Après lecture d'un article concernant l'impact des réseaux
sociaux et l'économie numérique, quelques réactions à ce sujet resurgissent. Vers un monde meilleur ou déjà le meilleur des mondes?
Des pages Facebook suscitent l'engouement et enregistrent des nombres de clics
impressionnants et certains attribuent aussitôt un rôle majeur aux réseaux
sociaux quant à la notion d'engagement politiques de leurs utilisateurs. On
avance des bouleversements sociologiques issus de la pratique accrue des
réseaux numériques : nouvelles façons de penser, nouvelles façons d’agir, et
pourquoi pas, nouveaux mode de vie.
Or, en y regardant de plus près, si des comptes Facebook ou des comptes Youtube
captent une audience considérable c'est parce que ces derniers ont été
mentionnés, à un moment ou à un autre, par les médias traditionnels et
notamment par la télévision. D’un coup l’amplification opère.
Des enquêtes ont montré ainsi le décollage, après multiples passages dans les
journaux télévisés, de la page Facebook de soutien au bijoutier qui avait tué
son agresseur. A noter ici qu’une même page, pour un fait divers identique, est
quant à elle restée quasiment confidentielle, parce que complètement ignorée
par la télévision, celle du soutien à un légionnaire ayant tué un dealer.
Ces pages de toute façon ont un caractère éphémère. Si elles sont fulgurantes à
leur lancement, elles tombent généralement vite dans l'oubli et s'avèrent d'une
inutilité totale. Sur quelles initiatives, sur quelles actions concrètes a
débouché la page de soutien au bijoutier?
La mobilisation récente des Sans-dents devant l'Élysée a été très faible en
rapport au nombre de clics qu'elle avait récolté en quelques heures. Elle n'a
même pas réussi à profiter de la spontanéité de l'initiative. Quel sera
l'avenir d'une telle page?
On met souvent en avant le rôle des réseaux sociaux lors des printemps arabes.
Or, où en sont maintenant ces initiatives populaires? Si on peut attribuer aux
réseaux sociaux, éventuellement, la qualité d'élément déclencheur, (il faudrait
là aussi mettre en parallèle le rôle des journaux et de la télévision qui ont
repris le martyr de l'homme qui s'est immolé par le feu, peut-être vrai
déclencheur de la révolution en Tunisie), force est de constater qu'ils n'ont
absolument pas réussi à bâtir un lien durable entre les manifestants et qu'il n'y
a eu aucun rôle vraiment fédérateur sur le long terme. Il suffit de constater
aujourd'hui la situation politique des pays concernés.
On affirme que les réseaux sociaux sont le signe d'un changement de psychologie
de la société... Vraiment? Et si Internet et les réseaux sociaux n'étaient que
le lieu d'expression de comportements très classiques? Les réseaux sociaux
s’apparentent ainsi très souvent à un exutoire, à la manifestation d’une colère
spontanée.
Sur le coup de l’émotion, de l’emportement, de nombreux internautes cliquent
frénétiquement sur tout et n’importe quoi. Les soutiens donnés à une page le
sont sans aucune connaissance des principes, des idées de cette dernière (quand
il y en a). Les soutiens donnés à une page le sont sans connaitre les initiateurs
et les animateurs (quand ils se présentent)… Ainsi, en observant les mentions «
j’aime une page » de ses contacts, on se rend compte parfois de certaines
contradictions flagrantes…
Parce que le lieu de la vitesse et de l’émotion, les réseaux sociaux sont des
modes d'expressions de vindicte et d'échanges haineux. N'importe quel post sur
Facebook ou Twitter, concernant la politique ou des faits divers, bascule très
vite dans des propos, méprisants, insultants, dégradants. Il n'est pas rare que
certains thèmes, comme l'immigration, déclenchent, dans l'impunité la plus
totale, ni plus ni moins, que des appels aux meurtres.
