Google+ Article deux: Les ouvriers français par les journalistes anglais

samedi 2 mars 2013

Les ouvriers français par les journalistes anglais



Ces deux articles sont rapportés par le Courrier international n°1165 du 28 février 2013. Ils réagissent aux propos du directeur de l'entreprise de pneus, Titan concernant le rendement des ouvriers français. où l'on peut être surpris...



Extrait d’un article tiré du Financial Times, par Howard Davies, Londres
"Maurice Taylor, directeur général du fabricant de pneus Titan, s’était signalé pour la première fois à l’opinion publique américaine en 1996, quand il avait vainement tenté de se présenter à la présidentielle. Il avait dépensé beaucoup de ses propres deniers pour décrocher 1 % des voix aux primaires républicaines, et avait publié un manifeste intitulé « Tuer tous les avocats et autres méthodes pour mieux gérer l’Etat ». Il défend clairement des idées dignes du Café du commerce, avec un sens de l’humour du même niveau.

Quand il s’est lancé dans une tirade sur les salariés, les syndicats, le gouvernement et à peu près tous les habitants de l’Hexagone, il semble que ledit sens de l’humour ait quelque peu échappé aux Français, ce qui est peut-être à leur honneur.

 « Titan va aller racheter une société de pneus chinoise ou indienne, paiera moins de 1 euro de l’heure, et livrera tous les pneus dont la France aura besoin. Vous pouvez garder vos prétendus travailleurs », a-t-il écrit dans une lettre dont une copie a été publiée la semaine dernière dans Les Echos.

Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif – titre grandiloquent qui a tout d’une provocation en ces temps de récession –, est la cible de la lettre de Taylor.

A en croire le discours à la mode, la France serait en train de devenir l’homme malade de l’Europe, avec une économie qui stagne, un chômage qui ne veut pas baisser, un déficit commercial impossible à résorber et un déficit budgétaire qui va sans doute dépasser l’objectif des 3 % du PIB que le gouvernement est tenu de respecter, conformément au traité de Maastricht [en fin de semaine dernière, la Commission européenne estimait à 3,7 % le déficit budgétaire français en 2013]. Ce qui lui vaut d’être critiquée au sein de l’UE. Ces remontrances ne viennent pas que de Londres ou de Washington : les économistes français sont eux aussi nombreux à s’inquiéter. Par conséquent, et sans tenir compte du style excentrique de Taylor, sa lettre à Montebourg a trouvé un terreau fertile. L’ennui, c’est qu’il s’est trompé de cible, et qu’il a attaqué les Français sur ce qui est leur plus grande force. Avec des ennemis comme lui, les Français n’ont pas besoin d’amis. Ses attaques contre ces bons à rien d’ouvriers montrent surtout que, pour un marchand de pneus, il est plutôt gonflé. Car ce qu’il faut savoir, c’est qu’en termes de productivité les salariés français se débrouillent bien. Ils travaillent effectivement moins que leurs homologues dans les pays de même importance : ils font, en moyenne, 16 % d’heures de moins que dans l’ensemble de l’OCDE et 25 % de moins que dans les nations asiatiques industrialisées. Mais leur rendement à l’heure soutient largement la comparaison.

D’après une étude réalisée par UBS en 2009, la production annuelle française était de 36 500 dollars par tête [27 900 euros], contre 44 150 dollars [33 750 euros] aux Etats-Unis.

Mais, en moyenne, les Français travaillent 1 453 heures par an, alors que les Américains, eux, restent à leur poste pendant 1 792 heures. Donc, sur une base horaire, les Français produisent 25 dollars [19,12 euros] et les Américains 24,60 dollars [18,8 euros].

La différence n’est peut-être pas énorme, mais elle ne permet assurément pas de prétendre que les salariés français, quand ils sont sur leur lieu de travail, vivent dans une sorte de pause-café perpétuelle ou qu’ils sifflent des ballons de rouge derrière les hangars à vélo. Le principal problème de la France n’est pas la productivité de ceux qui travaillent, mais un droit du travail qui pénalise le recrutement, ce qui se traduit par un taux de chômage plus élevé. Ceux qui ont un emploi ne risquent pratiquement plus de le perdre, ce qui accroît encore le coût de la main-d’œuvre. Ce dernier a augmenté plus rapidement en France qu’en Allemagne, au détriment de la compétitivité. Le chômage contribue au problème budgétaire en pesant un peu plus sur les charges sociales, et rend plus ardue toute tentative de dégraissage du secteur public. M. Taylor s’est donc trompé de cible dans sa diatribe sans discernement. Guy Mollet, homme politique socialiste qui fut ministre dans les années 1950, a dit un jour que la France avait la droite la plus bête du monde. Un point de vue que la récente pantalonnade de François Fillon et Jean-François Copé, qui tous deux cherchent à succéder à Nicolas Sarkozy aux commandes de l’UMP, n’a rien fait pour contredire.

Mais M. Taylor vient de prouver que la droite française n’a pas le monopole des arguments qui ne tiennent pas debout. "
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Article tiré du Guardian par Fiachra Gibbons, Londres

"L’histoire nous l’a prouvé : les Français sont une bande de flemmards et de poseurs ridicules et pontifiants qui, quand ils ne sont pas en vacances, en grève ou fourrés chez le médecin pour réclamer des suppositoires afin de soigner des maladies imaginaires, passent leur temps à philosopher sur la vacuité de toute forme d’activité professionnelle dans le but de se ménager du temps pour vivre leur vie de goinfres adultères. Et pendant ce temps-là, le monde avance sans eux.

