Google+ Article deux: mai 2013

vendredi 31 mai 2013

Les élites françaises par le Financial Time

Maurice Thorez, le stalinien français, passa la Seconde Guerre mondiale à Moscou, où il se faisait appeler Ivanov. A la Libération, il rentra en France et devint membre du gouvernement. Après la démission de Charles de Gaulle, en 1946, Thorez reprit à son compte un des projets fétiches du général : la création d’un établissement chargé de former les hauts fonctionnaires de la nouvelle république, l’Ecole nationale d’administration (ENA). Thorez devait se dire que cette caste constituerait l’“avant garde du prolétariat” dont Lénine avait tant parlé.


Depuis, l’ENA a produit pléthore de membres de l’élite politique et financière du pays, dont le président François Hollande. En France, décrier les élites est un passe temps qui remonte à la Révolution, mais les énarques et leurs camarades ont rarement été aussi impopulaires. Au bout d’un an d’exercice, les gouvernements, tant de droite que de gauche, deviennent des objets de mépris. Le chômage a atteint un niveau record. Les scandales liés à l’élite se multiplient (un des derniers en date concerne l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac et ses comptes en Suisse et ailleurs). Quelque chose a monstrueusement mal tourné pour la caste de Thorez.
Les élites françaises se définissent par leur intelligence. Elles sont principalement recrutées dans deux écoles au processus de sélection sévère : l’ENA et l’Ecole polytechnique (que l’on appelle communément “l’X”). “Nulle part ailleurs dans le monde, les carrières – et le destin de toute une nation – ne sont à ce point tributaires des écoles que l’on fait”, écrit Peter Gumbel [ancien grand reporter à Time Magazine] dans son dernier livre, France’s Got Talent [Elite Academy. Enquête sur la France malade de ses Grandes Ecoles, éd. Denoël, mai 2013]. “C’est pourquoi, même âgés, certains membres de l’élite se présentent en tant qu’‘ancien élève de l’X’.” Ils ne sont que 80 à sortir chaque année diplômés de l’ENA et 400 de Polytechnique. Ils se voient alors confier des postes très élevés. “Ils travaillent dur. Ce n’est pas une élite qui est juste là pour s’amuser”, soutient Pierre Forthomme, spécialiste du conseil en management. Pendant des années, ils ont fait ce que l’on attendait d’eux. De 1946 à 1973, la France a vécu ses Trente Glorieuses, (presque) trente ans de réussite économique. En 1990, ils avaient encore de quoi se vanter. Ils avaient inventé un proto-Internet, le Minitel, mis en place les trains les plus rapides d’Europe, cocréé l’avion de ligne le plus rapide du monde – le Concorde –, contraint l’Allemagne à accoucher de l’euro (qui, aux yeux des élites françaises, était censé annoncer le début de l’unité européenne plutôt que sa fin), affirmé l’indépendance militaire du pays – que beaucoup prenaient encore au sérieux –, et ils continuaient de croire qu’ils parlaient une langue internationale. Les intellectuels au pouvoir, c’était apparemment une solution qui fonctionnait.

Depuis, tout est allé de travers. Dans les années 1960, le sociologue Pierre Bourdieu dénonçait déjà les défauts de l’élite : la classe dirigeante prétendait être une méritocratie ouverte aux gens brillants quelle que soit leur origine, mais en réalité elle s’était muée en une caste incestueuse.
C’est la plus petite élite à gouverner un grand pays. Elle vit dans quelques arrondissements chics de Paris. Ses enfants vont tous dans les mêmes écoles dès l’âge de 3 ans. Quand ils atteignent le début de l’âge adulte les futurs responsables de la France se connaissent tous. Anciens camarades de classe, ils deviennent des “camarades de caste”, expliquent les sociologues Monique Pinçon- Charlot et son époux Michel Pinçon.
Aux Etats-Unis, jamais un PDG et un romancier ne se rencontreront. En France, les membres des élites politiques, entrepreneuriales et culturelles ont pour ainsi dire fusionné. Ils se retrouvent au petit déjeuner, au vernissage d’une exposition, pour dîner. Ils nouent des liens d’amitié, voire se marient. Ils se donnent des tuyaux pour le travail, couvrent les transgressions les uns des autres, se confondent en éloges dithyrambiques du dernier ouvrage de l’autre. (Comparez l’euphorie que suscite la publication d’un livre de Bernard-Henri Lévy en France à l’accueil qu’on lui réserve à l’étranger !)
Les élites constituent la seule classe française à faire preuve de solidarité interne, poursuit Monique Pinçon-Charlot. Elles sont liées par des secrets communs. Par exemple, beaucoup de leurs membres étaient au courant des curieuses pratiques de Dominique Strauss-Kahn dans la chambre à coucher, mais les mêmes étaient prêts à le laisser se présenter à la présidence plutôt que d’en informer la valetaille au-delà du périf. Pour paraphraser l’auteur anglais E. M. Forster, ces gens trahiraient leur pays plutôt que leurs amis. Ils justifient les faveurs qu’ils s’accordent au nom de l’amitié. En fait (comme l’ont souligné le journaliste Serge Halimi et d’autres), c’est de la corruption.
Une caste aussi réduite, issue des mêmes écoles, souffre immanquablement d’un autre travers, tout aussi dangereux : la pensée de groupe. Et il est rare que ses membres croisent des sous-fifres qui oseront avancer des avis divergents. “En France, un haut responsable sorti d’une grande école n’est jamais informé par la base. Il est seul.” “Ces gens-là apprécieraient d’être informés, ils aimeraient travailler en équipe, ajoute Monique Pinçon-Charlot. Ils ne veulent pas être seuls, mais le système les propulse au pouvoir, si bien que nous pouvons reprocher nos difficultés à nos élites.” La mondialisation aussi a eu un impact. Les élites françaises n’ont pas été formées pour réussir dans le monde, mais dans le centre de Paris. François Hollande, qui a fait trois grandes écoles [l’IEP Paris, HEC et l’ENA], découvre aujourd’hui la planète en tant que président. Il s’est rendu pour la première fois en Chine en avril, lors de sa visite officielle. Ces temps-ci, beaucoup de Français réussissent à Londres, à New York ou dans la Silicon Valley, mais, en règle générale, ils n’ont pas de contact avec l’élite du pays.
Cette dernière ne va pas disparaître d’elle-même. Du reste, une menace bien pire se profile : l’élection, en 2017, de la première présidente authentiquement antiélite, Marine Le Pen.
                                                                                             
