de côté comme un jouet rebondissant. Je me rappelle avoir enjambé un cadavre qui brûlait, tout noir, avec une nappe de sang vermeil qui grésillait sur lui, et je me souviens aussi que les pans de la capote qui se déplaçait près de moi avaient pris feu et laissaient un sillon de fumée. À notre droite, tout au long du boyau 97, on a le regard attiré et ébloui par une file d'illuminations affreuses, serrées l'une contre l'autre comme des hommes.


- En avant !


Maintenant, on court presque. On en voit qui tombent tout d'une pièce, la face en avant, d'autres qui échouent humblement, comme s'ils s'asseyaient par terre. On fait de brusques écarts pour éviter les morts allongés, sages et raides, ou bien cabrés, et aussi, pièges plus dangereux, les blessés qui se débattent et qui s'accrochent.


Le Boyau International!


On y est. Les fils de fer ont été déterrés avec leurs longues racines en vrille, jetés ailleurs et enroulés, balayés, poussés en vastes monceaux par le canon. Entre ces grands buissons de fer humides de pluie, la terre est ouverte, libre. [...]


- En avant ! crie un soldat quelconque.


Alors tous reprennent en avant, avec une hâte croissante, la course à l'abîme. [...]


Une nuée de balles gicle autour de moi, multipliant les arrêts subis, les chutes retardées, révoltées, gesticulantes, les plongeons faits d'un bloc avec tout le fardeau du corps, les cris, les exclamations sourdes, rageuses, désespérées ou bien les " han ! " terribles et creux où la vie entière s'exhale d'un coup. Et nous qui ne sommes pas encore atteints, nous regardons en avant, nous marchons, nous courons, parmi les jeux de la mort qui frappe au hasard dans toute notre chair.


Henri BARBUSSE, Le Feu, Journal d'une escouade, 1916,




Texte 2.


« Debout les morts »


Je me retourne vers les cadavres étendus. Je pense : « Alors, leur sacrifice va être inutile ? Ce sera en vain qu’ils seront tombés ? Et les Boches vont revenir ? Et ils nous voleront nos morts ?... ». La colère me saisit. De mes gestes, de mes paroles exactes, je n’ai plus souvenance. Je sais seulement que j’ai crié à peu près ceci : « Holà ! Qu’est-ce que vous foutez par terre ? Levez-vous, debout ! et allons foutre ces cochons-là dehors ! »


Debout les morts !... Coup de folie ? Non. Car les morts me répondirent. Ils me dirent : »Nous te suivons. » Et se levant à mon appel, leurs âmes se mêlèrent à mon âme et en firent une masse de feu, un large fleuve de métal en fusion. Rien ne pouvait plus m’étonner, m’arrêter. J’avais la foi qui soulève les montagnes. Ma voix, éraillée et usée à crier des ordres pendant ces deux jours et cette nuit, m’était revenue, claire et forte.


Ce qui s’est passé alors ? Comme je ne veux vous raconter que ce dont je me souviens, en laissant à l’écart ce que l’on m’a rapporté par la suite, je dois sincèrement avouer que je ne le sais pas, il y a un trou dans mes souvenirs, l’action a mangé la mémoire. J’ai simplement l’idée vague d’une offensive désordonnée. Nous sommes deux, trois, quatre ou plus contre une multitude, mais cela nous est orgueil et réconfort. Un des hommes de ma section, blessé au bras, continuait de lancer sur l’ennemi des grenades tachées de son sang. Pour moi, j’ai l’impression d’avoir eu un corps grandi et grossi démesurément, un corps de géant, avec une vigueur surabondante, illimitée, une aisance extraordinaire de pensée qui me permettait d’avoir l’œil de dix côtés à la fois, de crier un ordre à l’un tout en donnant à un autre un ordre par geste, de tirer un coup de fusil et de me garer en même temps d’une grenade menaçante. Prodigieuse intensité de vie, avec des circonstances extraordinaires. Par deux fois les grenades nous manquent, et par deux fois nous en découvrons à nos pieds des sacs pleins, mêlés aux sacs à terre. Toute la journée, nous étions passés dessus sans les voir. Mais c’étaient les morts qui les avaient mis là ?...


Maurice Barrès, « Debout les morts » 17 novembre 1915,


dans Chroniques de la grande guerre, 1920-1924.




