On a tout dit et tout écrit sur l’horreur de la série d’attentats de la semaine passée à Paris, Montrouge et Dammartin-en-Goële, puis sur les marches républicaines des 10 et 11 Janvier avec en point d’orgue celle autour des proches des victimes accompagnés de millions de Français et d’une cinquantaine de chefs d’états derrière eux, à Paris. Pourtant, il faut encore en parler, il faut encore écrire. Parce qu'il ne faut pas que les consciences s'aveuglent, encore une fois...
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17 morts et plusieurs blessés. Les terroristes visaient une seule cible à travers tous ces innocents : la France.
La France et ses fondamentaux républicains constitutifs de la Nation, avec la liberté d’opinion et de pensée que l’on a tenté d’abattre en massacrant lâchement les collaborateurs de « Charlie Hebdo ».
La France et ses institutions représentatives, avec les fonctionnaires de Police Nationale et Municipale que l’on assassine lâchement.
La France et ses valeurs d’humanisme, avec sa liberté de conscience et de culte, en tuant lâchement des Français de confession juive allant librement dans des magasins conformes à leurs croyances.
La France et ses concitoyens, et tous ceux vivant librement sur son sol, ont été atteints dans leur cœur par ces lâches barbares des temps modernes.
Mais, alors que nous disions les Français si enclins au défaitisme, à la déprime, et tentés par le repli sur soi, la France s’est relevée ce week-end, bravant sa peur, digne et fière de ses compatriotes morts pour eux, pour rappeler et montrer au monde qu’en France on a une presse libre, qu’en France on a des institutions qui nous protègent, qu’en France on a la liberté de conscience, la liberté d’opinion, qu’en France on a enfin encore et toujours un peuple plus uni que nous le croyions parfois nous-mêmes.
La venue de dirigeants du monde entier est là pour nous rappeler, alors qu’on l’avait peut-être oublié, que notre Nation n’est pas tout à fait un pays comme un autre, mais bien le précurseur d’une certaine idée de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité : le pays des Lumières. Et qu’être aux côtés de la France c’est être du côté de ces valeurs intemporelles et universelles.
Des Français, des Etrangers, juifs, musulmans, catholiques et athées, sont tombés sous les balles et la violence d’islamistes français, à Paris et en proche banlieue parisienne.
En France, être policier national et même policier municipal est dangereux, non pas seulement dans le simple exercice de son métier, mais tout simplement par le fait de revêtir son uniforme et en se mettant au service de son pays.
En France, être journaliste et dessinateur est dangereux, simplement pour coucher sur papier ses idées et ses opinions, même, et surtout, en utilisant l’humour et la caricature.
En France, enfin, il est dangereux d’être de confession juive, de montrer que l’on fréquente des endroits fréquentés par des juifs, de scolariser son enfant dans une école juive.
Que faire maintenant de ces drames, et de cet espoir de concorde nationale qui semble poindre depuis Dimanche ?
Le travail est vertigineux, difficile, à court, moyen et long terme.
J’ai bon espoir en notre pays et son peuple, nous y arriverons, mais c’est un combat idéologique, pas seulement politique, que nous devons mener, sereinement, en intelligence, en dépassant nos divisions petites ou grandes.
Il convient à court terme d’honorer nos 17 victimes et les trois cibles touchées à travers elles : Presse/Police/Juifs. Puis de leur faire sentir que nous sommes avec eux, et non pas contre eux.
Si pour la Police, tout particulièrement à gauche, il est difficile de se sentir une proximité disons affective avec eux, il est urgent de revenir à une relation citoyenne avec eux. Sans tomber dans l’angélisme et perdre en lucidité, cette institution, même s’il est presque humain et naturel de râler lorsqu’on se fait contrôler sur la route, par exemple, ne peut pas être accusée de tous les maux et être vue par défaut comme forcément coupable.
