Où
l’on peut découvrir les remarques des journalistes européens sur les hommes
politiques français et où l’on s’interroge sur la presse en notre beau pays. Et
où l’on se rend compte que le mal n’est pas que français.
The Observer, Londres.
Il fut un temps où l’on jugeait
impératif de mener une existence vertueuse. Il était question d’intégrité,
d’engagement envers un but dépassant l’enrichissement personnel, d’un certain
altruisme, pour ne pas dire d’humilité. Ceux qui se trouvaient au sommet y
étaient peut être parvenus en se montrant implacables et ambitieux, mais ils
savaient que pour gouverner il fallait donner l’exemple, et que cela nécessitait d’autres qualités que de
simplement penser à soi.
Cette époque est révolue. Le plus
grand défaut de la contre-révolution libérale est peut-être d’avoir consacré
tant d’énergie à démontrer que la vertu, quelle que soit son importance dans la
sphère privée, n’a aucune valeur dans la sphère publique. Le recul de la vertu
est désormais le fléau de notre temps. Il est légitime de faire preuve de
cupidité ; une seule chose compte, accumuler des richesses, peu importe
comment, y compris à coups de primes scandaleuses ou d’évasion fiscale. Or,
dans tout l’Occident, cette attitude a des conséquences de plus en plus
perceptibles. La politique, les affaires et la finance en sont aujourd’hui
affligées au point d’être dysfonctionnelles, et la population n’a plus aucune confiance dans ce qu’il est convenu
d’appeler « les élites ».
L’affaire que vit la France en
est un exemple classique. François Hollande a été élu président il y a
moins d’un an en promettant “un gouvernement « exemplaire » après la boue des années Sarkozy. Et c’est là
qu’intervient Jérôme Cahuzac. Le mois dernier encore, il était ministre
socialiste délégué au Budget, porte-étendard de la croisade contre l’évasion
fiscale. Il a été révélé qu’il avait lui-même mis 600 000 euros à
l’abri sur un compte secret en Suisse. Il a démissionné, mais l’événement est à
l’origine d’une crise à la fois pour le président français et pour l’ensemble
du système et de la classe politiques du pays.
Hypocrisie. Déjà deux anciens
présidents– Chirac et Sarkozy – se sont empêtrés dans des histoires
de détournement de fonds et de financement illégal de campagne. Mais l’affaire
Cahuzac va plus loin, car l’hypocrisie y rejoint l’illégalité. Repoussés à la
troisième place par le Front national lors d’une récente élection législative
partielle [le 24 mars, dans la deuxième circonscription de l’Oise, l’UMP l’a
emporté avec 51,41 % des voix, le FN a obtenu 48,4 % des suffrages],
les socialistes de Hollande se voient maintenant accusés non seulement
d’incompétence et de manque d’objectifs politiques, mais aussi de duplicité.
Qui prendra conscience de l’importance de la vertu publique ?
La droite conventionnelle se
trouvant tout aussi désemparée et compromise, on court le risque que le Front national ne soit le premier à en
bénéficier, en jouant sur la désillusion que suscitent d’une part les
politiques et d’autre part les élites dans leur ensemble. Il semble bien que
les règles qui s’appliquent aux petites gens, confrontés à l’austérité, à la
dégradation de leur niveau de vie et à un chômage qui a atteint son maximum
depuis seize ans, ne vaillent pas pour les hautes sphères.
Pendant ce temps, en Espagne, le
Premier ministre Mariano Rajoy a été accusé d’avoir dissimulé
250 000 euros au fisc. Et Cristina, la fille du roi Juan Carlos en
personne, va elle aussi devoir rendre des comptes devant la justice au sujet
des affaires douteuses de son mari. En Italie, le Mouvement 5 étoiles de
Beppe Grillo a remporté près de 30 % des suffrages, un vote largement
protestataire face à la corruption de l’ensemble de la classe politique.
