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mardi 15 juillet 2014

Facebook, Fanatisme, Obscurantisme.

Sur les réseaux sociaux, les fils d'actualité sont envahis de posts, de commentaires, de vidéos, sur tous les sujets possibles. Un fait divers, une décision politique ou économique, une intervention militaire, un conflit diplomatique ou armé, est le prétexte à un torrent de réactions. Ces dernières sont vives, immédiates, spontanées. La situation complexe du Moyen-Orient et notamment le cas palestinien est l'exemple le plus représentatif de l'embrasement des réseaux sociaux. 

Les appels aux manifestations de soutiens des uns sont suivis d'appels à la vigilance des autres face aux possibles dérapages et agressions... et vice et versa. Deux camps s'opposent très vite. Les pour, les contre. Les sympathisants, les opposants. La droite, la gauche. Les croyants, les athées... 

Les commentaires de chaque côté tombent vite dans l'insulte et la haine la plus virulente. Les partages de photos, de vidéos, ou autres statistiques ne mentionnent jamais la source, jamais la date, jamais le lieu, ne proposent aucune analyse. Tous mélangent tout, tout le temps, n'importe comment. Aucun critère historique, politique, diplomatique n'est jamais proposé ou alors avec les raccourcis les plus malhonnêtes. Tout n'est que propagande terriblement efficace par le pouvoir des nouveaux moyens de communication.

Et l'on se rend compte alors que les réseaux sociaux ne sont en fait qu'un simulacre de lieu d'échanges, de discussions et de liberté d'expression: une tribune de colère, de mépris, de mauvaise foi, et où dans certains cas la vrai foi passe avant la raison et où le nom de Dieu justifie des massacres...

Si nos médias traditionnels, (qui contrairement à ce que veulent nous faire croire certains maîtres de la parole officielle sont encore très influents), jouaient leur rôle, ce ne serait pas si grave. Or, ils tombent eux aussi dans le voyeurisme, la rapidité, l'absence de vérification et d'analyse approfondie, et dans le simple colportage de faits sordides... Ils ne sont devenus pour la plupart que des supports publicitaires... 

L'obscurantisme a pris une autre forme. On aurait pu croire, dans notre monde moderne hyper-connecté, que tout serait plus simple pour le citoyen, pour l'homme du peuple, pour forger avec raison ses opinions. Or, il est toujours autant livré à lui-même. Il doit toujours fournir autant d'efforts. Si ce n'est plus, car il doit lutter contre l'impression qu'on lui donne qu'il n'en n'a pas besoin. Dans nos sociétés occidentales, dans nos Etats de droits, dont le maître mot est liberté, le citoyen a dorénavant accès aux savoirs, à la connaissance, à l'information. C'est un devoir pour lui de s'affranchir de la facilité à laquelle on veut le contraindre. Le droit, la liberté, n'interdisent pas le devoir. Le devoir d'être curieux, de réfléchir, et de tout faire pour échapper aux préjugés.

Voici deux extraits tirés de l'œuvre de Voltaire, tirés du XVIIIe siècle, qui avant d'être celui des Lumières, était encore celui de l'obscurantisme.       


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FANATISME
Le fanatisme est à la superstition ce que le transport1 est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique […].


Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. […]


Il y a des fanatiques de sang-froid : ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n’ont pas d’autre crime que de ne pas penser comme eux ; et ces juges-là sont d’autant plus coupables, d’autant plus dignes de l’exécration du genre humain que, n’étant pas dans un accès de fureur, comme les Clément, les Châtel, les Ravaillac, les Gérard, les Damiens2, il semble qu’ils pourraient écouter la raison. […]



Il n’y a d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal ; car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir, et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes ; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod, qui assassine le roi Eglon ; de Judith, qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec lui ; de Samuel, qui hache en morceaux le roi Agag : ils ne voient pas que ces exemples qui sont respectables dans l’Antiquité, sont abominables dans le temps présent ; ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne. […]



Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage ; c’est comme si vous lisiez un arrêt du Conseil3 à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.

Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?

Ce sont d’ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains; ils ressemblent à ce vieux de la montagne4 qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu'ils iraient assassiner tous ceux qu'il leur nommerait. Il n'y a eu qu'une seule religion dans le monde qui n'ait pas été souillée par le fanatisme, c'est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède.

Car l'effet de la philosophie est de rendre l'âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité.
Voltaire, article « Fanatisme », dans le Dictionnaire philosophique (1764).

1.        Emportement
2.        Auteurs d’attentats contre des souverains
3.        Gouvernement
4.        Chef d’une secte orientale

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DE L’HORRIBLE DANGER DE LA LECTURE




Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu, mouphti(1) du Saint-Empire ottoman(2), lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction.



Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte vers un petit État nommé Frankrom(3), situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis(4) et imans(5) de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs(6) connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser ladite infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées


1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés.


2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la sainte doctrine.


3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place.


4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance.


5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes.


6° Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence.


A ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité(7) quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime-Porte.


Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l’Occident septentrional; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays; lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous plaira.



Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 de l’Hégire.

 


Voltaire, De l’horrible danger de la lecture, 1765

 

1. Chef religieux
2. Empire Turc
3. France
4. Prêtres
5. Juges
6. Moines
7.Tribunal ecclésiastique






Ecrasons l'infââââme...

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