Bavures, ripoux et dérapages doivent être durement sanctionnés, pour autant, on ne peut pas applaudir le GIGN ou le RAID et insulter les CRS et gendarmes mobiles ; encore moins les faire passer pour des assassins et crier à la police politique lors de terribles drames comme à Sivens.
Mais évidemment, tout cela ne sert à rien si la Police n’a pas les moyens de ses ambitions. Des années de rigueur budgétaire, et plus encore de discours qui dénoncent le « y’a trop de fonctionnaires », qui affirment que « la fonction publique est privilégiée » et autres antiennes tant et tant martelées ne peuvent pas ne pas avoir de conséquences sur l’opinion publique mais aussi sur le moral et l’état d’esprit des fonctionnaires dans leur ensemble, et notamment de la Police. Et il en va de même pour l’armée et les gendarmes.
Pour la Presse et les médias dans leur ensemble, les décennies passées voient un long déclin de la profession. La liberté de la presse et des journalistes est précieuse mais fragile. Aider Charlie hebdo maintenant est très bien, acheter le Canard enchaîné, Libération, le Figaro, les news magazines en masse est très bien, mais dans quelques jours, quand la frénésie de cette actualité hors-normes sera passée, que les quotidiens et hebdomadaires retomberont dans leurs tirages habituels, les gens liront-ils aussi assidument ces journaux ?
Défendre la presse, c’est d’abord et avant tout la lire, donc l’acheter. La presse d’information comme spécialisée. Ce secteur est malade depuis de trop longues années, et vit de perfusions d’aides publiques, cela n’est pas sain pour la démocratie, surtout quand certains choix d’aides publiques laissent pantois (donner à « Closer » et rien au « Monde Diplomatique » laisse songeur).
Mais la presse elle-même, à l’instar des radios et surtout des chaines de télévision, doit faire son auto-critique également. Si un journal comme Libération n’avait par exemple pas tourné le dos à ses lecteurs suite au referendum de 2005 avec un édito rageur et insultant de son directeur, favorable au OUI, quand les lecteurs votèrent NON, ce grand journal serait-il au bord de la faillite ? Si le Figaro n’était pas, par la voix de son directeur à coup de unes et d’éditos, devenu une sorte d’attaché de presse du pouvoir en place sous le Président précédent, n’aurait-il pas été plus utile au débat démocratique car moins partisan ?
Enfin, si tous ces journaux, à commencer par Le Monde, donnaient un peu plus la parole à des économistes à contre-courant de la doxa dominante, offraient d’autres points de vue sur l’Europe, en étant ouverts aux autres options politiques que celles prônant la rigueur et les traités supranationaux, pourtant rejetées par les peuples, bref, osons le mot, si les journaux étaient moins déconnectés des citoyens et donc de leurs lecteurs, ceux-ci ne seraient-ils pas plus nombreux à les acheter ?
Mais nous ne pouvons mettre à part la presse papier de la presse audiovisuelle. Les radios et télévisions sont elles aussi sur des lignes et opinions économiques et sociales bien trop proches, avec trop peu de contradicteurs (il faut voir l’excellent film à ce sujet « Les Nouveaux chiens de Garde » de G.Balbastre et Y.Kergoät), et de toute façon de moins en moins de temps d’antenne disponible pour la politique (TF1 la première chaîne de France n’a pas d’émission politique récurrente), ou alors en abaissant la politique et la culture à des temps de parole trop courts, coincées entre les promotions de deux artistes. Tout est relativisé, haché et mélangé par les spectateurs à qui on n’offre plus de recul et de temps de réflexion, à de rares exceptions près (Radio France, Arte et quelques émissions de France Télévision).
Enfin, plus problématique car plus dramatique encore, est la situation des Français de confession juive.
Aujourd’hui, à l’exception d’Israël, nous sommes le seul pays au monde où l’on meurt parce que l’on est juif. Depuis la Libération, nulle part ailleurs on viole, on torture, on tue des juifs parce que juifs.
