Google+ Article deux: La France Orange mécanique?

mercredi 13 mars 2013

La France Orange mécanique?


Un ouvrage intitulé La France Orange mécanique a été publié par un journaliste, Laurent Obertone, (il s’agit d’un pseudonyme) et suscite depuis quelques semaines de nombreuses réactions.

Son thème : L’insécurité.


Ses thèses : 1- La délinquance connaît une croissance exceptionnelle ces dernières années. 2- Elle se caractérise par une « ultra-violence » inédite à ce jour. 3- Elle est le fait des étrangers présents sur le sol français ou bien des populations issues de l’immigration.


L’ouvrage annonce la narration de faits divers et la divulgation de statistiques précises que son auteur qualifie d’irréfutables et reconnues par tous.

La sécurité, la délinquance, la justice, le respect des lois, sont des thèmes qui nous concernent tous. Ils sont fondamentaux en une démocratie. Montesquieu n'affirme-t-il pas dans l'Esprit des lois: «La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.»

Voilà sans doute pourquoi l'ouvrage déchaîne tant les passions. Pourtant, on peut s’interroger sur les raisons de ce déchaînement et sur l’intérêt de lire un tel ouvrage.

Les Chiffres.

Tout d’abord, le point sur lequel le livre attire le plus de critiques est celui des statistiques. Tout repose dans cet ouvrage sur des statistiques, sur des chiffres. L'enquête chiffrée est le fondement même de l'argumentation d'un auteur qui en déduit une augmentation exponentielle de la criminalité.

Or, à ce niveau, le constat avancé par l’auteur est malheureusement invérifiable. Dans tous les domaines, et encore plus concernant celui de la délinquance, les chiffres ne font jamais consensus. Des journalistes se sont donc empressés de démonter le travail de M. Obertone en remettant en cause les sources avancées par ce dernier,… (quand il en avance selon eux). Les détracteurs de l’ouvrage avancent le fait que la façon de comptabiliser la délinquance a souvent changé, de même que la qualification de certains délits, ce qui fausse complètement la possibilité d’appréhender le sujet de cette manière. De plus, les statistiques sont toujours le reflet d’un choix argumentatif. Elles sont le résultat de calculs, de variables, et finalement, d’autres essayistes, avec une thèse inverse à celle de M. Obertone, peuvent proposer des tableaux et autres courbes justifiant leurs propos. Les chiffres, nous leur faisons dire ce que nous voulons… France Orange mécanique ne parviendra donc qu’à emporter l’adhésion de lecteurs déjà convaincus d’une insécurité galopante et ne fera que s’attirer les foudres de ceux qui la nient.


La violence à son paroxysme.

La seconde thèse de l’essai de M. Obertone est le fait que la criminalité atteint aujourd’hui un degré de violence inédit à ce jour : jamais dans l’histoire, les délinquants ne se seraient montrés aussi violents. D’où le titre de l’ouvrage qui fait référence au roman de Burgess et au film que Kubrick en a tiré. La France connaîtrait à l’heure actuelle le paroxysme de la violence. De là, les récits insoutenables proposés par l’ouvrage.

