Google+ Article deux: août 2014

dimanche 31 août 2014

Léa est formidable...


Dans la série "les nouveaux chiens de garde" encore un bel exemple d'auto-promo entre cop... entre consœurs... Article du Parisien concernant la première de +Léa Salamé dans une émission du service public... On cherche encore où est l'info mais bon...


Dans cet article paru dans Le Parisien du 30/08/14, la journaliste dresse un portrait de Léa Salamé. Elle commence en effet une nouvelle émission ce soir, sur une nouvelle chaîne (elle semble avoir la bougeotte, en 8 ans de carrière et à peine 35 ans, il s'agira de son 4ème employeur télé).


Nous apprenons qu'elle n'est "pas arrogante", "a de grands yeux noirs mystérieux", "se régale de viennoiseries" et "est jolie au naturel"... Diable, serions-nous devant une rubrique mode, maquillage, coiffure ou conseils minceur de Elle ou Madame Figaro? 


Le lecteur, passé ce début digne d'Antoine Blondin ou Albert Londres, s'il en a le courage, en apprendra beaucoup sur la "gamine intrépide".


Ainsi, fille de bonne famille libano-arménienne, née et ayant vécu ses 5 premières années à Beyrouth, Liban, elle nous apprend que son père, bien que chrétien, aura choisi de vivre dans le quartier musulman de la vile, alors en pleine guerre.


Enfin elle nous l'apprend, nous le narre, en plein storytelling car "Je nais à Beyrouth (qui parle ainsi? On ne dit pas "je suis né à"? passons...), "jusqu'à 5 ans, je vis dans ce monde-là"... Oui tout est tiré de ses propres mots... 


Fuyant la guerre, sa famille s'installe à Paris et atterrit "dans les beaux quartiers". 


Et là, tout s'enchaîne: école alsacienne, assas, sciences-po...et journalisme.


Est-ce son enfance difficile qui lui aura donné le goût de ce beau métier, qui voit des reporters, des techniciens, braver le danger pour nous éclairer sur les tourments de ce monde? C'est décidé, elle sera journaliste.


A ce titre, alors stagiaire, elle "frôle la mort". Diantre! Les écoles de journalistes envoient leurs stagiaires au Soudan, Somalie, Kosovo ou Afghanistan? Ou tout simplement molestée dans une usine en pleine liquidation judiciaire en relatant dans des publications de province encore nombreuses mais fragiles, ou des petites radios associatives?


Non, rassurez-vous. 


Elle était "à Manhattan" (vous noterez la rigueur journalistique nous citant un quartier et nom une ville) lors du fameux 11/09/01. Et là, elle aura beaucoup de chance (Léa est une gamine intrépide ne l'oublions pas) car elle a "couru, par hasard, dans la bonne direction". Pour un peu, on attendrait que la journaliste nous précise qu'elle a pris l'avenue qui mène au pont de Verrazano à l'angle de la boutique The Kooples de la 49è.


La chance ne la quittant plus (l'article nous le dit, elle a "toujours eu de la chance"), elle connaîtra des débuts heureux en 2004 sous le magistère sévère ("à la dure") d'un autre journaliste ayant connu moult employeurs et fonctions dans la carrière: Jean-Pierre Elkabbach. Elle débute sur LCP/Public Sénat.


Pourtant pas rancunière ni dégoûtée après ce départ très dur dans la vie (famille riche et renommée en politique, stage à New-York, début sur une chaîne de télévision dirigée par l'un des plus puissants hommes de média du pays...), elle remercie celui à qui elle doit beaucoup (non pas son père mais Elkabbach).


Le remerciant en quittant dès 2006 cette chaîne pour rejoindre un concurrent en allant sur France 24.


Oups, pardon, j'oubliais, que fait-elle sur ces chaînes? Avec un tel parcours, on ne peut que se dire qu'elle sera grand reporter, en allant sur les terrains les plus complexes: guerres, reportages sur les injustices de ce monde, traque des inégalités... 


Non. Elle est présentatrice télé.


Ha et radio aussi puisqu'elle cumulera, outre Ruquier, la présentation d'une interview sur France Inter le matin (il faut dire que c'est une"mammouth de travail")


Puis hélas elle quitte le service public, pour aller sur I télé, en 2011, pour la riche période qui s'ouvre avec les présidentielles.


Puis donc Ruquier, que pourtant au début elle ne veut pas suivre, mais recevant un sms en pleines vacances (en Avril car le mammouth prend quand même des congés payés en plus de Noël, Pâques, Juillet et Août), elle se laisse convaincre car après tout s'il la veut "il faut y aller" surtout qu'en le voyant "elle a un truc d'instinct".


Soit dit en passant alors qu'on apprend que Ruquier avait 4 autres jeunes femmes en lice, et sachant surtout qu'il lui envoie un sms donc a son numéro, cette proposition est-elle un "truc d'instinct"? 


Donc France 2, pour un retour sur le service public.


Pourrait-on y voir un petit éclairage sur une inclinaison naturelle à la défense des services publics, donc serait-elle plutôt de gauche?


Non, notre gamine intrépide n'est "ni de gauche ni de droite" elle est "un maelstrom de paradoxes". Ha. Lesquels? Qu'est-ce qui la choque? La heurte? L'indiffère? L'intéresse? A part les viennoiseries? On ne sait pas trop, n'allez pas trop dans les détails car ce serait "penser en systèmes" comme Polony et Zemmour ses deux prédécesseurs dans l'émission de Laurent Ruquier. "L'Europe, l'immigration, la cuisson des carottes... ils refusent la complexité".


J'ignorais que ces sujets étaient si simples, surtout pour les carottes. 


Quid de son partenaire Aymeric Caron, lui de gauche caviar bobo? Pense-t-il lui aussi en système? Comprend-t-il la cuisson des artichauts? 


La belle lui trouvera toutes les excuses: "Il a raison de s'engouffrer dans cette parole de gauche assumée, forte, en réponse aux réactionnaires."


Polony et Zemmour apprécieront, renvoyés en deux phrases en penseurs simplistes et réactionnaires, Caron étant un homme courageux, seul contre tous, une sorte de Jean Moulin du PAF. Pour une fille se disant un maelstrom de paradoxes, il semblerait qu'elle soit au contraire assez simpliste et définitive dans ses argumentations.


Nous la quittons sur ses goûts en matière télé ("que des chaînes info","Taddeï et Ardisson", (Comment les connaît-elle? Ils bossent sur BFM maintenant?)), de littérature (Houellebecq, Céline et Dostoïevski) et sur une citation qui la personnifie tellement, de René Char:


"Impose ta chance (d'être née?), serre ton bonheur (un chausson aux pommes?) et impose ton risque (de lire le prompteur?). A te regarder (si belle au naturel), ils s'habitueront (aussi longtemps qu'Elkabbach?)".

S.M. 




vendredi 29 août 2014

Rentrée... Le papa de Simon.

Dernier week-end avant la rentrée. Pour la circonstance, voici une nouvelle de Guy de Maupassant, qui se déroule dans le monde des enfants et de l'école... Tout n'est pas que cynisme et noirceur de l'âme humaine chez Maupassant. En voici la preuve en 10 minutes... Bonne rentrée à toutes et à tous...