                                                                                                            —Simon Kuper.

Cafés suspendus. Réflexion suspendue?


Petites réflexions sur une pratique qui enfle sur les réseaux sociaux... Celle des cafés suspendus...




Lisons ce message qui circule sur les réseaux sociaux. Il s’agit ici de la version anglaise de la pratique semble-t-il courante en Italie des « cafés suspendus ».

This story will warm you better than a coffee in a cold winter day:

"We enter a little coffeehouse with a friend of mine and give our order. While we're approaching our table two people come in and they go to the counter -

'Five coffees, please. Two of them for us and three suspended'
...



They pay for their order, take the two and leave. I ask my friend:

'What are those 'suspended' coffees?'

'Wait for it and you will see'

Some more people enter. Two girls ask for one coffee each, pay and go. The next order was for seven coffees and it was made by three lawyers - three for them and four 'suspended'.

While I still wonder what's the deal with those 'suspended' coffees I enjoy the sunny weather and the beautiful view towards the square in front of the café. Suddenly a man dressed in shabby clothes who looks like a beggar comes in through the door and kindly asks
'Do you have a suspended coffee ?'

It's simple - people pay in advance for a coffee meant for someone who can not afford a warm beverage. The tradition with the suspended coffees started in Naples, but it has spread all over the world and in some places you can order not only a suspended coffee, but also a sandwich or a whole meal."

 




Afin d’anticiper les foudres et les accusations de cynisme, de pessimisme qui s’abattent à chaque fois que l’on émet quelques critiques ou doutes sur les soi-disant marques de bons sentiments humains, commençons par reconnaitre que l’initiative est louable, qu’elle est une forme originale et imaginative de générosité qui justement part de bonnes intentions et qu’elle est préférable au mépris, à la désinvolture face à la misère sociale…

Toujours dans le souci de ne pas heurter les bons sentiments et les enthousiastes humanistes, choisissons la tournure interrogative pour émettre cependant quelques réserves…

 Ne retrouve-t-on pas ici toutes les techniques propres à différer le raisonnement et au contraire à jouer exclusivement sur les émotions ? A-t-on les moyens de connaître l’auteur du message ? Avons-nous des indications précises de lieux et de temps ? N’a-t-on pas une illustration saisissante accompagnant le message ? Ne peut-on pas lire quelques remarques personnelles dans un message rédigé à la première personne, histoire de lui donner la qualité d’un témoignage authentique ?

Pourquoi ne pas donner directement l’argent aux personnes qui en ont besoin ? Pourquoi pour faire œuvre de charité, aurait-on besoin de l’intermédiaire du cafetier ? N’est-ce pas un moyen, un peu malsain, de mettre à distance la misère ? A-t-on de nos jours, vraiment des difficultés à ne pas « voir des personnes dans le besoin » ? N’est-ce pas finalement un peu se donner bonne conscience de façon ostentatoire par une forme de charité aveugle ?

Avec de l’argent en poche, le Sans Domicile Fixe n’a-t-il pas plus de possibilités ? Ne peut-il pas s’acheter ce dont il a le plus besoin au lieu d’être soumis aux articles « suspendus » ? N’est ce pas le moyen de le mettre de façon encore plus flagrante à l’écart du circuit monétaire puisqu’il ne touche concrètement, physiquement, même plus du tout les billets, la monnaie ? N’est-ce pas lui retirer le peu de choix de consommation qui lui reste encore parfois quand il a accumulé un peu de pièces ?