Ensuite, lisons, les notions biographiques des deux auteurs et les contextes d’écriture.


Henri Barbusse (1873-1935) s’engage volontairement à quarante et un ans en 1914. Blessé, il rédige son ouvrage, Le Feu, Journal d’une escouade, à l’hôpital de Chartres en 1916. Il y relate son expérience de soldat en Artois et en Champagne. Il est le premier à révéler l’enfer des tranchées : la vie quotidienne dans la boue, avec les rats, les poux ; les bombardements d'artillerie, les attaques à la baïonnette dans la présence obsédante de la mort. Au chapitre 20, c'est l'assaut; il faut essuyer un violent tir de barrage d'artillerie avant de parvenir à la tranchée ennemie.


Maurice Barrès (1862-1923) est un écrivain nationaliste ayant affirmé la culpabilité de Dreyfus. Rêvant d’une revanche sur l’Allemagne, après la défaite de 1870, il est l’un des grands partisans de la guerre de 1914. Dans les quatorze tomes de Chroniques de la grande guerre, Barrès a regroupé ses chroniques journalistiques qu’il rédigea pendant la première guerre mondiale. Trop vieux pour faire la guerre, il participait à sa façon en tentant de soutenir le moral des troupes et des civils par ses écrits.




Enfin, observons les analyses possibles des deux extraits.



Plan possible de commentaire composé pour le texte de Barbusse.
 - procédés → Analyse
=> Interprétation.



Axe de lecture n°1
Axe de lecture n°2
Axe de lecture n°3
L’apocalypse
Le soldat, un combattant ?
La mort inévitable
A. Le monde des enfers
- métaphore « descente » → profondeur. Monde souterrain.
- adjectifs qualificatifs d’une vision d’horreur→ amplification de l’atmosphère infernale
- Substantifs (« au-delà »)… et adverbe(« monstrueusement ») → Peur, terreur du lecteur.
=> Univers de destruction. Rôle inutile de l’homme
A. Deshumanisation des soldats
- prédominance du pronom personnel indéfini « on » → groupe indistinct.
- Fin de l’extrait « nous » → groupe plus petit : les survivants. Opposition aux morts et aux blessés.
- occurrence du « je » associé au regard. → souvenir du narrateur ;témoignage. Aucune action de bravoure. Témoin de la mort des autres
- désignation des soldats, « formes » ; « faces », »tout d’une pièce » métonymie « capote » → retire humanité
=> souligne le peu de valeur de la vie humaine.
A. Omniprésence du danger
- champ lexical des armes → origines multiples de la mort « canons » ; « explosifs », « balles », « éclats » ; « fusants ».
- CC de lieu → provenance multiples du danger. Toutes les directions.
- comparaison « blessés » à des « pièges » → aucune solidarité possible. Camarades assimilés à la mort.
« vous » présence du destinataire pour évoquer la souffrance→ implication du lecteur. Susciter sa compassion.
=> . Aucune issue. Fatalité du soldat.
B. Déchaînements de la nature
- métaphore filée : assimilation des canons aux catastrophes naturelles (« cyclone » ; « cratères » ; « lave » ; « tourbillon » ;« flots »; « tonnerre » ;« tempête » → puissance des armes
- Champ lexical des éléments Terre, eau, feu, air → Nature déchaînée dangereuse.
=> Barrage assimilé à une Lutte vaine des soldats contre les éléments.
B. Soumission aux événements
- Champ lexical de la vue → aucune aide : aveuglement du soldat.
- Champ lexical du bruit associé à la souffrance→ aucun repère.
- Soldat en position de COD → subit les actions exprimées par les verbes, « nous poussent » « nous balancent ».
- Champ lexical de la vitesse → aucune compréhension des événements.
=> Aucune action possible. mise en valeur de la force des tirs d’artillerie.
B. La course vers la mort
- Verbes de déplacement et champ lexical de la profondeur → voyage vers la mort.
- métaphore de la tombe « terre ouverte » ; « cratère » ; « trou ».→ champ de bataille est assimilé à un charnier. « morts allongés, sages, raides ou bien cabrés ».
- « abîme » pour tranchée → symbolise la mort.
=> Assaut vers la tranchée ennemie n’est qu’une course à la mort.
C. Absence de combat.
- une seule mention du mot soldat → retire la qualité, le rôle de l’homme sur le champ de bataille.
- pas usage des armes, lâche son arme → pas d’action. Soldat n’accomplit pas sa tâche.
- Verbes de déplacement uniquement pour les actions des soldats → guerrier ne peut que se déplacer.
=> pas d’héroïsation du soldat.
C. Le hasard
- « au hasard » répétées à deux reprises → souligne la soumission du soldat aux événements.
- Champ lexical du jeu→ rôle désuet du soldat « jouet rebondissant ».
Métaphore « jeux de la mort » pour les armes ennemies. → souligne le caractère cynique de la guerre moderne. Soldat est un pantin.
=> champ de bataille est un terrain de jeu macabre. Soldats sont des pions inutiles pour l’issue de la partie. Chair à canons.
C. Destin inévitable
- litote « nous qui ne sommes pas encore atteints » → renforce les faibles chances de s’en sortir indemne.
- « en avant » répétés 5 fois → aucun moyen de reculer
- citation ligne 4-5 anaphore. « nous sépare du monde, nous sépare du passé, de l’avenir ». → transformation durable de l’homme par cette expérience.
=> isolement total du soldat. Traumatisme éternel du soldat.






