Où l’on peut, peut-être, découvrir à quoi servent les épreuves de français du baccalauréat. Où l’on peut découvrir, peut-être, quel est l’intérêt du commentaire composé ou de l’écriture d’invention.
Prenons un texte court auquel on peut être confronté lorsque l’on navigue un peu sur les réseaux sociaux (au lieu de réviser son bac).
Exemple récent : facile à comprendre et pas trop long à lire :
Bien, maintenant appliquons à ce texte les épreuves type bac. D’abord le commentaire. (les indications en gras ne doivent pas figurer sur la copie)
Introduction
Ce texte appartient au genre littéraire de l’essai et plus précisément du pamphlet. Il a pour but en effet de délivrer un message ayant la volonté d’emporter l’adhésion du lecteur de manière directe. L’auteur est anonyme et l’on ne peut qu’attribuer au texte une date de publication approximative : sans doute la deuxième décennie du XXIe siècle. Il a été diffusé sur le réseau social Facebook et a suscité un bon nombre de commentaires et de réactions d’affection. Ce bref message percutant cherche à mettre en évidence une forme d’injustice flagrante de notre société actuelle : les vrais délinquants peuvent agir en toute impunité pendant que les automobilistes sont persécutés par une répression judiciaire implacable. Comment l’auteur tente-t-il d’emporter l’adhésion du lecteur ? Dans un premier temps, nous verrons que pour jeter le trouble dans son esprit, le texte repose sur une illusion de démonstration. Ensuite, nous montrerons qu’en fait il propose implicitement une remise en cause pure et simple de la notion de justice.
Première partie
Pour mieux troubler l’esprit du lecteur, l’auteur de l’affiche s’efforce de lui donner l’apparence d’une argumentation efficace.
D’abord, le texte est parfaitement adapté à son mode de diffusion par sa forme. La brièveté et la concision des propos semblent avoir été une priorité du concepteur. En effet, le texte ne comporte qu’une trentaine de lignes et se compose de petits paragraphes composés pour l’essentiel d’une phrase. Un autre élément parfaitement adapté au mode de diffusion est la présence d’un titre particulièrement provocateur : « La racaille c’est vous ! ». Il s’agit d’interpeller avec violence le destinataire pour susciter chez lui une réaction d’indignation le conduisant à lire la suite. L’implication du lecteur par l’émotion est très forte et ne manque pas de l’influencer dans la mesure où il nie forcément le jugement énoncé. La structure du texte s’organise ensuite en trois temps. Un constat est proposé dans le premier groupement de phrases, de la ligne 2 à la ligne 6. Une succession de phrases négatives s’apparentent à une forme d’antithèse dans la mesure où elles s’opposent avec force au titre. Il s’agit de susciter la curiosité du lecteur tout en le troublant psychologiquement. Le constat se poursuit à partir de la ligne 7 par un second groupement de phrases introduites par le connecteur logique d’opposition « par contre ». Cinq phrases affirmatives enchainent désormais des comportements positifs très valorisants pour le lecteur. On relève par exemple : « vous rendez service » ou plus valorisant encore « vous sauvez des vies ». Il s’agit donc dans la continuité du premier groupement de phrases de flatter le lecteur et de le rassurer. Le deuxième mouvement de l’argumentation n’est constitué que de trois phrases au passé composé introduites par la conjonction de coordination « mais ». Une nouvelle opposition est donc proposée au lecteur et s’appuie sur la divulgation de délits routiers apparaissant bénins au regard des deux premiers groupements de phrases. Ces trois phrases ont pour but d’identifier réellement la cible du message : les personnes ayant commis une infraction du code de la route. Enfin, la conclusion du texte, le troisième et dernier temps de l’argumentation, est une déduction introduite par l’interjection « bravo ». C’est un moyen pour l’auteur de renforcer l’évidence de son raisonnement. Tous ces procédés sont choisis par le locuteur dans le but de faire apparaitre de façon flagrante sa démarche argumentative. Il s’agit de donner l’illusion de la rigueur en jouant en fait sur les émotions du destinataire.