LE PAPA DE SIMON


 Midi finissait de sonner. La porte de l'école s'ouvrit, et les gamins se précipitèrent en se bousculant pour sortir plus vite. Mais au lieu de se disperser rapidement et de rentrer dîner, comme ils le faisaient chaque jour, ils s'arrêtèrent à quelques pas, se réunirent par groupes et se mirent à chuchoter.
C'est que, ce matin-là, Simon, le fils de la Blanchotte, était venu à la classe pour la première fois.
Tous avaient entendu parler de la Blanchotte dans leurs familles ; et quoiqu'on lui fît bon accueil en public, les mères la traitaient entre elles avec une sorte de compassion un peu méprisante qui avait gagné les enfants sans qu'ils sussent du tout pourquoi.

 Quant à Simon, ils ne le connaissaient pas, car il ne sortait jamais et il ne galopinait point avec eux dans les rues du village ou sur les bords de la rivière. Aussi ne l'aimaient-ils guère ; et c'était avec une certaine joie, mêlée d'un étonnement considérable, qu'ils avaient accueilli et qu'ils s'étaient répété l'un à l'autre cette parole dite par un gars de quatorze ou quinze ans qui paraissait en savoir long tant il clignait finement des yeux :

 - Vous savez... Simon... eh bien, il n'a pas de papa.

 Le fils de la Blanchotte parut à son tour sur le seuil de l'école. Il avait sept ou huit ans. Il était un peu pâlot, très propre, avec l'air timide, presque gauche.

 Il s'en retournait chez sa mère quand les groupes de ses camarades, chuchotant toujours et le regardant avec les yeux malins et cruels des enfants qui méditent un mauvais coup, l'entourèrent peu à peu et finirent par l'enfermer tout à fait. Il restait là, planté au milieu d'eux, surpris et embarrassé, sans comprendre ce qu'on allait lui faire. Mais le gars qui avait apporté la nouvelle, enorgueilli du succès obtenu déjà, lui demanda :

- Comment t'appelles-tu, toi ?
Il répondit : "Simon."
- Simon quoi ? reprit l'autre.

    
L'enfant répéta tout confus : "Simon."
Le gars lui cria : "On s'appelle Simon quelque chose... c'est pas un nom ça... Simon."
Et lui, prêt à pleurer, répondit pour la troisième fois :
- Je m'appelle Simon.
Les galopins se mirent à rire. Le gars triomphant éleva la voix : "Vous voyez bien qu'il n'a pas de papa."
Un grand silence se fit. Les enfants étaient stupéfaits par cette chose extraordinaire, impossible, monstrueuse, - un garçon qui n'a pas de papa ; - ils le regardaient comme un phénomène, un être hors de la nature, et ils sentaient grandir en eux ce mépris, inexpliqué jusque-là, de leurs mères pour la Blanchotte.
Quand à Simon, il s'était appuyé contre un arbre pour ne pas tomber ; et il restait comme atterré par un désastre irréparable. Il cherchait à s'expliquer. Mais il ne pouvait rien trouver pour leur répondre, et démentir cette chose affreuse qu'il n'avait pas de papa. Enfin, livide, il leur cria à tout hasard : "Si, j'en ai un."
- Où est-il ? demanda le gars.
Simon se tut ; il ne savait pas. Les enfants riaient, très excités ; et ces fils des champs, plus proches des bêtes, éprouvaient ce besoin cruel qui pousse les poules d'une basse-cour à achever l'une d'entre elles aussitôt qu'elle est blessée. Simon avisa tout à coup un petit voisin, le fils d'une veuve, qu'il avait toujours vu, comme lui-même, tout seul avec sa mère.
- Et toi non plus, dit-il, tu n'as pas de papa.
- Si, répondit l'autre, j'en ai un.
- Où est-il ? riposta Simon.
- Il est mort, déclara l'enfant avec une fierté superbe, il est au cimetière, mon papa.
Un murmure d'approbation courut parmi les garnements, comme si ce fait d'avoir son père mort au cimetière eût grandi leur camarade pour écraser cet autre qui n'en avait point du tout. Et ces polissons, dont les pères étaient, pour la plupart, méchants, ivrognes, voleurs et durs à leurs femmes, se bousculaient en se serrant de plus en plus, comme si eux, les légitimes, eussent voulu étouffer dans une pression celui qui était hors la loi.
L'un, tout à coup, qui se trouvait contre Simon, lui tira la langue d'un air narquois et lui cria :
- Pas de papa ! pas de papa !
Simon le saisit à deux mains aux cheveux et se mit à lui cribler les jambes de coups de pieds, pendant qu'il lui mordait la joue cruellement. Il se fit une bousculade énorme. Les deux combattants furent séparés, et Simon se trouva frappé, déchiré, meurtri, roulé par terre, au milieu du cercle des galopins qui applaudissaient. Comme il se relevait, en nettoyant machinalement avec sa main sa petite blouse toute sale de poussière, quelqu'un lui cria :
- Va le dire à ton papa.
Alors il sentit dans son coeur un grand écroulement. Ils étaient plus forts que lui, ils l'avaient battu, et il ne pouvait point leur répondre, car il sentait bien que c'était vrai qu'il n'avait pas de papa. Plein d'orgueil, il essaya pendant quelques secondes de lutter contre les larmes qui l'étranglaient. Il eut une suffocation, puis, sans cris, il se mit à pleurer par grands sanglots qui le secouaient précipitamment.
Alors une joie féroce éclata chez ses ennemis, et naturellement, ainsi que les sauvages dans leurs gaietés terribles, ils se prirent par la main et se mirent à danser en rond autour de lui, en répétant comme un refrain : "Pas de papa ! pas de papa !"
Mais Simon tout à coup cessa de sangloter. Une rage l'affola. Il y avait des pierres sous ses pieds ; il les ramassa et, de toutes ses forces, les lança contre ses bourreaux. Deux ou trois furent atteints et se sauvèrent en criant ; et il avait l'air tellement formidable qu'une panique eut lieu parmi les autres. Lâches, comme l'est toujours la foule devant un homme exaspéré, ils se débandèrent et s'enfuirent.
Resté seul, le petit enfant sans père se mit à courir vers les champs, car un souvenir lui était venu qui avait amené dans son esprit une grande résolution. Il voulait se noyer dans la rivière.
Il se rappelait en effet que, huit jours auparavant, un pauvre diable qui mendiait sa vie s'était jeté dans l'eau parce qu'il n'avait plus d'argent. Simon était là lorsqu'on le repêchait ; et le triste bonhomme, qui lui semblait ordinairement lamentable, malpropre et laid, l'avait alors frappé par son air tranquille, avec ses joues pâles, sa longue barbe mouillée et ses yeux ouverts, très calmes. On avait dit alentour : "Il est mort." Quelqu'un avait ajouté : "Il est bien heureux maintenant." - Et Simon voulait aussi se noyer parce qu'il n'avait pas de père, comme ce misérable qui n'avait pas d'argent.
Il arriva tout près de l'eau et la regarda couler. Quelques poissons folâtraient, rapides, dans le courant clair, et, par moments, faisaient un petit bond et happaient des mouches voltigeant à la surface. Il cessa de pleurer pour les voir, car leur manège l'intéressait beaucoup. Mais, parfois, comme dans les accalmies d'une tempête passent tout à coup de grandes rafales de vent qui font craquer les arbres et se perdent à l'horizon, cette pensée lui revenait avec une douleur aiguë : - "Je vais me noyer parce que je n'ai point de papa."
Il faisait très chaud, très bon. Le doux soleil chauffait l'herbe. L'eau brillait comme un miroir. Et Simon avait des minutes de béatitude, de cet alanguissement qui suit les larmes, où il lui venait de grandes envies de s'endormir là, sur l'herbe, dans la chaleur.
Une petite grenouille verte sauta sous ses pieds. Il essaya de la prendre. Elle lui échappa. Il la poursuivit et la manqua trois fois de suite. Enfin il la saisit par l'extrémité de ses pattes de derrière et il se mit à rire en voyant les efforts que faisait la bête pour s'échapper. Elle se ramassait sur ses grandes jambes, puis, d'une détente brusque, les allongeait subitement, roides comme deux barres ; tandis que, l'oeil tout rond avec son cercle d'or, elle battait l'air de ses pattes de devant qui s'agitaient comme des mains. Cela lui rappela un joujou fait avec d'étroites planchettes de bois clouées en zigzag les unes sur les autres, qui, par un mouvement semblable, conduisaient l'exercice de petits soldats piqués dessus. Alors, il pensa à sa maison, puis à sa mère, et, pris d'une grande tristesse, il recommença à pleurer. Des frissons lui passaient dans les membres ; il se mit à genoux et récita sa prière comme avant de s'endormir. Mais il ne put l'achever, car des sanglots lui revinrent si pressés, si tumultueux, qu'ils l'envahirent tout entier. Il ne pensait plus ; il ne voyait plus rien autour de lui et il n'était occupé qu'à pleurer.
Soudain, une lourde main s'appuya sur son épaule et une grosse voix lui demanda : "Qu'est-ce qui te fait donc tant de chagrin, mon bonhomme ?"
Simon se retourna. Un grand ouvrier qui avait une barbe et des cheveux noirs tout frisés le regardait d'un air bon. Il répondit avec des larmes plein les yeux et plein la gorge :
- Ils m'ont battu... parce que... je... je... n'ai pas... de papa... pas de papa...
- Comment, dit l'homme en souriant, mais tout le monde en a un.
L'enfant reprit péniblement au milieu des spasmes de son chagrin : "Moi... moi... je n'en ai pas."
Alors l'ouvrier devint grave ; il avait reconnu le fils de la Blanchotte, et, quoique nouveau dans le pays, il savait vaguement son histoire.
- Allons, dit-il, console-toi, mon garçon, et viens-t-en avec moi chez ta maman. On t'en donnera... un papa.
Ils se mirent en route, le grand tenant le petit par la main, et l'homme souriait de nouveau, car il n'était pas fâché de voir cette Blanchotte, qui était, contait-on, une des plus belles filles du pays ; et il se disait peut-être, au fond de sa pensée, qu'une jeunesse qui avait failli pouvait bien faillir encore.