Est-il vraiment « facile » pour une personne dans le besoin de se présenter dans un lieu public et de réclamer ? Est-ce plus « facile » que de tendre la main dans la rue ? L’accueil en cas d’affluence ne sera-t-il pas problématique pour le cafetier ?

N’est ce pas une tentation trop grande de la part du cafetier d’augmenter quelque peu son chiffre d’affaire ? Peut-on vraiment avoir la confiance totale qu’il proposera par la suite ces cafés payés d’avance ? C’est le moyen pour lui d’avoir en caisse des sommes concernant des produits qu’il n’a pas vendus… Que fera-t-il si personne ne vient en réclamer ? De toute façon, même s’il « rend » les « consommations suspendues », c’est un moyen pour lui de s’enrichir… Il vend plus de cafés. L’intermédiaire profite finalement de la pauvreté et de la charité.

Ne peut-on pas imaginer des profiteurs qui s’amuseraient à réclamer des « consommations suspendues » alors qu’ils ont parfaitement les moyens de se les offrir ? N’entend-on pas régulièrement que le prix des cafés est exorbitant ? Certains petits malins arriveraient ainsi à justifier l’usurpation… Est-ce possible de juger de l’état de nécessité d’une personne uniquement à son apparence physique ou à sa tenue ? Le cafetier n’aura-t-il pas la volonté de « choisir » à qui il donnera les « consommations suspendues » ?

Finalement, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

lundi 27 mai 2013

Printemps 2013: jusqu'ici tout va bien...

 Force est de constater que le fait majeur de ce printemps 2013 n’est pas la plainte quotidienne des bons citoyens envers une météo bien capricieuse, comme nous le répètent inlassablement tous les médias depuis des semaines, mais bien plutôt la tendance récurrente à l’émeute urbaine.
Pas une semaine, en effet, sans une démonstration de violence de rue pour telle ou telle cause ou célébration, ou sans une ruée-curée de consommateurs pour profiter de bonnes affaires à moins 70%.



Il est symbolique d’observer que des pratiques « culturelles », liées au sport, (célébration d’une victoire footballistique), liées à la lecture, à la musique, (dépeçage des magasins Virgin), soient le déclenchement de l’explosion des plus vils instincts naturels et bestiaux de l’homme. La culture contemporaine semble ne plus améliorer l’homme : au contraire elle l’abrutit ; elle le pousse à laisser éclater sa violence, sa puissance animale, sa rapacité, son absence de raisonnement, de compassion… Peut-être faudrait-il s’interroger sur la place que l’on donne à la Culture en notre société, à la façon dont on la traite, à l’école, dans nos médias… ?

Par ailleurs, il est tout de même rassurant d’observer des points communs entre des membres du corps social qui revendiquent pourtant que tout les oppose. Ceux que l’on qualifie de "racailles de banlieues issues de l’immigration maghrébine et africaine" et ceux que l’on qualifie de "groupuscules identitaires d’extrême-droite" témoignent de la même énergie débordante face aux forces de l’ordre, usent avec la même dextérité, de bâtons, de pierres, de cocktails molotov, portent avec la même élégance la cagoule, le casque de moto, l’écharpe remontée sur le nez… Il est beau de voir enfin deux France se retrouver ainsi dans de tels moments de connivence sur la voie publique. C’est là le signe d’une époque formidable…

A moins que nos journalistes n'aient finalement raison et que toute cette uniformité vestimentaire et que toute cette agitation frénétique ne soient que les conséquences d’une fraicheur météorologique passagère…

Finalement, on ne doit certainement pas s’effrayer de ces moments de violences urbaines car ils ont toujours existé…

A moins d’imaginer ce qu’ils pourraient devenir s’ils étaient animés par de réelles convictions, de réels besoins… A moins d’imaginer, par exemple, comment se comporteraient ces citoyens en cas de pénurie alimentaire, de rupture de stocks des produits de première nécessité…



ça va bien se passer

mercredi 1 mai 2013

Nietzsche. La valorisation du travail a un sens caché.


Dans la glorification du «travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous: à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, ce qu’on sent aujourd’hui, à la vue du travail –on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir-, qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance.



Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité: et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême. –Et puis! épouvante! Le « travailleur », justement, est devenu dangereux! Le monde fourmille d’ « individus dangereux »! Et derrière eux, le danger des dangers –l’individuum!



(…) Etes-vous complices de la folie actuelle des nations qui ne pensent qu’à produire le plus possible et à s’enrichir le plus possible? Votre tâche serait de leur présenter l’addition négative: quelles énormes sommes de valeur intérieure sont gaspillées pour une fin aussi extérieure! Mais qu’est devenue votre valeur intérieure si vous ne savez plus ce que c’est que respirer librement? si vous n’avez même pas un minimum de maîtrise de vous-même?”

Nietzsche, Aurore, 1881.