L’Amérique à la remorque des Frenchies
La fermeture des cimetières américains de Normandie pour cause de paralysie budgétaire brise un mythe. La France serait-elle plus efficace que les Etats-Unis ?
Charles de Gaulle, alias le Général*, n’a jamais répugné à faire du “Yankees bashing” (sauf, bien sûr, quand ça l’arrangeait d’être gentil avec l’Amérique juste pour embêter les Rosbifs).
Son antiaméricanisme a atteint son paroxysme dans les années 1960, quand il a affirmé son indépendance en retirant ses forces armées du commandement intégré de l’Otan tout en s’efforçant de débarrasser la France de la présence militaire étrangère, qui était là dans un rôle défensif depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1966, il avait appelé Lyndon B. Johnson pour lui annoncer que tous les soldats américains devaient quitter le sol français, et Dean Rusk, l’assistant de Johnson, avait eu cette réplique mémorable : “Est-ce que cela concerne aussi ceux qui y sont enterrés ?”
En fait, l’exhumation de masse n’a jamais été une option pour le Général*. Et pourtant, le 1er octobre dernier, il aurait pu saisir l’occasion. Car à cause du shutdown [la paralysie budgétaire du gouvernement fédéral américain], il semble qu’il n’y ait plus d’argent pour financer l’entretien et l’ouverture des cimetières militaires américains en France. Le 1er octobre, la célèbre forêt de croix blanches de Colleville-sur-Mer, derrière Omaha Beach, est restée inaccessible au public. Quand ils se sont présentés à l’entrée, les guides touristiques ont dû rebrousser chemin. Heureusement pour les Américains, la France leur a cédé le terrain pour leur usage permanent, sans aucune contrepartie. Personne n’oserait imaginer que les Français puissent se montrer ingrats, et fort peu diplomates, au point de venir déterrer les GI, mais on ne peut s’empêcher de se demander ce qui se passerait si cette absence de financement durait. Il faut supposer que soit des volontaires, soit l’Etat français lui-même se verraient obligés d’intervenir pour veiller à l’entretien des 9 387 sépultures.
Comme il fallait s’y attendre, la presse française a cité un restaurateur de Colleville expliquant que l’arrêt des activités administratives fédérales risque de faire du tort au commerce si les touristes ne viennent plus, mais ce n’est là qu’une démonstration de populisme journalistique. Le reporter aurait tout aussi bien pu s’adresser à une boutique locale de tondeuses à gazon dont le patron aurait déclaré que moins on tondrait le gazon du cimetière, plus cela aurait un impact négatif sur l’emploi dans la région. C’était pure sottise. La grande nouvelle, c’est assurément que l’Amérique est disposée à laisser ses problèmes budgétaires avoir de graves répercussions sur un territoire symbolique. Washington débine publiquement ses héros.
On peut dire ce qu’on veut de la France, même au beau milieu d’une énorme crise, elle veille à ce que l’essentiel fonctionne – sur un plan tant symbolique que pratique. Tout ce que les gouvernements ont l’air de faire, c’est de menacer d’imposer des réductions budgétaires, d’augmenter les impôts et de repousser l’âge de la retraite. Le vieux cliché que les Français sont les premiers à prendre au sérieux et qui veut que les Etats-Unis soient le pays de l’efficacité non-stop, où personne ne prend de vacances et où tout le monde n’a d’autre souci que de produire plus que les économies étrangères, est démenti : quand les choses se gâtent, le gouvernement américain se contente de tout arrêter et quantité de gens se retrouvent en congé sans solde pour une durée indéterminée.
Il y a en France des gens qui font tout leur possible pour mettre le pays à genoux. Des fonctionnaires qui se servent de la grève comme d’un moyen de pression pour lutter contre les réductions budgétaires annoncées. Ils appellent régulièrement leurs collègues à quitter leurs salles de classe, leurs guichets, leurs centres de tri et autres afin que tout le monde soit contraint de se passer d’administration pendant quelques jours. Mais, en règle générale, ces appels restent sans effet. C’est le revers positif de l’inefficacité supposée des Français – ils se montrent aussi nonchalants quand il s’agit de mettre le pays en panne.
Du reste, ces tentatives de paralysie françaises ont quelque chose de différent. Elles ne sont pas dues à des politiciens qui n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le prix à payer pour les services de la nation. Ce sont des arrêts décidés par le peuple pour le peuple. Plus démocratiques. Par conséquent, même la démocratie américaine, prétendument un modèle, est à la remorque de la France dans ce domaine. La statue de la Liberté est elle aussi fermée, ce qui a valeur de symbole : la classe politique américaine a l’air de dire aux citoyens américains qu’ils vivent bien dans le pays de la liberté, mais que cette dernière est trop chère. Tout comme leur santé, d’ailleurs, ce qui est à l’origine de la paralysie. Un ami américain me racontait comment, après avoir obtenu son doctorat, il avait accepté un emploi à plein-temps dans un centre de tri dans le seul but d’obtenir une couverture médicale qui lui permettrait de se faire opérer d’un cancer. Cela fait maintenant vingt ans que je vis en France, et depuis que je suis arrivé le gouvernement n’a cessé de dire qu’il n’avait pas les moyens de payer son généreux système de santé. N’empêche qu’il continue à le faire.
C’est pour ça que je dis toujours à mes amis français qu’ils ont beau se plaindre, ce qui est chez eux un passe-temps national, ils ne savent pas à quel point ils ont de la chance. Aux Etats-Unis, quand le gouvernement arrête tout, c’est pour de bon – et il viendra vous le faire savoir jusque dans la tombe.
Stephen Clarke
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