Cette volonté est renforcée par le choix d’un style sobre qui se veut efficace. La figure de construction récurrente du message est l’anaphore. On relève ainsi pour les trois premiers mouvements du texte, la répétition du pronom personnel « vous » pour débuter chaque phrase. Il s’agit de faciliter la compréhension du texte tout en insistant sur l’interpellation directe au lecteur. L’emploi des temps de l’indicatif permet aussi la communication d’un message clair, simple à comprendre. On relève ainsi le présent d’habitude pour le premier groupement de phrases : « vous ne dealez pas ». Le deuxième groupement est lui aussi au présent d’habitude avec par exemple « vous travaillez toute la semaine » mais choisit cette fois la forme affirmative. Le troisième groupement opte pour le passé composé, temps du passé récent qui a encore une incidence sur le présent. Le choix et la répétition du pronom personnel de la deuxième personne du pluriel sont un moyen efficace et simple de montrer au lecteur une forme de respect tout en s’assurant de son implication. Les formules des deux premiers groupements sont des formules générales, « vous n’agressez pas », « vous rendez service », propres à permettre à chaque lecteur de se reconnaître facilement au moins dans l’une d’elle de façon évidente. L’interjection « bravo », formule ironique récurrente est elle aussi un moyen de diffuser le message de façon simple sur le ton de la plus flagrante évidence. Il s’agit pour l’auteur de jouer sur la clarté du message. Il faut aller à l’essentiel encore une fois pour privilégier la volonté de toucher le lecteur et non de jouer sur sa raison.
Transition
La démarche argumentative semble donc être bien celle de la persuasion. L’auteur use d’une structure misant sur la brièveté, et sur un style axé sur la simplicité. C’est pour lui le moyen de développer plus facilement une remise en cause pure et simple de la notion de Justice.
Deuxième partie
Ce texte s’apparente en fait sur un rejet d’une institution indispensable pourtant à la vie en société : la Justice. On relève ainsi le champ lexical des délits mêlé à celui de la politique : « agressez » ; « volez » ; « tuez » ; « honnête » ; « sécurité intérieure » ; « amende » ; « politique » ou « gouvernement ». Ce sont les marques de la tonalité polémique du message. Il s’agit de suggérer l’idée d’un complot ourdi contre les citoyens respectables. L’oxymore, « les yeux grands fermés » renforce cette idée de volonté délibérée de nuire aux plus honorables membres de la communauté de la part du gouvernement. Le groupe nominal « cible prioritaire » dans une phrase où le pronom « vous » est en position de complément d’objet, illustre encore l’acharnement subi par les bons citoyens. L’expression « remettre votre permis » ajoute l’idée d’une humiliation imposée à celui qui n’a pas respecté le code de la route pour des fautes minimes du moins minimisées par le texte. Bien sur la récurrence du pronom de la première personne du pluriel « vous » continue d’impliquer totalement le lecteur qui toujours peut se laisser emporter émotionnellement par la colère. Le rejet des institutions passe aussi plus implicitement par la substitution du mot cotisation par le mot « charges » auquel on accole l’adjectif qualificatif « lourdes ». C’est le moyen ainsi de mettre en évidence avec plus de force le sentiment d’injustice ressenti par le « bon citoyen » et de remettre en cause la notion de lois fiscales. Cette affiche a donc pour but de dresser le lecteur contre les institutions en le plaçant dans une position de victime innocente d’un complot étatique contre sa personne.