Or, à ce niveau, le constat avancé par l’auteur n’est guère original. L’homme est mauvais ? Grande nouvelle. Il est capable des pires actes de barbarie ? Grande révélation. Toutes les époques de l’histoire depuis l’Antiquité en passant par l’époque moderne pour en arriver à l’époque contemporaine sont marquées par la violence des hommes à l'encontre de ses semblables. Violence collective ou violence solitaire : l’espèce humaine est cruelle. Les Spartiates pratiquaient la chasse à l’homme sur les sous-citoyens pour former les jeunes gens de la cité. Les Romains faisaient de la mise à mort des chrétiens des spectacles et des fêtes. Au Moyen Age, les soldats mercenaires démobilisés, pendant les trêves des campagnes militaires, s’adonnaient à la rapine et au viol dans les villages, en toute impunité. Au XVIe siècle, on noyait, on brulait, on émasculait, on éviscérait, on décapitait allégrement celui qui était protestant ou celui qui était catholique. Au XVIIIe siècle, celui des Lumières, les belles dames réservaient leur place aux balcons pour voir donner la mort à petit feu, en place publique, pendant des heures, aux condamnés. Pendant la Révolution, on battait à mort en pleine rue et on pendait aux lanternes ceux qui ne criaient pas « Vive le Roi » ou « Vive la République » assez vite. L’homme a été capable au XXe de mettre en place un processus industriel de mises à mort systématiques de populations entières d’hommes, de femmes, de vieillards, d’enfants…. Bien sûr, des considérations politiques et sociales rentrent, avec ces exemples, en ligne de compte. Mais, la violence se situe toujours, de toutes les façons, dans un contexte. Ensuite, cela importe peu : ces exemples permettent de voir de quoi l'homme est capable. Au niveau individuel, l’histoire est parsemée de violeurs et d’assassins d’enfants comme Gilles de Rais au XVe siècle, de tueurs de femmes comme Jack l’éventreur, ou comme son émule français Joseph Vacher au XIXe, de tueuses d’enfants comme Jeanne Weber au début du XXe siècle, de meurtriers en série comme Landru, comme Petiot, de meurtriers anthropophages comme Issei Sagawa. En foule, ou solitaire, l’homme a été et reste capable des pires atrocités.

Comment donc comparer l’échelle actuelle de la violence  avec celle des siècles passés, alors que les archives, les enquêtes, les recensements étaient, de plus, pour le moins inexistants ?

L'ouvrage annonce « l'ensauvagement » de notre société actuelle. Or cette dernière est sans doute trop imprégnée de la théorie énoncée par Rousseau selon laquelle l’homme est naturellement bon. Cependant, Rousseau lui-même montrait le caractère hypothétique de cet état de nature idéal, un état qui n’a « peut être jamais existé, qui n’existe pas et qui n’existera peut-être jamais ». S’il subsiste des lecteurs encore ignorants de la bestialité humaine et ayant encore une confiance inébranlable en la nature de l’homme, alors l’ouvrage de M.Obertone peut s’avérer utile. Les autres ne découvriront rien d’autre que ce qu’ils savent déjà : l’homme peut vite basculer dans la monstruosité.


Les autres sont responsables.

Troisième conclusion implicite du livre de M. Obertone : la criminalité est le fait quasi-exclusif des étrangers ou des personnes d’origine étrangère. Et si l’ouvrage plait tant à la responsable du Front National au point qu’elle en fasse la promotion un peu partout, c'est sans doute parce que l'essai ne propose pas d'analyse, d'explication à cette situation et laisse le lecteur en tirer ses propres conclusions.

Or, à ce niveau, le constat avancé par l’auteur est une nouvelle fois bien peu surprenant. L’ouvrage confortera le lecteur déjà convaincu que l’immigration est mère de tous les criminels. L’ouvrage indisposera le lecteur convaincu que la délinquance est un phénomène plus complexe. L’intérêt de la lecture s’en trouve donc encore grandement limité. La polémique est la même depuis des décennies. Le soi-disant angélisme de gauche contre la froide objectivité « sans tabou » de droite ou contre le racisme ou la xénophobie de son extrême.

Certains peuvent de plus qualifier le livre de dangereux car il cultive la peur de l'autre et donc sa haine. Il laisse entendre, puisqu'il ne fournit aucune explication, que la criminalité est inhérente à l'appartenance à un groupe ethnique. Le fait que l'ouvrage s'en prenne ouvertement aux responsables de gauche et sorte moins d'un an après l'élection d'un président socialiste, alors qu'il dresse le tableau d'une criminalité directement issue de dix ans de gouvernance de droite, achève de créer le malaise chez un lecteur auquel on promet l'objectivité.