Les stéréotypes de ce genre ont toujours fait le jambon-beurre (parce que le miel, ce n’est pas assez chic pour les Français) des correspondants étrangers en France depuis que Jules César s’est lancé à la conquête de la Gaule, et ils ne manquent jamais de susciter quelques sourires amusés à la table du breakfast anglais. Aussi, quand un Américain impertinent que l’on dirait taillé dans les pneus que vend sa société se retrouve invité en France pour reprendre une usine en difficulté, et qu’il nous dit que non seulement ces clichés sont vrais, mais que les Français sont encore plus feignants et bolchos que nous l’avions imaginé, nous ne pouvons que nous esclaffer, tout en nous promettant mentalement de ne jamais le convier à dîner de peur qu’il ne s’en prenne à nos meubles ou qu’il ne fasse des choses inavouables au chat.

« Des journées de trois heures ! De longues pauses-déjeuner ! Les salariés qui veulent avoir leur mot à dire ! » nous gaussons-nous, avec un soupçon d’envie à l’idée que ce pays de cocagne communiste fantasmé puisse encore exister. Or, l’ennui, c’est que, justement, c’est un fantasme. Les flâneurs de l’usine Goodyear d’Amiens – ou les “prétendus travailleurs”, comme les a brocardés Morry Taylor, le patron de Titan Tire – ne travaillent effectivement que trois heures par jour parce qu’ils sont à temps partiel à cause des caprices du capitalisme mondial. La planète est saturée de pneus. Taylor, ancien candidat républicain à la présidentielle américaine, réputé pour sa propension à licencier les salariés qui se syndiquent et à empêcher les inspecteurs du travail d’enquêter sur les accidents dans ses usines, soutient que « les Français ne veulent pas travailler ». Alors que c’est le contraire qui est vrai. Le site Internet le plus fréquenté par les travailleurs en France n’est ni Google ni Facebook, mais Pôle emploi, centre pour l’emploi en ligne où le chômage est devenu une occupation à plein temps. Il faut y perdre des heures kafkaïennes à cliquer sur des liens morts pour pouvoir démontrer que l’on ne fait rien d’autre. A Amiens, le chômage frise les 45 %. Les postes ne courant pas les rues, les gens, de leurs 20 à leurs 30 ans, rebondissent d’un stage non rémunéré à l’autre. En m’intéressant rapidement aux familles de mes amis et de mes voisins, j’ai trouvé onze jeunes et trois hommes de 40 et 50 ans pris au piège dans ce carrousel. Un type en était à son cinquième stage non rémunéré, si bien qu’il devient difficile de contester ce graffiti anarchiste omniprésent sur les murs de Paris : « Travail = exploitation ».

C’est vrai, les Français remettent beaucoup plus de choses en question – y compris le travail –, et selon certains calculs les Britanniques travailleraient plus longtemps (entre 150 et 177 heures de plus par an). Mais d’autres recherches ont montré que les Allemands travaillaient encore moins. Et, si ce n’était qu’une affaire d’heures, les Grecs seraient en haut du tableau de l’efficacité en Europe, ce qui est loin d’être le cas.

Par ailleurs, de nombreuses enquêtes ont prouvé que les salariés français comptaient parmi les plus productifs au monde, plus encore que les Allemands, et qu’ils sont beaucoup plus efficaces que les Britanniques ou les Suisses, un peu plus mollassons, mais aussi qu’ils sont les plus malheureux et les moins bien dirigés. J’ai personnellement été assez souvent victime de la stupidité démoralisante de ces tyranneaux que l’on croise dans les étages directoriaux en France pour pouvoir confirmer ce que Corinne Maier, elle-même fainéante d’entreprise, révèle dans Bonjour paresse [éd. Michalon, 2004] où elle manifeste des pulsions meurtrières à l’égard de ses chefs – un sentiment que partageraient apparemment 20 % des salariés en France.

La plupart des chefs d’entreprise français sont imperméables à toute idée de motivation et d’autonomie de la main-d’œuvre. Le plus gros problème, en France, ce ne sont pas les salariés (dont l’éthique professionnelle est souvent supérieure à celle des Allemands et des Britanniques, comme le montrent certaines études), mais la façon dont ils sont dirigés et organisés.

Reste que cette image des Français qui n’aiment pas travailler est un cliché si plaisant que l’on ne peut s’en défaire – et nous y succombons chaque fois qu’un délégué syndical communiste se plante tel Obélix devant le portail de son usine. Certes, c’est une bande de bolchos avec lesquels vous ne tiendriez pas particulièrement à faire tout un voyage en TGV – mais c’est pour cela qu’ils sont de si redoutables négociateurs, même confrontés à une multinationale aussi impitoyable que Titan. C’est ainsi que des milliers d’emplois français viables ont été sauvés au lieu de finir en dommages collatéraux dans le grand jeu planétaire de la domination des marchés. Ceux d’Amiens y échapperont-ils ? La question est posée, mais qui d’autre se soucie des petites gens ? Certainement pas Morry Taylor ou ceux de son espèce, quoi qu’il en dise quand il se présentera à la présidence en 2016."
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