Google+ Article deux: février 2013

dimanche 24 février 2013

Dans l’enfer d’un hôpital…


Résumé d’un article de Chris Smyth paru dans le Times, de Londres, rapporté par le Courrier International n°1163 du 14 février 2013.
En Angleterre, un rapport accablant lève le voile sur un système de santé obsédé par la réduction des coûts.



L’article débute par le rappel du sort de Bella Bailey, décédée à l’âge de 86 ans dans un hôpital du centre de l’Angleterre, dans la ville de Stafford. Les infirmières ont laissé tomber la vieille femme alors en voie de guérison. Blessée à la tête, Mme Bailey décède deux semaines plus tard. Sa fille, Julie, était restée à son chevet pendant l’hospitalisation. Elle décrit les conditions de vie des malades dans cet établissement : cris de douleur sans réponse, patients qui boivent l’eau des fleurs la nuit, sonnettes hors de portée des malades, malades qui errent dans les couloirs. Elle rappelle la faiblesse des patients qui souffraient de la faim et de la soif puisque le personnel n’avait pas toujours le temps de distribuer les repas. Julie Bailey n’osait rien dire de peur de voir sa mère subir des représailles.

A la mort de sa mère, elle se lance dans une enquête sur les hôpitaux. Elle dure 5 ans et conduit à la rédaction d’un rapport de près de 1800 pages publié le 6 février. En 2010, une enquête du gouvernement montrait le taux de mortalité anormal de cet hôpital : jusqu’à 1200 décès de trop entre 2005 et 2008.

L’association de Julie Bailey, Cure the NHS (guérir le National Health Service) propose des témoignages qui confirment la maltraitance des malades. Un homme évoque le sort de sa mère couverte de bleus des pieds à la tête. Cette femme d’origine polonaise avait été envoyée à Auschwitz dans sa jeunesse. A l’hôpital de Stafford, dans ses derniers instants, elle déclara à son fils, en polonais, pour ne pas être comprise des infirmières : « Au moins à Auschwitz, j’avais des amis. Ici, je n’ai personne ». Une autre femme a perdu 4 membres de sa famille, de 4 générations différentes, toujours dans le même hôpital. Les médecins n’ont pas décelé une malformation cardiaque chez sa fille. Le cancer de sa sœur a été diagnostiqué trop tard. L’intestin de son oncle a été perforé accidentellement au cours d’une opération. Sa grand-mère est morte de faim et de déshydratation au sein de l’établissement.

Cet hôpital possède le statut d’excellence « Foundation Trust » qui est attribué aux hôpitaux gérés de façon autonome et qui sont indépendants par rapport aux exigences du ministère de la santé. Les dirigeants de l’hôpital de Stafford ont tout mis en œuvre pour obtenir ce statut : réduction de personnel, attention particulière aux objectifs chiffrés fixés par les autorités. Pendant l’obtention de ce statut, un homme atteint d’un cancer souffrait tellement qu’il a tenté de se jeter par la fenêtre pour en finir. Des améliorations furent dès lors promises…

Une infirmière fraichement diplômée explique dans l’enquête qu’elle avait peur de dénoncer les mauvais traitements. Elle a rédigé malgré tout des dizaines de comptes rendus d’incidents qui sont tous restés lettre-morte. D’autres membres du personnel falsifiaient les dossiers des patients pour tenir les objectifs. Cette infirmière reçoit des menaces lorsqu’elle décide en 2007 de dévoiler la situation.

Stafford possède alors le deuxième taux de mortalité du pays derrière un autre établissement de la « Foundation Trust ». Les statistiques sont niées par les dirigeants. L’hôpital et les autorités régionales se sont opposés longtemps à une enquête sur ces services. Le président d’une association professionnelle des infirmiers avait visité l’établissement et l’avait jugé exceptionnel.

Aujourd’hui les preuves sont accablantes au niveau des manquements commis à l’hôpital de Stafford. Plus personne dans le secteur de la santé ne prétend qu’il s’agit d’un cas isolé. Le rapporteur de l’enquête affirme avoir reçu de nombreux témoignages dénonçant des défaillances identiques dans d’autres établissements hospitaliers. Ses conclusions sont claires : la culture du rendement continue de prospérer au sein de l’ensemble du système de santé britannique.

jeudi 7 février 2013

L’ex-légionnaire et les clandestins.


Sur les murs Facebook circule la photo suivante :




Cette photo fait référence à un fait « d’hiver » malheureusement récurrent. La mort dans la rue au XXIe siècle. C’est une véritable tragédie de mourir de froid en pleine rue dans l’indifférence générale. Peut-être, est-ce encore plus choquant dans des pays dits développés aux régimes démocratiques et sociaux. Chaque année, on compte des centaines de morts de froid en Europe occidentale.

Cette affiche, cependant, ne cherche pas à émouvoir sur le sort des Sans Domicile Fixe pour qui l’hiver est synonyme de risque mortel. Elle instrumentalise le malheur, la détresse, la misère à des fins politiques. Elle utilise en effet la tragédie d’un homme pour justifier des revendications d’exclusion concernant des êtres eux aussi en souffrance.


On joue ici sur l’émotion : la mort d’un homme dans des conditions effroyables. Tout le monde ne peut être qu’ému d’une telle destinée. On ne peut qu’être en colère face un tel sort. En 2013. En France. On l’est d’autant plus car on joue sur le symbole du soldat ayant sans doute risqué sa vie pour la patrie et achevant son existence sans reconnaissance aucune, sans ressource, dans la plus grande des misères.