Aujourd’hui, l’Etat est jugé à la
fois inefficace et répressif. Les riches n’ont aucun scrupule à dissimuler
leurs richesses et l’évasion fiscale motivée par l’égoïsme est considérée comme
une attitude légitime, voire une obligation morale. Le Royaume-Uni n’échappe
pas à cette tendance. Le scandale des notes de frais des députés en 2009 n’a
peut-être pas atteint les niveaux d’hypocrisie et de corruption de l’affaire
Cahuzac, mais les racines du problème sont les mêmes. Code éthique. Nous connaissons les principes fondamentaux d’une
société plus juste : une proportion équitable entre la récompense et
l’effort, l’entraide en temps de crise et une juste répartition des richesses
lors des embellies. Mais une société de ce genre a besoin d’hommes et de femmes
animés des mêmes vertus. Il y a encore cinquante ans, la foi en Dieu servait de
caution à la morale et, même si les élites se comportaient mal, au moins elles
savaient que c’était répréhensible. Aujourd’hui, nous traversons une période de
révolte des élites, comme le redoutait il y a vingt ans l’historien [américain]
Christopher Lasch. Le code éthique soutenu par les valeurs chrétiennes et
garant d’une certaine équité a été sapé par la laïcisation et les préceptes du
libre-échange. Et il n’y a plus non plus de mouvements de travailleurs
puissants, portés par les valeurs du socialisme, pour obliger les élites à être
honnêtes.
Selon Lasch, la seule solution
réside dans la réaffirmation de la
démocratie. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une démocratie où le
référendum reste exceptionnel. Nous avons besoin de revenir aux fondements de la démocratie, une démocratie de la transparence et de la responsabilité, avec des mécanismes et des procédés
inscrits dans la Constitution qui obligeraient nos dirigeants du public et du
privé à rendre des comptes au jour le jour. Nous sommes désormais mieux
informés sur les dessous de la politique, d’où la chute de Cahuzac. Mais ce
n’est qu’un début. Pour restaurer la confiance, nous avons besoin d’encore plus
de transparence, avec les mêmes principes appliqués à nos entreprises et à nos
banques. Il faut repenser la légitimité du domaine public et de l’intervention
publique. Il est temps que nos dirigeants – dans le secteur public comme
dans le privé – rendent des comptes.
Will Hutton
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Süddeutsche Zeitung,
Allemagne (extrait)
En Allemagne, ce sont les
années 1920, en France, les années 1930, mais dans les deux pays, ces
époques sont considérées comme annonciatrices de troubles à venir. […] Une fois
de plus, beaucoup de gens, écœurés, se détournent des forces politiques
traditionnelles au profit des extrêmes. Et une fois de plus, la France sombre
dans un pessimisme infiniment plus dangereux que l’absence de croissance et un
chômage à 10%.
Stefan Ulrich
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El Pais, Madrid (extrait)
Les quatre mois qui viennent de
s’écouler depuis les révélations de Mediapart
sur l’existence des comptes en Suisse de [Jérôme] Cahuzac, où l’on a pu
entendre dans tous les médias les véhémentes dénégations de l’intéressé jurant
ses grands dieux qu’il n’avait pas de compte à l’étranger et qu’il n’en avait
jamais eu, ont révélé la naïveté et la complaisance de la classe politique dans
son ensemble. L’opposition aujourd’hui si virulente a ainsi préféré faire
l’autruche plutôt que de jouer son rôle pourtant fondamental de contrepouvoir.
Cette affaire a également révélé la connivence de la majorité des médias dits « traditionnels »
qui, au lieu de mener leur enquête et de demander des comptes au pouvoir, n’ont
fait que mettre en doute le travail rigoureux du petit site d’information fondé
par Edwy Plenel il y a cinq ans. Voilà soixante-dix ans, le général de
Gaulle disait à Malraux que Combat,
le journal d’Albert Camus, était le seul à échapper à la médiocrité bien
qu’il fût écrit par des gens intraitables. Une fois de plus, les intraitables
ont remis la démocratie à sa place. La vague d’hystérie et d’hypocrisie
collective entraînée par la confession de Cahuzac, qui cherche à se concilier
les bonnes grâces de la justice pour son procès, aurait pu être évitée si,
comme l’a dit Plenel, la démocratie avait fonctionné correctement ces quatre
derniers mois, lorsque tout le monde préférait regarder ailleurs. Comme
l’Italie et l’Espagne, la France a touché le fond en matière de mensonge et de
corruption. Et comme en Italie et en Espagne, les menteurs et les corrompus ne
sont pas les seuls responsables.
Miguel Mora,
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