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lundi 23 septembre 2013

Un Bijoutier, la Justice et les Médias…


Proposons quelques réflexions sur « l’affaire » des dernières semaines, maintenant que les esprits, disons plutôt les médias, semblent s’être calmés quelque peu.

Rappelons brièvement les faits : un bijoutier niçois a tué un malfaiteur avec son arme à feu après une tentative de braquage.


Rapidement, les chaines de télévision d’informations mettent en première ligne les évènements qui ne tardent pas à émouvoir une opinion publique qui, sur les réseaux sociaux et notamment sur Facebook, déclare son soutien au commerçant. La question de la légitime défense revient donc au premier plan dans un pays où depuis de nombreuses années, l’insécurité, la délinquance sont des thèmes sensibles…

Pourquoi ce fait divers plus qu’un autre ?

Tout d’abord, on s’interroge, une nouvelle fois, sur le pouvoir des médias audiovisuels pour mettre en lumière LE fait divers de leur choix. Des faits divers tragiques comme celui-ci, il s’en produit malheureusement des dizaines par jour… Pourquoi certains ont-ils un impact médiatique aussi fort et aussi rapide à un moment précis ?

Au regard du mode de fonctionnement des chaînes d’infos diffusant en continu, on peut retenir l’explication du seul « timing » : celle d’un fait « sensationnel », dramatique, dans une période « creuse » d’un point de vue journalistique… Une affiche du championnat de France de football, une cérémonie des oscar, un tennisman français réalisant un bon parcours dans un tournoi majeur, la rentrée scolaire, voilà autant « d’informations » qui occultent généralement tout le reste…

Du pouvoir de la télévision sur Internet.

Ensuite, on s’interroge sur le réel pouvoir des réseaux sociaux… Sans l’emballement des médias traditionnels sur ce fait divers, qu’en serait-il de l’emballement de la page de soutien au bijoutier sur Facebook ? Une page qui est devenue d’ailleurs elle-même un des titres majeurs des journaux télévisés pendant plusieurs jours du fait des doutes de comptabilisation des clics obtenus. Si télévision et internet s’autoalimentent, force est de constater que le pouvoir initial, l’élément déclencheur, appartient encore au média traditionnel qu’est la télévision. Combien de causes, sans aucun doute, nobles restent lettre-morte dans les méandres de l’Internet ?

Lorsque l’Internet est à l’initiative d’un phénomène cela reste exclusivement pour des futilités, pour ne pas dire des stupidités : on se filme dans sa chambre en train de jouer à des jeux vidéo (« Pewdiepie »), on pratique des mises en scène loufoques de « danses » exécutées dans des situations diverses et variées (« Harlem Shake »).

Le règne de l’émotion et de l’instantané

Un million de soutiens est donc recensé en quelques jours sur une page Facebook en faveur d’un homme qui en a tué un autre. (1 633 310 à ce jour).

La facilité de réalisation d’une telle page, l’absence totale de références ou d’identité des concepteurs ne freinent absolument pas les internautes qui se précipitent pour cliquer sur un petit pouce levé. Que représentent vraiment « ces soutiens » ? Quelle suite sera donnée à cette page par ses initiateurs ? Une collecte de fond ? Des manifestations ? Une tentative de coup d’état ? Quel crédit peut-on bien donner à cette page ? Est-ce que l’engouement aurait été tel si l’on avait demandé un engagement plus marqué de la part des « soutiens » ? Ne serait-ce que de remplir un formulaire comportant nom et adresse ou une contribution financière ? A ce propos, une pétition lancée via le site mesopinions.com recueille en comparaison 62 590 signatures à ce jour « seulement ».

Un « j’aime » sur Facebook ne sera jamais qu’un clic avec sa souris… Qui se souvient de toutes les photos, vidéos, articles, pages qu’il a « likés » ? Le geste est insignifiant et ne représente, comme son intitulé l’évoque pourtant parfaitement, qu’une déclaration d’affectation, sans aucun degré particulier qui plus est.

Cette page n’est en partie que le signe, et c’est loin d’être négligeable, d’une exaspération, d’une colère, d’une crainte c'est-à-dire d’une émotion par rapport à ce thème préoccupant de l’insécurité.