Ils arrivèrent devant une petite maison blanche, très propre.
- C'est là, dit l'enfant, et il cria : "Maman !"
Une femme se montra, et l'ouvrier cessa brusquement de sourire, car il comprit tout de suite qu'on ne badinait plus avec cette grande fille pâle qui restait sévère sur sa porte, comme pour défendre à un homme le seuil de cette maison où elle avait été déjà trahie par un autre. Intimidé et sa casquette à la main, il balbutia :
- Tenez, madame, je vous ramène votre petit garçon qui s'était perdu près de la rivière.
Mais Simon sauta au cou de sa mère et lui dit en se remettant à pleurer :
- Non, maman, j'ai voulu me noyer, parce que les autres m'ont battu... m'ont battu... parce que je n'ai pas de papa.
Une rougeur cuisante couvrit les joues de la jeune femme, et, meurtrie jusqu'au fond de sa chair, elle embrassa son enfant avec violence pendant que des larmes rapides lui coulaient sur la figure. L'homme ému restait là, ne sachant comment partir. Mais Simon soudain courut vers lui et lui dit :
- Voulez-vous être mon papa ?
Un grand silence se fit. La Blanchotte, muette et torturée de honte, s'appuyait contre le mur, les deux mains sur son coeur. L'enfant, voyant qu'on ne lui répondait point, reprit :
- Si vous ne voulez pas, je retournerai me noyer.
L'ouvrier prit la chose en plaisanterie et répondit en riant ;
- Mais oui, je veux bien.
- Comment est-ce que tu t'appelles, demanda alors l'enfant, pour que je réponde aux autres quand ils voudront savoir ton nom ?
- Philippe, répondit l'homme.
Simon se tut une seconde pour bien faire entrer ce nom-là dans sa tête, puis il tendit les bras, tout consolé, en disant :
- Eh bien ! Philippe, tu es mon papa.
L'ouvrier, l'enlevant de terre, l'embrassa brusquement sur les deux joues, puis il s'enfuit très vite à grandes enjambées.
Quand l'enfant entra dans l'école, le lendemain, un rire méchant l'accueillit ; et à la sortie, lorsque le gars voulu recommencer, Simon lui jeta ces mots à la tête, comme il aurait fait d'une pierre : "Il s'appelle Philippe, mon papa."
Des hurlements de joie jaillirent de tous les côtés :
- Philippe qui ?... Philippe quoi ?... Qu'est-ce que c'est que ça, Philippe ?... Où l'as-tu pris ton Philippe ?
Simon ne répondit rien ; et, inébranlable dans sa foi, il les défiait de l'oeil, prêt à se laisser martyriser plutôt que de fuir devant eux. Le maître d'école le délivra et il retourna chez sa mère.
Pendant trois mois, le grand ouvrier Philippe passa souvent auprès de la maison de la Blanchotte et, quelquefois, il s'enhardissait à lui parler lorsqu'il la voyait cousant auprès de sa fenêtre. Elle lui répondait poliment, toujours grave, sans rire jamais avec lui, et sans le laisser entrer chez elle. Cependant, un peu fat, comme tous les hommes, il s'imagina qu'elle était souvent plus rouge que de coutume lorsqu'elle causait avec lui.
Mais une réputation tombée est si pénible à refaire et demeure toujours si fragile, que, malgré la réserve ombrageuse de la Blanchotte, on jasait déjà dans le pays.
Quant à Simon, il aimait beaucoup son nouveau papa et se promenait avec lui presque tous les soirs, la journée finie. Il allait assidûment à l'école et passait au milieu de ses camarades fort digne, sans leur répondre jamais.
Un jour, pourtant, le gars qui l'avait attaqué le premier lui dit :
- Tu as menti, tu n'as pas un papa qui s'appelle Philippe.
- Pourquoi ça ? demanda Simon très ému.
Le gars se frottait les mains. Il reprit :
- Parce que si tu en avais un, il serait le mari de ta maman.
Simon se troubla devant la justesse de ce raisonnement, néanmoins il répondit : "C'est mon papa tout de même."
- Ça se peut bien, dit le gars en ricanant, mais ce n'est pas ton papa tout à fait.
Le petit à la Blanchotte courba la tête et s'en alla rêveur du côté de la forge au père Loizon, où travaillait Philippe.
Cette forge était comme ensevelie sous des arbres. Il y faisait très sombre ; seule, la lueur rouge d'un foyer formidable éclairait par grands reflets cinq forgerons aux bras nus qui frappaient sur leurs enclumes avec un terrible fracas. Ils se tenaient debout, enflammés comme des démons, les yeux fixés sur le fer ardent qu'ils torturaient ; et leur lourde pensée montait et retombait avec leurs marteaux.
Simon entra sans être vu et alla tout doucement tirer son ami par la manche. Celui-ci se retourna. Soudain le travail s'interrompit, et tous les hommes regardèrent, très attentifs. Alors, au milieu de ce silence inaccoutumé, monta la petite voix frêle de Simon.
- Dis donc, Philippe, le gars à la Michaude m'a conté tout à l'heure que tu n'étais pas mon papa tout à fait.