La première communauté juive d’Europe, et la deuxième au monde hors Israël, si bien ancrée en France depuis des décennies, des siècles, est aujourd’hui en grand danger. Cela, malgré de trop nombreux drames antérieurs. L’ensemble de l’opinion publique l’avait soit minoré soit, peut-être plus glaçant encore, volontairement passé sous silence. Il y avait bien eu une vague d’émotion après les drames de Toulouse (dite « affaire Merah »), qui montraient déjà une forme nouvelle de terrorisme, et montaient d’un cran sur l’échelle de l’horreur : on exécutait des enfants dans la cour de leur école pour la foi de leurs parents.
Actes terroristes s’ajoutant aux nombreux crimes et délits qui ont atteint les Français de confession juive depuis de trop nombreuses années, comme récemment à Créteil avec des cambriolages avec violence auprès de septuagénaires, aggravés par le viol pour une jeune femme, parce que juifs, jusqu’au kidnapping et au meurtre, avec la terrible affaire dite du « gang des barbares » : le rapt, la torture et la mort du jeune français Ilan Halimi.
L’horreur et le choc de toutes ces affaires « Merah » et « Barbares » auraient déjà dû soulever encore plus l’opinion publique. L’auteur de ces lignes regrette lui-même de ne pas s’être mobilisé et ne pas avoir dépassé le stade de l’indignation et de la stupéfaction.
Pleurer nos compatriotes ne suffira pas à rassurer nos concitoyens de confession juive. Chacune et chacun se doit d’être solidaire, en ne laissant plus rien passer qui s’approche de près ou de loin à de l’antisémitisme.
Nulle question de censure (nous pourrons toujours blaguer avec nos amis français de confession juive, ou débattre de géo-politique) mais de « common decency » chère à Orwell.
Il ne faut plus laisser la parole aux conspirationnistes, des plus abjects aux plus subtils, apôtres de théories du complot en tout genre, qui insidieusement laissent développer une fracture entre les Français de toutes origines ou confessions.
Il ne faut plus offrir de tribunes sur nos ondes ou dans les colonnes de nos journaux à ces prêcheurs du mal qui déversent par petites gouttes leur poison nauséabond. Ne plus donner tribune à tous leurs alliés objectifs qui sous couvert de liberté d’expression… la remettent en cause, en craignant, faussement naïfs, que de dessiner telle ou telle représentation de musulmans, c’est forcément leur porter atteinte et faire le jeu des « sionistes ». Ils sont alors responsables par leurs mots et allusions de l’importation en France du conflit israélo-palestinien. Il faudrait ne plus tolérer la diffusion sur internet et ses réseaux sociaux, qui apparaissent comme des zones de non-droit, de tout et n’importe-quoi, les approximations, les pires rumeurs et les plus ignobles machinations.
Enfin, il faudrait ne plus confondre de la part de leurs représentants, la libre représentation officielle des cultes, notamment musulman (CFCM) et juif (CRIF), en annexes diplomatiques de pays étrangers (Maroc, Algérie ou Turquie pour l’un et Israël pour l’autre). Car c’est ainsi qu’alors bon nombre de leurs coreligionnaires se retrouvent, notamment concernant le CRIF, à soutenir malgré eux la politique d’un pays étranger et à être assimilé à la politique de ces gouvernements. Une religion n’est pas une nationalité.
Pour résumer, s’en prendre aux citoyens de confession juive, comme s’en prendre aux citoyens de confession musulmane, ou de toute autre confession, c’est s’en prendre à la France. Ni plus, ni moins. De même que l’on s’en prend à la France quand on s’attaque à la Police et à la Presse.
Alors, et demain ?
Continuons de réfléchir, débattre, nous informer, nous respecter, nous amuser, nous engueuler ; continuons à manifester, à voter, à lutter, enfin à nous aimer et à nous élever, chacune et chacun, Français ou non, en respectant ce bien beau pays qu’était, est et sera toujours la France.
S.M.