Sans nier que l’immigration puisse être un des facteurs expliquant la délinquance, peut-on raisonnablement croire qu’une société serait idéale et exempte de comportements délictueux sans présence d’étrangers en son sein ? Comment peut-on être aussi optimiste sur la nature humaine ? Le Mal ne serait que le fait de certaines ethnies ? La barbarie ne serait le fait que de certaines nationalités ? La malhonnêteté ne serait le fait que de certaines religions ? Si l’on accorde du crédit aux statistiques de M. Obertone, et si effectivement les populations immigrées regroupent exclusivement les délinquants, alors cela signifie que d’autres facteurs rentrent en ligne de compte. Ce n’est pas faire preuve d’angélisme que de parler ainsi. Ce n’est pas trouver des excuses aux délinquants. Ce n’est pas les considérer comme des victimes de la société. Mais tout simplement, il est impossible que l’homme blanc, chrétien, soit l’unique représentant de vertu, de bonté, de générosité et d’honnêteté de l’espèce humaine. N’a-t-il pas déjà suffisamment prouvé le contraire ? Croire que tous les malheurs du monde viennent d’une catégorie de personnes, du fait de la couleur de peau, de la nationalité, de la religion, là est peut être la plus formidable utopie, là est peut-être le plus formidable des angélismes. Dans des conditions d’existence identiques, il est certain que des populations « de souche », « blanches », « autochtones », se comporteraient de la même façon. Le terme générique de « racailles » que l’on associe aux jeunes délinquants des cités leur est d’ailleurs attribué sans aucune considération d’origines, de couleurs ou de pratiques religieuses.

L’ouvrage de M.Obertone mériterait sans doute de préciser ses intentions, d’apporter des éléments d’explication à la forte proportion de populations immigrées dans une délinquance endémique. Surtout lorsqu’il se réclame de la plus grande des objectivités.


Alors quelles causes ? liste non exhaustive…

Les causes de la criminalité sont multiples. Chacune mériterait un essai à elle seule. Qui peut croire que les problèmes de société ne s’expliquent que par un seul facteur. Quels peuvent être ces facteurs expliquant la criminalité et permettant de comprendre pourquoi les populations issues de l’immigration seraient plus impliquées ?

La crise économique rend la vie difficile pour des populations déjà en situation précaire. Elle oblige l’individu à se débrouiller par tous les moyens et souvent à tomber dans la criminalité. La survie a toujours été la préoccupation majeure des groupes humains. Lorsque les conditions de survie deviennent problématiques, l’égoïsme, source du rejet, de l’affrontement, de l’agression vis-à-vis de l’autre, devient la norme et un moyen d’assurer son existence. Dans nos sociétés contemporaines, la crise économique, par sa conséquence première, le chômage, accroit l’égoïsme, le repli sur soi, dans une société au mode de vie devenu déjà très individualiste depuis 50 ans et l’essor de la société de consommation. Est-il bon de rappeler avec Voltaire que le « travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. » ?

Une crise économique affaiblit toujours le pouvoir politique, Etat providence ou non, les institutions sont mises à mal. Or, la crise actuelle dure officiellement depuis 1973. 40 ans de crise. Les choix politiques, de droite comme de gauche, ont des répercussions en termes de budget. La crise ne manque pas d’avoir des conséquences sur les effectifs de forces publiques, police, système pénitentiaire, justice. Le cercle est vicieux dans la mesure où la crise est toujours synonyme d’accroissement de la criminalité. L'échec de toutes les politiques successives pour résoudre les problèmes économiques jette le discrédit sur des dirigeants qui n'incarnent plus le respect, la persévérance, l'effort et encore moins l'espoir. Ne parlons pas des effets désastreux sur une population en proie à la tentation de l'illégalité que causent les affaires judiciaires ou les suspicions frappant les classes dirigeantes.

L’éducation est devenue très utilitariste. Elle a donné et donne encore l’idée de la garantie d’une situation professionnelle par l’intermédiaire du diplôme. Or, ce n’est plus le cas depuis longtemps et surtout ce n’est pas son rôle. Elle a délaissé l’apprentissage du métier d’homme devant vivre en communauté. On lui a attribué l’obligation « d’occuper » les enfants et de les retenir le plus longtemps possible éloignés d’un marché de l’emploi restreint. On a misé sur les pédagogies centrées sur la personnalité et le parcours familial de l’enfant et, par ce choix, suscité encore une fois l’individualisme, base de tous les égoïsmes.