- Pourquoi ça ? demanda l'ouvrier.
L'enfant répondit avec toute sa naïveté :
- Parce que tu n'es pas le mari de maman.
Personne ne rit. Philippe resta debout, appuyant son front sur le dos de ses grosses mains que supportait le manche de son marteau dressé sur l'enclume. Il rêvait. Ses quatre compagnons le regardaient et, tout petit entre ces géants, Simon, anxieux, attendait. Tout à coup, un des forgerons, répondant à la pensée de tous, dit à Philippe :
- C'est tout de même une bonne et brave fille que la Blanchotte, et vaillante et rangée malgré son malheur, et qui serait une digne femme pour un honnête homme.
- Ça, c'est vrai, dirent les trois autres.
L'ouvrier continua :
- Est-ce sa faute, à cette fille, si elle a failli ? On lui avait promis mariage, et j'en connais plus d'une qu'on respecte bien aujourd'hui et qui en a fait tout autant.
- Ça, c'est vrai, répondirent en choeur les trois hommes.
Il reprit : "Ce qu'elle a peiné, la pauvre, pour élever son gars toute seule, et ce qu'elle a pleuré depuis qu'elle ne sort plus que pour aller à l'église, il n'y a que le bon Dieu qui le sait."
- C'est encore vrai, dirent les autres.
Alors on n'entendit plus que le soufflet qui activait le feu du foyer. Philippe, brusquement, se pencha vers Simon :
- "Va dire à ta maman que j'irai lui parler ce soir."
Puis il poussa l'enfant dehors par les épaules.
Il revint à son travail et, d'un seul coup, les cinq marteaux retombèrent ensemble sur les enclumes. Ils battirent ainsi le fer jusqu'à la nuit, forts, puissants, joyeux comme des marteaux satisfaits. Mais, de même que le bourdon d'une cathédrale résonne dans les jours de fête au-dessus du tintement des autres cloches, ainsi le marteau de Philippe, dominant le fracas des autres, s'abattait de seconde en seconde avec un vacarme assourdissant. Et lui, l'oeil allumé, forgeait passionnément, debout dans les étincelles.
Le ciel était plein d'étoiles quand il vint frapper à la porte de la Blanchotte. Il avait sa blouse des dimanches, une chemise fraîche et la barbe faite. La jeune femme se montra sur le seuil et lui dit d'un air peiné : "C'est mal de venir ainsi la nuit tombée, monsieur Philippe."
Il voulut répondre, balbutia et resta confus devant elle.
Elle reprit : - "Vous comprenez bien pourtant qu'il ne faut plus que l'on parle de moi."
Alors, lui, tout à coup :
- Qu'est-ce que ça fait, dit-il, si vous voulez être ma femme !
Aucune voix ne lui répondit, mais il crut entendre dans l'ombre de la chambre le bruit d'un corps qui s'affaissait. Il entra bien vite ; et Simon, qui était couché dans son lit, distingua le son d'un baiser et quelques mots que sa mère murmurait bien bas. Puis, tout à coup, il se sentit enlevé dans les mains de son ami, et celui-ci, le tenant au bout de ses bras d'hercule, lui cria :
- Tu leur diras, à tes camarades, que ton papa c'est Philippe Remy, le forgeron, et qu'il ira tirer les oreilles à tous ceux qui te feront du mal.
Le lendemain, comme l'école était pleine et que la classe allait commencer, le petit Simon se leva, tout pâle et les lèvres tremblantes : "Mon papa, dit-il d'une voix claire, c'est Philippe Remy, le forgeron, et il a promis qu'il tirerait les oreilles à tous ceux qui me feraient du mal."
Cette fois, personne ne rit plus, car on le connaissait bien ce Philippe Remy, le forgeron, et c'était un papa, celui-là, dont tout le monde eût été fier. 
1er décembre 1879

Guy de Maupassant, "Le papa de Simon", dans La Maison Tellier.


Maupassant à 7 ans



mercredi 27 août 2014

Deux "Manuel" pour la rentrée

Ainsi donc, un énième gouvernement vient d'être nommé, 147 jours après le précédent, un peu plus de deux ans après la victoire du candidat PS en 2012.


Nous autres, socialistes, sympathisants socialistes, citoyens de Gauche, citoyens électeurs plus ou moins engagés, et tous intéressés par la chose publique et le bien-être de la cité, avons-nous souhaité qu'en Mai 2012, la gauche puisse revenir à la tête de notre pays, après 17 ans de présidence de Droite, dont 12 au gouvernement et surtout 10 d'affilée,...

C'était là une Droite dure, dure avec les faibles, avec les classes moyennes, les fonctionnaires, les salariés, la jeunesse, les retraités, les syndicats, les entreprises petites et moyennes, les citoyens étrangers ou d'origine étrangère, une droite impuissante et décliniste face aux oukases bruxelloises, berlinoises ou des salons médiatiques parisiens, totalement incapable de préserver un outil industriel en France, de lutter contre les inégalités sociales, contre le chômage, d'apaiser les nombreux maux tant sociaux que sociétaux qui traversent et fragilisent l'équilibre Républicain de notre pays, et quel pays,oui, quel pays que la France pourtant si bafouée par ceux-là mêmes qui s'en réclament "de droit" comme plus légitimes que les gens de Gauche...

Oui, nous autres portions, après deux cruels échecs, dont le retentissant 21/04/02, une envie, un espoir d'enfin redonner la place au peuple, au petit peuple, la "France d'en-bas", "qui se lève tôt" pour reprendre les mots de la Droite justement, la France profonde comme disait Mitterrand: oui, en Mai 2012, la joie fut grande et l'espoir était là.

Cet espoir, sur quoi portait-il justement?

Non pas sur le simple fait de battre la Droite et son candidat sortant -même si ce dernier, par son bilan et sa personnalité clivante, fut, à n'en point douter, un énorme levier pour le succès du PS de 2012. Non pas sur le simple fait de laver "l'affront" de deux défaites d'affilée...