Or,…

Qu’est ce que cela change, au problème de l’exclusion de la société, que cet homme soit un ancien soldat, un ancien professeur, un ancien manutentionnaire, ou un ancien trader ? Il s’agit de la mort d’un homme avant tout. Quelle qu’était la situation de cet homme dans sa « vie d’avant », il ne méritait pas de finir ainsi. Personne ne le mérite.
Combien de profils Facebook, ayant « partagé » cette affiche et ayant montré dans les commentaires leur indignation, sont-ils passés devant cet homme tendant la main, en l’ignorant ? Comment reconnaitre dans un homme sans domicile, juste en posant son regard sur lui, ses actes passés, les raisons qui l’ont conduit à sa situation? Auraient-ils donné une pièce, un billet s’ils avaient su qu’il s’agissait d’un ancien soldat ? Qui n’a jamais entendu les arguments suivants : « Ne donne pas ton argent, tu es fou : il va le boire », « Ne lis pas sa pancarte, il ment pour te soutirer de l’argent » ; « S’il en est là, c’est qu’il le mérite ». Si tous ceux qui crient à la Honte sur Facebook sous cette affiche étaient réellement concernés, le problème de l’exclusion n’existerait certainement plus.

Quel lien y-a-t-il entre les clandestins dont il est question sur l’affiche et ce pauvre homme ? Existerait-il donc une hiérarchie dans la misère humaine ? Il faudrait aider ceux-là parce qu’ils répondent à certains critères mais rejeter ces autres parce qu’ils ne les remplissent pas? Tendre une main aux uns et condamner les autres ? « Ces clandestins » ne subiraient-ils pas le même sort que cet ex-légionnaire ? La question de leur présence est effectivement une question politique qu’il faut résoudre, mais en attendant ? On laisse mourir ? On refuse l’hébergement hivernal ? Qui oserait dire face à des hommes, des femmes, des enfants à la rue par moins 10 degrés : « Restez dehors et mourez » ? Qui voudrait vivre sous un gouvernement qui agirait froidement de cette façon là ?

Que savons-nous vraiment des situations résumées par cette affiche ? Le mode de recrutement de la légion, qui ouvre ses portes aux étrangers, aux exclus, à tous, sans condition, sans questionnement, soulève un paradoxe. Cet homme a peut-être été un clandestin un jour. Il a peut-être été hébergé dans l’urgence lui aussi avant d’intégrer la légion. C’est peut-être pour remercier la France qu’il s’est engagé. Qui sait ce que peuvent devenir plus tard ceux qui ont été des clandestins, des sans–papiers à un moment donné ?

Ils sont, les clandestins de l’affiche, en partant du principe que ce fait est véridique, logés dans un hôtel 3 étoiles. Combien sont-ils dans une chambre ? Combien de temps sont-ils restés ? Sont-ils des réfugiés politiques fuyant un régime de dictature ? Sont-ils des exilés économiques fuyant la misère pour subvenir aux besoins d’une famille dont ils sont sans nouvelles ? Qui souhaiterait, un jour, se retrouver à des milliers de kilomètres de chez soi, de ses origines, de ses amis, de ses parents, sans un sou, obligé d’accepter un accueil provisoire et souvent précaire dans l’urgence de l’hiver ?

Mais, il y a plus grave.
Au-delà des questions soulevées par l’affiche et par ses réelles intentions, il y a celles soulevées par les commentaires qu’elle suscite chez certains. Ils sont courts. Ils ne sont jamais justifiés. Ils ne sont que le reflet d’une émotion passagère. L’emportement d’un caractère où la raison n’a pas sa place. Ne retenons qu’un seul d’entre eux : « Les clandestins dans un four ! ». Et il est des gens pour cliquer « j’aime » à ce genre de propos.

Finalement par une affiche partagée sur Facebook, on en vient à s’interroger plus globalement sur la nature humaine.

Comment expliquer les réactions de chacun face à de telles situations ?

Certains compatissent, s’insurgent contre la misère en général, s’engagent à aider l’autre en tant que personne et ce, sans condition. Les conséquences de la misère sont à leurs yeux les mêmes pour tous. Physiquement, un africain, un européen, un autochtone, un clandestin subira de la même façon le froid et la faim.

D’autres réagissent par la violence, par l’exclusion, par la recherche d’un bouc-émissaire, par la haine, en établissant une hiérarchie entre les hommes qui méritent une aide et ceux qui ne méritent que l’expulsion au mieux, la mort au pire.

Si l’on dit que l’homme est un être de culture, c'est-à-dire qu’il se caractérise par ce qu’il apprend, force est de constater que certains représentants de l'espèce se laissent dominer par leur nature, c'est-à-dire par leur instinct bestial. Ce genre d’affiche et leur mode de diffusion et de commentaires favorisent les instincts naturels car ils poussent à différer le raisonnement, le questionnement.

On voit que les tensions économiques provoquent les mêmes réactions. On voit que les hommes ne tirent que bien peu d’enseignements de l’Histoire. Le mal sera toujours là.

Lisons la fin du Roman intitulé la Peste de Camus :

« Ecoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. »
Albert Camus, La Peste, 1947.