Parce que le lieu de la vitesse et de l’émotion, les réseaux sociaux mettent à
distance la raison. Les commentaires ne sont que rarement argumentés,
justifiés. Sur Twitter, c’est de toute façon, impossible. Les mots sont
annihilés par les vidéos, les photos, les montages, les slogans, les logos. Les
« posts » publiés sur le réseau Facebook, sont toujours très courts et sont
très souvent des remarques personnelles, des réactions sur le vif, et les hoax
circulent, se partageant de contact en contact sans jamais la moindre
vérification. Facebook est sans aucun doute dans toute l’histoire de l’humanité
l’outil le plus formidable de propagation de rumeurs, le plus formidable outil
de propagande jamais conçu.
Les réseaux sociaux sont aussi la formidable illustration de la cruauté
humaine. Ainsi, au-delà des réactions violentes par les mots, on a droit à des
images de guerre, de cadavres, d’exécutions d’otages, mais aussi gratuitement,
à des vidéos de torture, de mises à mort d'animaux, (âne jeté d'une falaise,
chaton brûlé vif par des adolescents hilares), ou de brimades de bandes vis à
vis d'un camarade déficient mental.
Les réseaux sociaux sont aussi l'expression d'un narcissisme au degré jamais
atteint. Chacun peut se mettre en scène, sur un écran. Internet et les réseaux
sociaux permettent d'accomplir le fantasme de se donner en spectacle devant la
foule, de se donner l’illusion d’être l’égal des vedettes des petits ou grands
écrans traditionnels. Fantasme symbolisé par le fameux «coucou» à la caméra:
«maman je passe à la télé». La télévision a pendant longtemps entretenu ce
désir de notoriété mais sans permettre au plus grand nombre de le réaliser. Ce
que la diffusion télévisée n'a pu offrir, Facebook le permet au quotidien. On
écrit ses états d'âme pour attirer l'attention. On partage des moments très
personnels avec des gens que l'on n'a même jamais vus, depuis les galipettes de
son chat jusqu'au rot du petit dernier. L'autre versant de ce narcissisme est
bien entendu la tendance humaine au voyeurisme. Là aussi Facebook assouvit
pleinement cette part de la nature humaine.
Les réseaux sociaux ne sont finalement rien d'autre qu'un nouveau support où
des comportements, des désirs, des fantasmes, typiques de la nature humaine
s'expriment. Tout n’est, avec cette évolution technologique, qu’une question de
proportion.
Tout ne serait pas négatif au royaume des réseaux sociaux. On avance l'idée
qu’ils représentent l'espoir d'un monde meilleur par une meilleure diffusion
des initiatives caritatives et solidaires.
Là encore, il faudrait peut-être relativiser et évoquer une certaine perversité
du rôle des réseaux sociaux, de Facebook aux blogs... S'ils illustrent la
générosité humaine, ils sont aussi le signe d'un désengagement de la chose
publique dans les régimes démocratiques où ils sont les plus influents.
L'initiative individuelle prend peu à peu le relai d'une solidarité nationale
défaillante. Les réseaux sociaux ne sont finalement que les complices
(volontaires ou involontaires) du système ultralibéral qui prône avant tout le
désengagement de l'État et l'éradication de ce que l'on appelait l'État
providence. De multiples associations de charité, pour le système capitaliste
ultralibéral, cela vaut mieux qu'un organisme étatique. Les réseaux sociaux ne
sont qu'un outil très pratique de diffusion des informations relatives à des
initiatives généreuses assurant la disparition progressive des institutions de
sécurité publique.
Les réseaux sociaux? Illustration, promesse d'un monde meilleur? Observons
l'organisation et l'évolution de cette réalité numérique. Elle tend à
ressembler fortement à ce que nous connaissons déjà. La logique d'un capitalisme
ultralibéral se manifeste là encore avec l'hyper concentration de son économie.
Les géants, Facebook, Google, rachètent tout. La moindre application à succès
est avalée aussitôt par le système. A coups de milliards... un monde meilleur?
Uniformité planétaire des comportements par uniformité planétaire des supports.
Facebook, Google ne sont rien d'autre que Mac Donald sur un PC, un Mac, une
tablette, ou un téléphone. Même logique. Mêmes caractéristiques. Mêmes
conséquences.
C'est la grande force d'un système en place de faire croire à son aspect
transgressif.