Non. Ce qui a entretenu l'espoir, ce qui l'a avivé et ce qui a établi, fondé, bâti, la victoire de 2012, repose sur deux «moments».

Premier moment: Octobre 2011. Les primaires citoyennes, des "primaires ouvertes" qui auront vu l'écrasante majorité des récipiendaires de ce message, s'associer au choix et à la dynamique du "camp de la Gauche".

Pour la première fois, tous les citoyens pouvaient se retrouver associés au choix du candidat du principal parti de gouvernement de Gauche, à la plus importante élection nationale.

Cette incontestable dynamique (plus de 2.5M d'électeurs de mémoire) aura permis au candidat PS d'avoir le souffle et l'assise nécessaire pour se présenter en position de force face au pouvoir en place.

Deuxième moment: 22 janvier 2012. Le principal moteur de la campagne, son véritable tournant, son apogée:  le fameux "discours du Bourget".

Ha, Le Bourget... tout a été dit et répété à son sujet mais rappelons nous les promesses :


-Réforme bancaire, 
-Redressement de l'économie, 
-Réforme fiscale, 
-Priorité à la jeunesse, 
-Gel de la TVA, 
-Renégociation du traité européen imposé au peuple,
-et surtout,... surtout..., lutte contre le véritable ennemi, celui qui n'a pas de candidat mais qui gouverne: la Finance!


Les mots résonnent encore: « mon ennemi, c'est le monde de la finance».

On allait voir ce qu'on allait voir. Fini le temps des petites et grandes compromissions face aux Medef, cac40, commission européenne, Barroso, Merkel et compagnie...

D'un coup, tout un peuple de gauche, jusqu'à la CGT, c'est dire, souscrivit au choix du candidat socialiste.

Las.

La suite est connue et n'a été qu'une lente désillusion progressive qui atteint son paroxysme avec les événements de ces derniers jours.

On évince Mme Filipetti et surtout MM Hamon et Montebourg.

Visiblement, la priorité du gouvernement ne semble plus être la jeunesse, sinon comment expliquer le limogeage, sept jours, ou sept matinées avant la rentrée scolaire du ministre de l'Education Nationale, le ministre de la jeunesse et de la France de demain?

Mais c'est surtout le départ d'Arnaud Montebourg qui sera le plus emblématique et le plus important.
Le couple exécutif, composé du Président et de son Premier Ministre, était en désaccord manifeste avec l'option prônée par le ministre du Redressement Productif et de l’Économie, de coupler une politique de l'offre (baisse des charges et facilités pour les entreprises) à une politique de la demande (redistribution auprès des ménages pour relancer la consommation).

Le couple exécutif était en désaccord manifeste avec la mesure phare du ministre, reprise du temps de M.Jospin, à savoir répartir les économies par trois tiers entre redistribution auprès des ménages/entreprises/baisse des déficits.

Le couple exécutif était surtout gêné par la vision de son ministre, sa volonté d'engager tout le poids politique de la France pour relancer le moteur franco-allemand, là où le Président souhaitait tout simplement garder les bonnes grâces de la chancellerie Outre-Rhin.

Alors, les questions de forme, de personnes, les logiques d'appareil mais aussi médiatiques ont fait que le sort de ces deux hommes était scellé.

Hamon, Montebourg, deux hommes auxquels Mme Filipetti sera associée dans sa destinée d'une manière assez noble, en ces temps où les politiques écument plateaux télés et réseaux sociaux, et ne savent plus parler en "phrases" (sic) mais en "signes"(re-sic): une lettre. Non pas un "twit" ou un "post". Une lettre.

Enfin, pour boucler la boucle...:

Par qui remplacera-t-on Arnaud Montebourg?

Par qui remplacera-t-on l'homme qui a offert la victoire aux primaires, celui arrivé 3ème, avec près de 18% des voix au premier tour de ces dernières quand l'actuel chef du gouvernement n'en récoltait que 5?

Par qui remplacera-t-on l'homme qui a oeuvré auprès de l'Elysée (avec justement le soutien de Benoît Hamon) pour qu'après le cataclysme des municipales le Président se sépare de Jean-Marc Ayrault et nomme Manuel Valls?

Par qui remplacera-t-on l'homme qui, surtout, se bat pour la réindustrialisation en France, pour la sauvegarde des emplois, pour le patriotisme économique et l'innovation à travers les grands projets industriels?

Par qui remplacera-t-on l'homme qui osa alerter l'opinion tout au long des primaires, puis de ses deux années de mandat, qu'une autre politique était possible en France, en Europe, l'homme qui continue d'affirmer qu'il ne faut pas craindre la politique, le débat, la pédagogie, l'écoute,...?

Par qui?

Par un banquier. D'affaires. Un haut fonctionnaire. Un homme qui n'a jamais exercé aucun mandat politique. Et qui se retrouve donc à la tête de l'un des plus grands ministères, probablement le plus important: Bercy.

C'est bien là un symbole marquant: nommer un banquier d'affaires pour lutter contre la finance, ne serait-ce pas comme nommer quelque artiste du show-biz, connu pour sa consommation de stupéfiants et spiritueux, à la tête d'un organisme de lutte contre les ravages de l'alcoolisme et de la drogue?


Encore une fois, on entendra la sempiternelle rengaine humiliante et méprisante pour le peuple:
«Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent...». Le rapprochement avec un autre élu correzien d'un passé récent serait trop flagrant. Alors on n'avancera sans aucun doute la raison d'État, le pragmatisme...

Continuez de nier les espoirs, les attentes de ceux à qui vous devez votre réussite électorale. Continuez de renier votre parole...

Il faut espérer que des hommes intègres reprendront le flambeau rapidement et que des alternatives louables se proposeront à votre règne de mensonges, car d'autres malintentionnés attendent, se gaussent de vos renoncements, applaudissent à vos trahisons, et transformeront, sur votre mépris, le bon peuple en foule, le civisme républicain en colère.

Mesurez bien tous les sens du mot Responsabilité. Il est encore temps. Sinon, continuez... Et vous ne serez plus les responsables des affaires du pays mais de son chaos politique.

S.M. 


mardi 26 août 2014

26 août 1789: Une déclaration...

Le 26 août 1789, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen est adoptée par l'Assemblée Constituante.


Le texte amalgamant trente projets est en discussion depuis le 17 juillet. Les 17 articles énumèrent les droits naturels de l'homme et précisent les règles fondamentales que les institutions de l'Etat doivent respecter.

Son article premier déclare: "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits".

L'article II: "Ces droits sont: la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression".

Mirabeau note déjà des "restrictions multipliées et des précautions minutieuses".

Les textes recommandent principalement l'égalité devant l'impôt et devant la loi, (c'est déjà beaucoup),mais sacralisent la propriété, sans se soucier des non-propriétaires, restreignent la liberté religieuse, laissent prévoir des limites incertaines à la liberté de la presse.

Il n'en reste pas moins que ces textes bouleversent les fondations de la vieille Europe.




dimanche 24 août 2014

VI ème République dans le métro

Il est rare, et c'est un euphémisme, de rencontrer un leader politique de premier plan, candidat à l'élection présidentielle, dans un transport public.