Finalement ce bref message dresse l’éloge de l’irresponsabilité des actes et appelle implicitement à la désobéissance. L’argumentation enchaine, accumule des propositions qui n’ont aucun lien les unes avec les autres. Il n’y a pas de rapport logique entre « payer ses impôts de façon honnête » (comment peut on le faire de façon malhonnête de toutes les façons ?) et « ne pas tuer », entre « travailler toute la semaine » (ce qui est le propre de la grande majorité des actifs) et « ne pas voler », entre « ne pas se droguer » et « rouler à 130 au lieu de 110 ». Certaines propositions paraissent suspectes quant à la désignation des destinataires du message. Ainsi, « vous sauvez des vies » ; « vous êtes l’estime de tout un pays » ne semblent pas s’appliquer à l’ensemble des citoyens mais sans doute aux médecins, ou aux pompiers. On ne peut désigner les membres de la police qui sont complices de la surveillance accrue des délits routiers. La formule « vous avez reçu une prise de rendez-vous » semblent plutôt s’appliquer aux commerciaux. Certaines personnes auraient donc le droit de ne pas respecter les mêmes lois que tous les autres. Certaines lois ne devraient donc pas s’appliquer à certains citoyens. L’éloge de l’irresponsabilité passe aussi par la minimisation des délits routiers. On assène ainsi dix comportements positifs très généraux et seulement trois négatifs très précis. Le message tente d’atténuer les fautes des délits de la route voire d’occulter les facteurs aggravants que sont l’excès de vitesse et l’alcoolémie. Par ailleurs, par une ellipse, le téléphone n’est pas même mentionné ce qui est le moyen de minimiser le caractère dangereux de son utilisation au volant. De plus, on ne saisit pas très bien si les trois délits ont été commis en même temps ou de façon séparée. Le passé composé, « vous avez roulé » ; « vous avez bu » ; « vous avez reçu » donne un caractère unique, exceptionnel, au délit, ce qui renforce donc encore le sentiment d’injustice. Ainsi, ce document cherche à donner au lecteur la possibilité de justifier certains de ses comportements illicites qui pourtant peuvent se révéler dangereux voire mortels pour autrui ce qui est pourtant en opposition avec le précepte du premier paragraphe « vous ne tuez pas ».
Conclusion
Ce texte mise avant tout sur la volonté de susciter des réactions et des sentiments forts au lecteur. Ce dernier passe successivement de la curiosité à l’indignation puis à la colère. Le texte par une fausse démonstration met tout en œuvre pour différer le jugement du lecteur. Il faut par des formules brèves, générales et choquantes l’empêcher de réfléchir et d’user de sa raison. Avec ce procédé, il remet en cause le respect des lois en mettant sur le même plan des délits qui n’ont aucun lien entre eux. Il devient donc dangereux dans la mesure où il persuade le lecteur crédule, peut être concerné par une amende ou une suspension de permis, qu’il est la victime d’un complot, d’un acharnement. On remet en cause la notion même d’égalité devant la loi, l’impartialité de l’Etat devant les délits, et donc sa réelle volonté d’assurer la sécurité des citoyens dans un pays où la délinquance routière occasionne pourtant un nombre de victimes conséquent chaque année.
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Ecriture d’invention : rédigez un pastiche du document intitulé « la Racaille c’est vous ».
Le coupable c’est vous !
Vous ne mentez pas à des millions de personnes ;
Vous ne commettez pas d’abus de biens sociaux ni de conflit d’intérêt et encore moins d’abus de faiblesse ;
Vous ne pratiquez même pas l’optimisation fiscale ;
Vous ne jetez pas à la rue vos employés afin de valoriser la cotation boursière de votre entreprise ;
Vous ne pratiquez pas le détournement d’argent public ;
Par contre :
Vous respectez les lois pour le bien être d’autrui ;
Vous cotisez aux caisses d’assurances maladie et de retraite pour anticiper les aléas et la fatalité de l’existence ;
Vous payez vos impôts à hauteur de vos revenus pour contribuer au bonheur de la nation ;
Vous consommez régulièrement pour la prospérité de tous ;
Vous faites des dons à des associations caritatives pour soulager les plus démunis ;
Mais
Vous avez acheté une automobile, influencé par les milliers de publicités quotidiennes qui vous assaillent ;
Vous avez téléchargé le dernier titre de votre chanteur préféré grâce à votre box haut débit et à l’ordinateur dernier cri aux capacités extraordinaires qui vous a couté une fortune ;
Vous avez grignoté entre les repas des produits issus de l’industrie agro-alimentaire et avez omis de manger 5 fruits et légumes par jour.
Bravo !
L’infâme gouvernement socialiste incompétent avec ses complices issus des plus vils groupements sectaires et sectaristes écologiques et des trusts culturels et artistiques, viennent de vous déclarer coupable du réchauffement climatique, de la faillite totale de l’industrie musicale et cinématographique de notre glorieux pays et du scandale sanitaire de l’obésité contribuant à l’accroissement abyssal du gouffre de la sécurité sociale.