Certains messages proposent souvent de petites anecdotes. Ils sont accompagnés d’une photo pour capter l’attention. On relève toujours une petite mention du genre : « c’est une histoire vraie !! ». Il n’y a pas de date précise mais toujours des approximations qui hors de contexte ne signifient plus rien : « il y a quelques temps », « la semaine dernière »… On insiste sur les marques de la première personne, « je », « moi », toujours dans le but de lui donner un caractère véridique et proche. De même, on interpelle le lecteur avec les marques de la deuxième personne « tu » ou « vous » ou encore l’utilisation de l’impératif, « lisez ! » ; « n’êtes-vous pas d’accord avec ça ? ». La présence de fautes d’orthographe est peut être volontaire également pour faire crédible, donner un côté spontané…
Ces messages sont très nombreux et suscitent toujours beaucoup d’engouement. Au lieu de fournir des arguments, des remarques pertinentes, ils diffèrent sans cesse le raisonnement du lecteur, jouent sur les émotions, sur des fausses démonstrations et ne sont rien d’autres que des manipulations…
Lisons donc un exemple :
« Est-ce que cet homme est vraiment un génie? Lisez ceci car c'est réellement arrivé!
Un professeur d'économie dans un collège a annoncé qu'il n'avait jamais eu un étudiant qui avait failli son cours mais il s'est retrouvé à faillir une classe entière récemment. La classe entière avait insisté pour dire que le socialisme fonctionne et que, par conséquent, personne ne serait ni pauvre ni riche. Un égaliseur extraordinaire.
Alors, le professeur annonça : "D'ACCORD ! nous allons tenter une petite expérience en classe"… Je prendrai la moyenne de toutes vos notes. Vous aurez alors tous la même note, personne ne faillira ni n'aura un A.... (En remplaçant les dollars par des notes, on aura un résultat plus concret et mieux compris par tous).
Après le premier examen, les notes furent moyennées et tout le monde obtint un B. Ceux qui avaient étudié fort étaient déçus et ceux qui avaient étudié peu étaient ravis. Lors du deuxième examen, ceux qui avaient étudié peu, étudièrent moins et ceux qui avaient étudié fort décidèrent de prendre la route du peuple libre et étudièrent peu.
La moyenne du deuxième examen fut un D! Personne n'était content. Lors du troisième examen, la moyenne fut un F.
Pendant les examens ultérieurs, les notes ne montèrent jamais, les pointages de doigts commencèrent, les jugements dominaient les conversations et tout le monde se sentait mal. Personne ne voulut étudier pour le bénéfice de l'autre.
À la grande surprise de tout le monde, ils faillirent tous. C'est alors que le professeur déclara que le socialisme était pour faillir ultimement car lorsque la récompense est grande, l'effort pour réussir est grand aussi. Mais lorsque le gouvernement enlève toutes les récompenses, personne ne fournira l'effort ni voudra réussir.
Cela ne pourrait être plus simple.
Les 5 phrases qui suivent sont possiblement les meilleures conclusions sortant de cette expérience:
1. Vous ne pouvez pas ordonner aux pauvres d'obtenir le succès en ordonnant aux riches de ne plus en avoir.
2. Ce qu'une personne reçoit sans avoir à travailler , une autre personne doit travailler sans en recevoir la récompense.
3. Le gouvernement ne peut donner quelque chose à quelqu'un sans l'avoir enlevé à quelqu'un d'autre auparavant.
4. Vous ne pouvez pas multiplier la richesse en la divisant!
5. Lorsque la moitié du peuple perçoit l'idée qu'ils n'ont pas besoin de travailler car l'autre partie va s'occuper d'eux et lorsque l'autre moitié comprend que ça ne vaut pas la peine de travailler car quelqu'un d'autre récoltera ce qu'ils méritent par leur efforts, cela est le début de la fin de toute une nation.
Pouvez vous trouver une raison de ne pas faire suivre se message?»
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Une raison de ne pas faire suivre ? Non. Mais beaucoup oui.
Enumérons quelques unes parmi les plus évidentes :
Tout d’abord, l’absence de références. UN professeur. UNE classe. UN collège. « C’est réellement arrivé » mais alors pourquoi ne rien nous dire quant à la localisation de l’établissement, à l’identité de ce génie, et à la date de cette expérience ?