A moins, bien sûr, qu'il ne s'agisse d'un de ces trajets  préparés pour se mêler quelques instants à la populace sous les regards complices des caméras, moments de campagne factices qui touchent au ridicule...

Rien de cela en ce mercredi 20 août où c'est l'homme de la rue qui a tendu la main à un homme politique dans le métro parisien, loin de toute mise en scène médiatique.

L'un de vos serviteurs, un des initiateurs et animateurs de cette page, a en effet échangé quelques instants avec M. Jean-Luc +Mélenchon, représentant majeur du Front de Gauche.

Le cachotier n'a rien révélé des déclarations qu'il s'apprêtait à faire quelques heures plus tard concernant l'avenir de son engagement politique. Dans des moments cruciaux pour lui, il s'est pourtant montré disponible, ouvert, n'a pas cherché à couper court à l'échange.

Nous ne sommes pas dupes. Ces personnalités sont habituées, aguerries, et très certainement en permanence en représentation. Jean-Luc Mélenchon n'a pas les faveurs électorales de tous les membres d'Article Deux, et notamment pas celles du concerné par ce post. Cependant, le moment, l'homme, lui sont apparus sincères.

Le leader politique s'est montré soucieux de la situation de notre pays. Il a évoqué l'urgence des temps et finalement s'est montré en accord total avec la conférence de presse qu'il a tenue le lendemain.

Pour notre part, la décision de Jean-Luc Mélenchon de changer la nature de son combat politique nous paraît louable. Est-il si fréquent de voir un chef de parti, un candidat majeur tirer les enseignements de ses choix, de ses échecs? Peut-être ne s'agit il que d'une posture passagère? Un moyen de faire parler un peu de soi, d'occuper l'espace médiatique...?

L'avenir nous le dira mais nous trouvons très honorable, par un acte, une décision, et non par des mots, qu'un homme politique de premier plan, eh bien, se montre humain, puisse revenir sur ses choix, faire preuve de recul, de lassitude...

L'idée d'une réforme profonde de nos institutions à bout de souffle, et du comportement de nos dirigeants, reçoit tout notre crédit puisque c'est la raison d'être de notre blog et de cette page Facebook.

L'idée d'une nouvelle République, issue d'une Constituante, nous parle bien évidemment. Nous aimerions voir notre régime démocratique se remettre en question calmement, sans les violences, les événements tragiques liés généralement aux moments de rupture et de changement.

Cependant, Jean-Luc Mélenchon n'est-il pas trop marqué politiquement? Pourra-t-il être suffisamment fédérateur? Parviendra-t-il à rester sur le seul terrain institutionnel?  Sans le soutien d'autres personnalités politiques des autres partis et des tendances différentes, les citoyens ne le suivront très certainement pas.

Des députés de la majorité actuelle montrent leur mécontentement vis à vis de l'exécutif qu'ils sont supposés soutenir. Un ministre en poste, Arnaud Montebourg, a longtemps parlé, lui aussi, de la crise de la Vème République, et de la nécessité d'une VIème... A droite, n'existe-t-il pas des hommes intègres qui désespèrent des combats d'égo de leurs leaders et des affaires les concernant?

N'y a-t-il pas là un combat à mener, au dessus des partis et des intérêts personnels?

Il serait temps que certains fassent preuve de courage et qu'ils n'attendent pas d'avoir perdu leur poste ou leur mandat pour venir simplement cracher dans la soupe en répandant leur états d'âme dans ce qu'ils espèrent être des succès de librairie, et qui ne sont que des preuves de leur lâcheté et des marques de mépris envers la fonction qui leur avait été confiée par les électeurs.

La démission est-elle si déshonorante? Mieux vaut ronger son frein, manger son chapeau et laisser de soi l'image d'un profiteur, qui reste pour les honneurs de la place et surtout pour la rente qui va avec? «Les places sont trop bonnes à quitter» répète le peuple en colère, avant de sortir les fourches...

Nous souhaitons que l'entreprise de M. Mélenchon aboutisse à cette refonte dont notre démocratie a besoin, qu'elle soit au moins le point de départ d'une vaste prise de conscience d'une telle nécessité...

Car qui peut encore affirmer que notre système fonctionne? Si ses principes et ses valeurs sont toujours honorables, c'est par son fonctionnement que notre régime montre ses limites et c'est par là que le changement, que l'on nous promet depuis si longtemps, doit venir...

Une nouvelle République n'est pas la réponse à tous les maux de notre temps mais nous pensons que c'est là un préalable.


samedi 23 août 2014

The Last of Us

A l'argument que «tout est politique», un de nos plus jeunes lecteurs, nous a justement fait remarquer que nous ne le prouvions guère.

«Actualités, littérature, philosophie, oui, mais d'autres pans culturels vous échappent... vous évoquez parfois, (très rarement plutôt, je suis gentil), cinéma et musique, mais le jeu-vidéo, jamais. Or, poursuit-il, il faut vous y faire, les produits culturels qui se vendent le plus sont des jeux-vidéo. Ils ne s'adressent plus comme vous semblez encore le croire à des jeunes garçons pré-pubères. Ils ne sont certainement pas les responsables de tous les maux dont on les accuse sans cesse: générateur de violence, enfermement, échec scolaire... S'ils restent évidemment ludiques, n'ont-ils pas un intérêt culturel voire civique puisque cette problématique vous tient à cœur...?»

Alors, on a profité des vacances et on a joué. Sur Playstation 3. The Last of Us.

La console de Sony arrivait sur ses derniers jours quand cette production des studios Naughty Dog est sortie. Cette console prouvait, avec ce jeu d'aventures, -vous dirigez et décidez des actions d'un personnage à l'écran-, qu'elle avait finalement encore beaucoup de capacités et était loin d'être obsolète.

Malheureusement, les consommateurs frénétiques se sont laissés prendre au piège et se sont précipités sur la nouvelle itération de la Playstation, la quatrième, qui est loin, elle, d'être à la hauteur, pour le moment, des prouesses techniques que les professionnels lui ont attribuées.
Le marché des consoles n'échappe pas à la problématique de l'obsolescence prématurée. Nous y reviendrons sans doute dans un prochain post.

Avec The Last of Us, tout semble irréprochable. Graphisme. Technique. Maniabilité (très appréciable quand on est un joueur occasionnel). Les paysages naturels et urbains sont rendus de manière réaliste et soignée avec un souci du détail qui vous plonge parfois dans la contemplation et donc dans l'histoire.

Attardons-nous surtout sur le scénario. Rien de bien original. Univers de post pandémie. Un spore s'en prend aux humains, (alors qu'il se cantonnait jusqu'alors aux insectes), et détruit les capacités cérébrales des personnes contaminées. L'hécatombe se produit. La civilisation s'écroule en quelques années.

Tout oppose les deux personnages principaux dont vous prenez successivement le contrôle:

Joël est un homme à la cinquantaine désabusée, revenu de toutes les souffrances possibles. La scène d'ouverture du jeu, dans laquelle on ne joue pas vraiment encore, le montre et achève de prouver au passage que les jeux-vidéo s'adressent désormais à des personnes ayant découvert les joies de la paternité. Implication et émotion garanties.