Finalement, Internet n'est rien d'autre qu'un vaste espace commercial tel que
tous les plus fervents capitalistes n'auraient jamais pu le rêver: zone de
publicité infinie et de vente permanente.
La gratuité du net n'a toujours été qu'un leurre. Le piratage, le
téléchargement illégal des premiers moments n'ont été que tolérés pour mieux
ancrer de nouvelles habitudes de consommation auprès des clients. L'achat en
ligne permet de réduire énormément les coûts pour les grands groupes. Pas de
magasin, pas d'espace de vente, moins de personnels, moins d'entretien... pour
un prix de vente quasi-identique, ce qui permet une augmentation des marges.
Les produits musicaux ou cinématographiques numériques proposés par Internet
sont encore plus avantageux pour le vendeur puisque le support a complément
disparu. Même plus de transport, même plus de livraison. Même plus de
production de jaquette, de livret... C'est au consommateur de payer son propre
support, stockage musical, stockage vidéo, le tout pour une qualité sonore et
visuelle moindre.
Internet n'est rien d'autre qu'un supermarché où les produits, proposés avec
moins de services, d'une qualité inférieure, sont quasiment vendus au même prix
que dans un magasin traditionnel.
L'argent est omniprésent sur les réseaux sociaux et rien, pas même ce que vous
publiez, ne vous appartient. La quasi-totalité des blogs, même personnels,
comporte des publicités puisque les fournisseurs d'espaces font croire aux
blogueurs qu'ils peuvent gagner de l'argent avec leurs pages en échange de
quelques bannières. Les jeunes «youtubers» sont très vite rattrapés par le
système et se retrouvent sponsorisés par toutes sortes de marques... Une bonne
partie d'un écran Facebook est consacrée aux publications sponsorisées, aux
publicités. Cette part de l’écran est générée, grâce aux cookies, par vos clics
précédents sur tels ou tels liens, par vos consultations de telles ou telles
pages ou par des algorithmes analysant le contenu de vos mails.
Quels sont les grands groupes du réseau? Des entreprises publicitaires auxquels
on attribue de soi-disant vertus communicatives, participatives et
informatives. Facebook, Google sont des programmes informatiques gratuits et
selon l'adage marketing bien connu c'est que vous en êtes la cible et même le
produit. Le troisième plus grand groupe est Amazon, site international de vente
en ligne de tout ce qui peut s'acheter, de la littérature aux couches culottes.
Et ces groupes atteignent des positions de quasi monopoles. Évolution classique
du capitalisme moderne.
On fait croire que l'économie numérique est en marge, que c'est un espace qui
ne suscite que peu les investissements d'une élite qui ne mesure pas encore son
potentiel. Pure propagande pour toujours donner l'illusion de la particularité
du réseau, pour toujours lui attribuer l'image d'un espace subversif et de
liberté alors que vous y êtes en réalité surveillé en permanence et que ce
qu'on y appelle liberté n'est en fait que licence et chaos. Internet, les réseaux sociaux en particulier, sont des zones de non-droit... La liberté ne consiste pas à faire ou dire tout ce que l'on veut, où l'on veut, quand on veut. La liberté suppose la loi, suppose la notion de limite. Ceci s'apprend dans les classes de lycée mais ne s'applique aucunement sur les réseaux sociaux.
Rappelez-vous les débuts du réseau dans les années 90. Immédiatement, il a été
envahi par la publicité. Très vite, le système y a vu son intérêt. Le réseau a
été très vite accaparé, gangrené. Tout y a été organisé pour que son
utilisateur devienne un consommateur. Tout y a été élaboré pour connaître au
mieux tous ses centres d'intérêts et toutes ses habitudes pour lui faire
acheter plus encore.
On remarquera pour conclure que les aventures de Monsieur Snowden n’ont
finalement pas bouleversé le monde tel que nous le connaissons. Révélations, il
y a eu. Certes. Internet, le numérique, allait offrir aux peuples du monde
entier la vérité et provoquer un séisme politique sans précédent… Or,
l’essentiel est resté secret. Le monde continue d’aller comme il va. Ceci n’a
pas tué cela.
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tout le monde est mon ami... |