La banalisation de la violence, phénomène culturel, explique peut-être le basculement de certains individus dans la criminalité. Des jeux-vidéo, en passant par la télévision, par le cinéma, ou encore par les comportements des élites censées donner le bon exemple, un président voulant en venir aux mains avec des manifestants ou insultant ses citoyens par exemple, sont autant de vecteurs d’une banalisation de comportements agressifs. Les médias, les chaînes d’informations en continu, reprennent, diffusent, répètent et surtout mettent au même niveau des faits de natures très différentes et provoquent sans aucun doute une confusion des esprits et une banalisation des comportements délictueux : « Tout de suite nous reviendrons avec notre envoyé spécial sur le cas de ce directeur d’école pédophile mais d’abord le journal des sports et la météo » ou « Mlle Lou Delaâge que pensez-vous du livre M. Obertone ? »

Une uniformisation culturelle, relayée par une publicité omniprésente, peut également engendrer une société plus violente par l’envie qu’elle suscite. Il faut se procurer, par tous les moyens, les attributs représentatifs de la réussite ou de la garantie d’appartenance à un groupe : le lecteur mp3, le téléphone portable, le blouson ou les chaussures de marque. Les modèles culturels qu’une société se donne, exhibe et protège, expliquent son rapport à la délinquance. Il faut imiter ceux que l’on adule, ceux que l’on nous donne à percevoir comme des modèles de réussite par excellence : les sportifs, les chanteurs, les acteurs… Des personnalités, qui commettent souvent des actes répréhensibles au regard de la loi mais toujours sans conséquence judiciaires pour eux, ne manquent pas, certainement, de susciter un sentiment d’impunité chez certains et même de cultiver l’affranchissement aux règles de bonne conduite.

Une urbanisation désordonnée, des densités de populations urbaines de plus en plus en fortes, le simple fait de vivre en promiscuité dans un monde ultra individualiste, est sans doute également générateur d’une certaine forme de schizophrénie propre à déclencher des comportements agressifs. Les heures de pointe dans les transports en commun, les embouteillages, les problèmes de voisinage, les incivilités du quotidien, sont de plus en plus souvent les éléments déclencheurs d’affrontements physiques pouvant se solder par la mort des protagonistes y compris dans une cour d’école…

Pour conclure, au regard de l’actualité récente, de nouvelles hypothèses peuvent être avancées : l’alimentation par exemple. L’industrie est à la base de l’alimentation de la majorité des citoyens. Les scandales sanitaires récents ne peuvent-ils pas expliquer les comportements agressifs ? Les engrais, les pesticides, les additifs chimiques n’ont-ils aucune répercussion sur les neurones humains ? Les sodas à haute dose depuis l’enfance, les vitamines, et autres compléments alimentaires, mélangés à des prises régulières de cannabis ne constituent-ils pas des cocktails explosifs dans les cerveaux des adolescents actuels ? Des tests ont-ils été effectués ? L’industrie pharmaceutique est un autre exemple. Sur ce plan aussi, chaque jour vient apporter de nouveaux doutes sur les médicaments que nous ingurgitons depuis des décennies. Ne peuvent-ils pas expliquer une transformation de nos comportements ? Les récentes révélations sur les pilules contraceptives mettent en avant des effets secondaires. L’usage de plus en plus précoce de ces pilules auprès des adolescentes n’expliquerait-il pas le phénomène nouveau « des bandes de filles » qui n’ont rien à envier aux garçons au niveau violence ?

Il est certain que d’autres facteurs expliquent la violence de l’homme vivant en société. C’est la combinaison de tous ces facteurs qui conduit certainement au dérèglement statistique… Mais, il est un facteur plus important que les autres et que la société a trop tendance à occulter : l’homme a et aura toujours une part animale en lui. Il possède des instincts bestiaux. Bien sur, l’homme n’est pas qu’un être naturel. Par l’éducation, par la vie en société, il devient un être culturel. Il est capable d’annihiler ses pulsions animales ou de les différer. Cependant, il est des circonstances où elles peuvent s’exprimer spontanément, sporadiquement, avec plus ou moins de force, de violence. La société se doit donc, surtout dans des périodes difficiles, de se montrer, présente, cohérente et rigoureuse, si elle ne veut pas voir ressurgir la part animale de ses membres. Elle doit encadrer, elle doit éduquer, elle doit savoir punir, elle doit par ses choix culturels, économiques, sociaux, tout faire pour favoriser la faculté morale de l’homme, être de raison.

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