Une jeune ado, orpheline, née après le début de la pandémie, qui n'a jamais connu un autre monde que celui du manque et de la peur, est porteuse d'un secret, d'un espoir de survie pour une humanité toujours menacée d'extinction. Ce secret n'est pas un livre bien que la petite se prénomme Ellie. (Petit clin d'oeil à une source d'inspiration des concepteurs).

Ces deux là doivent s'entendre, coexister, pour accomplir une quête qui les conduit à travers le territoire des anciens États-Unis. Sur la route (on glisse encore une source d'inspiration des scénaristes), des êtres infectés retournés à l'état de prédateurs sanguinaires (Je suis une légende fait également partie des références) et des survivants parfaitement sains. Les plus dangereux ne sont peut être pas ceux que l'on croit. Rien de bien original donc. Pourtant, est-ce l'interactivité, la manette en mains, le fait d'avoir le contrôle, tout ceci est bien plus captivant qu'un film de genre. L'industrie du jeu-vidéo emprunte au cinéma et à la littérature codes et références mais en les adaptant à son identité si particulière. Et quand le travail est soigné, et quand rien n'est laissé au hasard, le résultat est incroyable. Par exemple, les créations musicales originales sont parfaites et collent toujours à la scène.

Les angles de vue, le rythme et l'enchaînement des scènes montrent une grande maîtrise des effets cinématographiques. Et si les personnages ne sont que des inventions graphiques, le procédé de la motion capture qui les anime illustre une attention toute particulière au choix des comédiens. Les intonations des voix, les expressions faciales sont saisissantes. (Nous parlons de la version originale).
L'histoire est découpée, à la manière d'un roman, en chapitres. Les ellipses narratives sont habilement utilisées et donnent une profondeur au parcours des deux personnages. Bien plus longue que celle d'un film, l'aventure permet une identification plus forte avec les personnages. Le jeu-vidéo montre ici un potentiel émotionnel encore jamais atteint peut-être. On est du moins bien loin de Mario. La scène d'ouverture et la fin ne laissent pas indifférent.

La mimesis est d'autant plus forte que l'on peut choisir la façon de se comporter... Eviter les conflits? Se dissimuler? Être agressif? Se décider à tout explorer? Le joueur est tel un metteur en scène de théâtre, il dirige les comédiens, mais comme un spectateur également, puisqu'il ignore la suite des événements. Si nos choix ne changent pas le cours d'une histoire qui reste linéaire, cela laisse imaginer les possibilités des futurs générations de jeux qui ne manqueront pas de proposer des péripéties et dénouements alternatifs (C'est même sans aucun doute déjà le cas, nous ne sommes pas suffisamment au fait du catalogue...).

Comme dans un roman, on mesure l'évolution des caractères de personnages auxquels on s'attache. Joël et Ellie ont une évolution diamétralement opposée qui marque le joueur. Sans trop en dire, Joël s'ouvre peu à peu, grâce à Ellie, quand cette dernière se ferme progressivement à mesure qu'elle subit elle aussi ce que son guide a du affronter dans son existence.

Bien sûr, l'aspect ludique l'emporte. Les phases d'action sont les plus nombreuses. Il s'agit aussi de se défouler. Et par les temps présents, cela fait du bien. La catharsis opère aussi.

Il faut l'admettre. D'un point de vue culturel, oui, un jeu-vidéo peut susciter autant de plaisir et d'émotions qu'un film, qu'un livre, qu'une pièce de théâtre... On est triste. On est soulagé. On rit. On a peur. On est surpris. On est dubitatif. Un jeu vidéo, et c'est particulièrement le cas pour The Last of us, est le reflet de choix et de maîtrises artistiques, c'est indéniable.

Mais alors d'un point de vue civique?

Intérêt citoyen: La narration montre la fragilité des sociétés humaines. Historiquement, on a des preuves nombreuses de déclins progressifs ou d'effondrements rapides de civilisations. Causes internes, causes externes, l'existence même d'une société peut être remise en cause. La sécurité dont nous jouissons au sein de nos regroupements démocratiques ne serait-elle pas qu'une illusion? Ne tiendrait-elle pas uniquement parce que les conditions sont favorables? Que deviendrait-elle en cas de catastrophe d'ampleur? Quand on observe les limites de nos systèmes lors de phases économiques moins propices, on peut s'interroger. Mesurer toujours notre fragilité, prendre conscience que rien n'est jamais acquis, voilà ce que l'on ressent en jouant à The last of Us.

Ellie tombe sur le journal intime d'une ado du monde d'avant... Et elle s'étonne des préoccupations bien futiles de cette dernière. Elle s'étonne également du concept de l'université. Que des adultes décident de rester sciemment des écoliers au lieu d'être utiles à leurs familles, de travailler, la laisse perplexe. Notre société de consommation, ses codes comportementaux souvent déconnectés des réalités en prennent un coup, et nous poussent quelque peu à nous remettre en question. On se rappelle alors que pendant des millénaires, les hommes ont été une espèce menacée. On prend ou reprend conscience que la question de la survie a taraudé les hommes et les taraude encore malheureusement pour la plupart à l'échelle planétaire. Comment survivre ? Pourquoi vivre ? La mise à distance, qui consiste par le biais d'une fiction à confronter un personnage à un univers qu'il ne connaît pas, (en l'occurrence le nôtre) est le moyen de susciter la réflexion.

Le jeu donne à voir des milieux urbains abandonnés où la nature reprend peu à peu ses droits: eau et plantes, sans les interventions humaines, sans les systèmes de pompes automatisées, reprennent le dessus. On voit notre univers quotidien comme l'on voit les ruines des civilisations antiques. La dystopie marque l'esprit et nous fait prendre conscience de la fragilité de notre quotidien.

Enfin, ce qui caractérise le plus l'univers de The last of Us c'est l'absence des lois et des droits fondamentaux. Même lorsqu'ils évoluent dans l'enceinte protégée d'un semblant d'État, reste des États-Unis, Joël et Ellie assistent à des exécutions sommaires en pleine rue par les forces de l'ordre. Quand ils sont livrés à eux-mêmes dans le no man's land, constituant la majorité du territoire, c'est dès lors la loi du plus fort qui règne. Annihiler autrui pour assurer sa propre survie est la règle. Le jeu, la fiction, permet de bien mesurer qu'une loi est une protection, une garantie de la sécurité du citoyen vivant dans un État de droit et non pas une contrainte. Bien loin d'être une entrave à la réelle liberté, elle en est la condition par la sécurité qu'elle procure.


A notre avis, ce jeu mérite bien le qualificatif de culturel et permet une réflexion citoyenne sous bien des aspects. Il n'en est sans doute pas de même pour tous les jeux-vidéo. Évidemment. Mais après tout, jugeons-nous tous les livres, tous les films, toutes les productions culturelles de la même façon? Peut-être serait-il temps pour beaucoup de juger l'industrie du jeu-vidéo sous un autre angle...