La traduction très approximative du document et donc un vocabulaire inadapté et une orthographe suspecte retirent toute crédibilité à la volonté de convaincre et au sérieux du message.
Comment peut-on juger un professeur d’économie qui n’a jamais vu un seul de ses élèves échouer à son cours ? Est-ce simplement crédible ? N’est-ce pas au contraire un signe de la piètre qualité de cet enseignant ? Dans toutes les classes, il y a des élèves qui sont moins bons que d’autres, moins travailleurs que d’autres. Or, avec ce professeur, tous les élèves, y compris les mauvais et les fainéants, réussissaient ; ce même professeur qui dresse l’éloge du travail accompli et de l’effort. C’est un artifice de l’argumentation pour suggérer que les contrôles sont très faciles et cela renforce donc le cuisant échec subi par tous les élèves par la suite.
Que penser d’un professeur qui influence ses élèves politiquement ? Est-ce bien déontologique ? Il se sert de ses élèves pour prouver ses convictions politiques. Ce qui, du coup, anéantit l’expérience. Comment lui faire confiance au niveau de la notation ? N’a-t-il pas eu tendance à élever le niveau des examens et à noter plus sévèrement pour prouver sa théorie ?
Comment justifier le rapprochement entre « des notes » et des « dollars », entre une monnaie et le résultat d’un travail intellectuel ? Comment mettre sur le même plan des élèves, des adolescents et des hommes soucieux en pleine réalité économique de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille ? Comment associer richesse économique et réussite scolaire ? On peut toujours gagner plus d’argent, sans aucune limite mais comment avoir 25/20 ou une note supérieure à A ?
Peut-on tirer d’un cas particulier, une généralité ? Peut-on d’un exemple, d’une observation tirer une vérité scientifique ? Surtout quand l’expérience est appliquée dans une réalité, la réalité scolaire, autre que celle dans laquelle on veut la généraliser ? Cette expérience ne peut que montrer que cette classe précise n’a pas su réagir lorsque les notes ont chuté. Un autre effectif test aurait très bien pu parvenir à une autre issue. On entend souvent parler dans le monde scolaire « d’éléments perturbateurs » ou de « têtes de classe » qui sont susceptibles d’influer sur le niveau d’une classe entière. Si cette expérience prouve une chose c’est l’absence de cohérence et de concertation entre les membres d’un groupe donné. Cela ne montre pas que le socialisme ou le communisme ne sont pas de bonnes théories politique ou économique.
D’ailleurs, le message prouve, sans s’en douter, l’inverse de ce qu’il veut démontrer. Si l’on suit la logique de la comparaison, les élèves sont le « peuple ». Il est même dit « libre » à un moment ; le peuple « non libre » étant celui qui travaille « fort » (les limites de la traduction empêche d’en être certain). Le gouvernement, l’autorité, est donc le professeur. Or le professeur indique une règle, une conduite à suivre puis… n’intervient plus. Il laisse les élèves se précipiter dans l’échec sans jamais rien faire pour y remédier. Il a pourtant de nombreux indices, les notes, pour le renseigner du niveau et de l’implication de chacun… Or, telle la main invisible, il laisse faire. Ce serait donc ici aussi la preuve que le libéralisme, ne fonctionne pas.
Un encadrement précis des élèves, l’organisation de groupes de révision, pourquoi pas par niveau, le rappel des objectifs, des cours de soutien, des heures de rattrapage, des punitions pour les plus perturbateurs, n’auraient-il pas permis la réussite de l’expérience ?
Tous les élèves ne sont pas à égalité face aux difficultés scolaires. Tous les adultes ne sont pas à égalité face aux difficultés sociales et économiques. Ne faut-il rien n'y faire?
Il est dommage que l’extrait suivant tiré Du Contrat Social de Rousseau, n’obtienne pas autant de partages sur les réseaux sociaux : il incite beaucoup plus à la réflexion.
"(…) à l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant à la puissance, elle soit au dessous de toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois, et quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre : ce qui suppose du côté des grands modération de biens et de crédit, et du côté des petits, modération d’avarice et de convoitise.
Cette égalité, disent-ils est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique : mais si l’abus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à le maintenir."
Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, 1762.