Le problème du recensement des « j’aime » ne doit pas être occulté non plus. Beaucoup a été écrit sur l’origine des « soutiens » sans que l’on sache vraiment finalement la réalité. On apprend que le « j’aime » peut s’acheter, qu’il peut être numériquement automatisé, ce qui revient à le discréditer complètement. Il y a aussi les subtilités de la programmation informatique : un commentaire, même négatif ou d’opposition, à un lien partagé sur Facebook est recensé comme un « j’aime » sur la page du blog ou du site dont il est issu, par exemple…

Temps de l’actualité, temps de la justice.

Plus important encore que ces considérations, il faut rappeler qu’aucun citoyen n’est au cœur de l’enquête judiciaire. Le temps de l’actualité n’est pas le temps de la justice. La procédure policière est longue et comporte un bon nombre d’étapes : analyse scientifique de la scène de crime, collecte d’informations et recherche de témoins, interrogations des prévenus, reconstitutions,… Dans la presse, à la télévision, chaque information concernant un fait divers est révélée comme un scoop. Tout apparait au public au fur et à mesure, jour après jour, et ne manque pas de fausser parfois complètement le jugement. Ce n’est qu’au bout de plusieurs jours que l’on apprend que l’arme du bijoutier était détenue illégalement ou que le braqueur tué était récidiviste. Que penserait-on de toute cette affaire et des soutiens Facebook si l’enquête révélait dans plusieurs semaines que le bijoutier était le recéleur du cambrioleur tué ? Ce n’est là qu’une hypothèse qui ne changerait rien au drame que représente la mort d’un homme mais il faudrait admettre que le point de vue général ne serait plus du tout le même.

Le cas d’une révélation spectaculaire ne s’est-il jamais produit ? Rappelons ici simplement l’affaire dite du RER D en 2003 qui avait suscité la plus vive émotion de la population française. Toute la presse écrite et audiovisuelle s’était empressée de relater des faits sur la base des témoignages de la soi-disant victime d’une agression atroce,… avant de révéler sans aucune excuse ni remise en question des méthodes qu’il s’agissait d’une affabulation totale.

Fontenelle disait en 1686 : « Assurons nous bien du fait avant de nous inquiéter de la cause ».

De la légitime défense.

Le débat sur la légitime défense, à une heure où une catégorie de la population a le sentiment d’être abandonnée des pouvoirs publics, est sans doute nécessaire. Mais il doit être mené dans des conditions beaucoup plus saines que celles qui nous sont proposées pour le moment. Les conséquences en sont trop importantes pour la société. Toute décision prise sur le coup de l’émotion, dans la précipitation ou dans l’omission de certaines données sera-t-elle une sage décision ?

Il faut s’alarmer d’une société qui apporte son « soutien », dans la précipitation, sans vraiment en connaître les circonstances, à un homme qui en a tué un autre. Il faut s’alarmer d’une société dans laquelle l’exaspération, l’émotion prend le dessus sur la loi. La légitime défense est en effet strictement précisée par la loi sans que cela soit vraiment rappelé par nos médias et sans que cela préoccupe les soutiens véhéments au bijoutier.

Peut-on croire que le sentiment de sécurité serait plus grand si l’on vivait dans une société où tout un chacun serait armé et pourrait se faire justice lui-même ? Militaires et policiers ne subissent ils pas un entrainement rigoureux et régulier pour user d’armes dans le cadre de leurs fonctions ? N’a-t-on pas l’exemple de pays où la possession d’armes par les citoyens cause régulièrement des massacres ? Enfin, comment désigne-t-on un environnement où la loi ne définit plus les comportements de chacun ?

Une question hors des clivages partisans ?

Le problème de la sécurité est délicat. Mais nous sommes dans un état de droit. Nous avons élu des hommes et des femmes pour représenter notre souveraineté. Ces représentants politiques doivent se montrer à la hauteur de leurs fonctions pour affronter les questions sociales. Nous serions peut-être en droit d’attendre sur ces questions de justice et de sécurité une certaine forme de compromis.

La cause pour le bien-être et la sureté des membres du corps social ne doit pas être le prétexte à des conjonctures politiciennes. Il ne devrait pas y avoir une solution proposée par un parti mais La solution pour tous les citoyens. L’unité des partis républicains sur ce domaine sensible et primordial serait le meilleur barrage aux idées extrémistes. Des propos comme ceux du maire de Nice, M. Estrosi, (« Le gouvernement est du côté des voyous »), en plus d’être indignes de sa fonction de représentant du peuple, sont indécents au regard de la gravité des faits, et dangereux au regard de la fébrilité du peuple sur cette question.

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