B.H. 



vendredi 22 août 2014

22 août 1864: Une convention


La première convention de Genève voit le jour après une conférence organisée par Henri Dunant, suisse déjà à l'origine de la fondation de la Croix-Rouge l'année précédente.

Cette convention accorde l'immunité pour le personnel de secourisme sur le champ de bataille. Cette convention marque la reconnaissance officielle du droit humanitaire international. Elle est reconnue la première année par 14 pays.

mardi 19 août 2014

La guerre prouve la disposition morale de l'homme.

Dans ses activités guerrières, l'homme s'appuie sur les notions de Droit, de Devoir et prouve donc, selon Kant, sa disposition morale.  



Quand on songe à la méchanceté de la nature humaine, qui se montre à nu dans les libres relations des peuples entre eux (tandis que dans l'état civil elle est très voilée par l'intervention du gouvernement), il y a lieu de s'étonner que le mot droit n'ait pas encore été tout à fait banni de la politique de la guerre comme une expression pédantesque, et qu'il ne se soit pas trouvé d'État assez hardi pour professer ouvertement cette doctrine. (... )



Toutefois cet hommage que chaque État rend à l'idée du devoir (du moins en paroles) ne laisse pas de prouver qu'il y a dans l'homme une disposition morale, plus forte encore, quoiqu'elle sommeille pour un temps, à se rendre maître un jour du mauvais principe qui est en lui (et qu'il ne peut nier). Autrement les États qui veulent se faire la guerre ne prononceraient jamais le mot droit, à moins que ce ne fût par ironie, et dans le sens où l'entendait ce prince gaulois, en le définissant: "L'avantage que la nature a donné au plus fort de se faire obéir par le plus faible."


Kant, De la paix perpétuelle, 1796.

samedi 16 août 2014

16 août 1893. "Mort aux Cathos!!"

Dans un bien beau pays européen, il n'y a pas si longtemps, on massacrait des gens pour leur foi chrétienne et aussi parce qu'ils étaient des immigrés...



En août 1893, de violentes émeutes, à Aigues-Mortes, éclatent sur fond de crise économique et de xénophobie.

Une vieille hostilité existe dans la région entre les ouvriers français et les ouvriers immigrés italiens. Elle est redoublée par une période de chômage et par des stéréotypes physiques et religieux appliqués aux italiens par une "certaine presse".

Une simple rixe déclenche une émeute le 16 août 1893. Les ouvriers français organisent alors une "chasse à l'italien" dans la région. Le prefet de Nîmes arrivé le lendemain promet le retour des italiens dans leur pays. Cela ne calme en rien la vindicte des français. Une foule armée de pelles, de fourches, de bâtons hurle "mort au christos!". On assiège les fermes et les salins des environs. Des italiens sont massacrés, achevés à coups de bâtons dans les marais ou à coups de pierres dans les rues.

Le bilan des évènements est incertain. Selon les autorités françaises, on parle de 8 morts; le Petit Marseillais (journal local) de 20 victimes; le quotidien britannique le Times de 50.

Le 30 décembre suivant, tout se conclut par un non-lieu. L'émeute est réduite aux dimensions d'une rixe où les torts sont partagés.




De ce petit retour dans le temps, on peut tirer sans doute quelques enseignements...



jeudi 14 août 2014

Y a que les imbéciles qui...

Parfois, quand les circonstances changent, on ouvre les yeux... Pour avoir certains avantages, il faut savoir accepter quelques contreparties... La loi bien loin d'être une contrainte est surtout une protection. A vouloir le beurre et l'argent du beurre...

C'est l'histoire d'un boulanger en situation de monopole qui passait son temps à se plaindre des réglementations, des impôts, des charges, bref, de l'État toujours sur son dos. "Laissez moi tranquille, laissez moi entreprendre et vive le libéralisme!" Telle était sa devise. 


Or, désormais, le brave artisan, pris de vertiges, se plaint et appelle à l'aide, Monsieur le maire, conseillers municipaux, préfet, députés, et autres administrateurs de l'État honni. Il trouve même qu'il n'en est pas assez pour s'occuper de son litige ! 


C'est que, depuis, un dépôt de pain, qui se qualifie malhonnêtement de boulangerie, s'est installé tout à coté de sa jolie boutique, au mépris de la législation en vigueur. 

Les mangeurs de baguettes des alentours sont satisfaits et sourds à la cause et aux avertissements de leur ancien marchand. Qu'importe la norme de cuisson, qu'importe la mesure d'hygiène, pourvu qu'on ait le pouvoir d'achat ! La concurrence ça a du bon: même si la mie est moins tendre, la croûte moins croquante, et le dégel mal assuré, pour le même prix, on en a plus dans le ventre. On peut même maintenant goûter aux croissants !


La clientèle confisquée injustement, le bon boutiquier clame haut dorénavant que sans règle et sans contrôle, ma petite dame, rien ne tient au royaume du commerce...




Mmmh... 

samedi 9 août 2014

9 août 1945. Suprématie américaine: Acte II

Trois jours après Hiroshima, la ville de Nagasaki connait le même sort: une nouvelle bombe atomique est larguée sur le Japon. Entre 60000 et 80000 personnes sont tuées sur le coup. 

Le Japon capitule le 2 septembre...

mercredi 6 août 2014

6 août 1945: Suprématie américaine Acte I

 Le 6 août 1945 première bombe atomique est larguée par les américains sur le Japon.

La ville d'Hiroshima est rayée de la carte.
Cette ville était un siège de commandement de l'armée japonaise.
Le nombre total des victimes immédiates s'élèverait à plus de 70000 morts dont un tiers de militaires. Le nombre de victimes dans les semaines suivantes atteindrait quant à lui les 50000. Certaines estimations avancent plus de 200000 morts.
La justification américaine était de faire plier le Japon rapidement et éviter ainsi la mort de nombreux soldats américains. La volonté d'impressionner une URSS à l'influence grandissante est également une motivation avancée par les historiens.
Lire également la réaction d'un philosophe: Camus, LA bombe, L'ONU
Réflexion malheureusement ignorée par la communauté internationale, notamment en ce qui concerne le fonctionnement de l'ONU.

Camus: LA Bombe. L'ONU.

Le 8 août 1945, Camus revient, dans son éditorial du journal Combat, sur l'utilisation de la bombe atomique par les Américains sur la ville japonaise d'Hiroshima. L'avenir, proche et lointain, qu'il appelle de ses vœux ne se réalisera pas.

Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football.

Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.

 En attendant, il est permis de penser qu'il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d'abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d'aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d'idéalisme impénitent, ne songera à s'en étonner.

Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu'elles sont, annoncées au monde pour que l'homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d'une littérature pittoresque ou humoristique, c'est ce qui n'est pas supportable.

 Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu'une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d'être définitive. On offre sans doute à l'humanité sa dernière chance. Et ce peut-être après tout le prétexte d'une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.(...)

 Qu'on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d'Hiroshima et par l'effet de l'intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d'une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d'une véritable société internationale, où les grandes puissances n'auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l'intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.

 Devant les perspectives terrifiantes qui s'ouvrent à l'humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d'être mené. Ce n'est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement entre l'enfer et la raison.


Albert Camus, Editorial du 8 août 1945 du journal Combat.