Plan possible de commentaire composé pour le texte de Barrès
- procédés → Analyse
=> Interprétation.


Axe de lecture n°1
Axe de lecture n°2
Axe de lecture n°3
Une Illusion de témoignage
Un combat irréel
L’apologie du sacrifice
A. Un soldat narrateur
-Première personne sing →illusion d’un narrateur ayant vécu les faits.
-Langage familier et discours direct → illusion du réel. Un soldat parle
-présent énonciation / temps du récit. → retour sur les faits. Impression de témoignage
- marque du destinataire « vous » → rapprochement narrateur et lecteur : illusion de réel encore une fois
=>volonté d’emporter l’adhésion du lecteur par l’illusion d’un témoignage véridique
A. De l’épique…
- Adjectifs mélioratifs→ mise en valeur de l’héroïsme
- Champ lexical combat, des armes → mise en valeur de la dextérité du soldat.
- Première personne du pluriel → du Je au nous : union des soldats. Mise en valeur de la solidarité au combat.
- petit nombre soldat / Multitude des ennemis.→ combat ultime. Renforce la bravoure.
-énumération, multiples actions simultanées → enchainement des actions du soldat. Héros.
=> susciter l’admiration du lecteur
A. Le rôle des morts
- appel du vivant aux morts.→ Union de tous les soldats
-réponse des morts. Italique.→ mise en valeur de l’élément fantastique. Soutien moral
- munitions aux vivants. Deux fois → soutien concret et répété
- fusion des âmes morts/ vivants → grandeur de la cause.
-« foi », « Levez-vous » allusion mystique. Religion. → Magnifier le combat. Caution religieuse.
=> Mort n’est pas inutile. Soutien aux civils. Minimiser le traumatisme des chiffres de pertes.
B. Au cœur de l’action
- Présent de narration → récit vivant.
- Passé simple → mise en valeur d’un moment du passé. Action de premier plan
- Rythme rapide → Vivacité du soldat. Mettre en valeur les actes rapides et multiples
- verbes d’action → montrer la capacité de réaction et de décision du soldat narrateur.
=> impressionner le lecteur par un récit vif, haletant, d’un combat.
B … au fantastique
- Champ lexical Doute → intrusion d’un fait inexplicable
- phrases interrogatives → renforce les doutes et l’inexplicable
-« coup de folie ? » « non » assurance du soldat en opposition avec le doute  →  caractéristique traditionnel d'un fait fantastique. Intervention direct des tués au combat.
- transformation physique du soldat → mélange des âmes. Fusion du monde spirituel et du monde réel.
=> donner l’impression d’une victoire inéluctable. Vers la Propagande.
B. Le don de soi
- Emotion vive (« colère ») dépasse la raison → ne plus réfléchir pour la cause.
- Oubli et Champ lexical mémoire → Absence de réflexion. Action spontanée.
- « sacrifice » → mourir pour la France est glorifié.
- « grenades tachées de sang » → image : donner son sang.
- phrase nominale → mise en valeur des circonstances et des conséquences.
- Transformation physique → homme nouveau. Rendu plus fort par la présence des morts.
=> Magnifier la Défense de la patrie. La passion dépasse la raison.






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