Retour sur le remaniement ministériel de la rentrée 2014 et les choix économiques du président français par un économiste américain. Article paru dans le New York Times du 28 août 2014. Une analyse que l'on n'entend absolument pas en France.
"Les résultats de la France sont en réalité plus encourageants que ce que les médias veulent bien nous faire croire".
François Hollande, président de la République française depuis 2012, aurait pu
être l’homme de la situation. Il avait été élu sur la promesse d’en finir avec
la politique d’austérité qui avait étouffé dans l’œuf l’éphémère et insuffisante
reprise de l’économie européenne.
Les arguments douteux en faveur de
cette politique sur le point de s’écrouler auraient pu faire de lui le fer de
lance d’un mouvement pour exiger un changement de cap. Mais cela n’a pas été le
cas. Une fois au pouvoir, François Hollande s’est empressé de s’aplatir, cédant
même sans restriction à ceux qui exigeaient plus d’austérité encore. Il ne faut
pourtant pas en conclure que l’homme est totalement lâche.
La semaine
dernière, il a pris une décision énergique –malheureusement pas dans le domaine
économique, alors même que les conséquences désastreuses de l’austérité
européenne se font un peu plus criantes chaque jour et que même Mario Draghi, le
président de la Banque centrale européenne, en appelle désormais à un changement
de politique. Non, c’est dans une purge de son gouvernement que François
Hollande a mis toute sa détermination, afin d’éliminer les ministres qui osaient
contester son asservissement à Berlin et à Bruxelles.
Mauvaises
nouvelles. Fascinant spectacle que celui-là. Mais, pour pleinement l’apprécier,
il faut comprendre deux choses. Primo, l’Europe se trouve dans une très mauvaise
passe. Secundo, dans ce panorama désastreux, les résultats de la France sont en
réalité plus encourageants que ce que les médias veulent bien nous faire croire.
La France n’est pas la Grèce ; la France n’est même pas l’Italie. Mais la France
se laisse malmener comme si elle était un cas désespéré. Revenons sur la
situation européenne.
Comme les Etats-Unis, les 18 pays de la zone euro
avaient commencé, vers le milieu de 2009, à se remettre de la crise de 2008.
Mais quand une crise de la dette a éclaté, en 2010, plusieurs Etats européens
ont été contraints, pour obtenir des prêts, à faire des coupes claires dans
leurs dépenses et à augmenter les impôts pesant sur les classes moyennes.
L’Allemagne et les autres pays créanciers n’ont alors rien fait contre ces
pressions baissières, et la Banque centrale européenne, contrairement à la
Réserve fédérale américaine ou à la Banque d’Angleterre, n’a pas pris de mesures
exceptionnelles pour stimuler la dépense privée. Résultat : en 2011, le moteur
de la reprise européenne a calé, et il n’a jamais vraiment redémarré
depuis.
Aujourd’hui, l’Europe est dans une situation plus grave qu’au
même stade de la crise de 1929. Et d’autres mauvaises nouvelles pourraient
encore tomber, car tout donne actuellement à penser qu’elle est en train de
glisser dans un piège déflationniste à la japonaise. Et où se place la France
dans ce tableau ? Les médias présentent systématiquement l’économie française
comme une infernale gabegie paralysée par une fiscalité et une réglementation
démesurées. On est donc stupéfait quand on examine les chiffres réels, qui ne
correspondent pas du tout à ce portrait.
La France n’a certes plus
affiché de bons résultats depuis 2008 (se plaçant en particulier à la traîne de
l’Allemagne), mais la croissance de son PIB reste bien plus satisfaisante que la
moyenne en Europe : elle est supérieure non seulement à celle des pays en
difficulté du sud du continent, mais aussi à celle de certains pays créanciers,
comme les Pays-Bas. En termes d’emploi, elle ne fait pas si mal que ça non plus
: ainsi, un adulte âgé de 25 à 54 ans a beaucoup moins de risques d’être au
chômage en France qu’aux Etats-Unis.
Par ailleurs, le déficit commercial
français n’est pas démesuré, et les taux d’emprunt restent historiquement bas.
Pourquoi un tel acharnement dans la presse ? Difficile de ne pas penser qu’il y
a là une volonté politique : la France possède un Etat très présent et un
système généreux d’aides sociales, des choses qui, selon l’idéologie libérale,
sont censées conduire au désastre économique. On fait donc état d’un désastre,
même si ce n’est pas ce que montrent les chiffres.
Et François Hollande,
bien que chef de la majorité socialiste française, semble croire à ce
dénigrement purement idéologique. Pis, il est tombé dans un cercle vicieux :
l’austérité entraîne une paralysie de la croissance, paralysie qui sert ensuite
à justifier la nécessité, pour la France, de pratiquer encore plus d’austérité.
Voilà qui est bien triste, et pas seulement pour la France.
Asphyxie.
Dans l’immédiat, c’est l’économie européenne qui est dans une situation
calamiteuse. Mario Draghi, il me semble, mesure la gravité des choses. Mais une
banque centrale ne peut pas tout, et son directeur disposera d’une marge de
manœuvre limitée tant que les dirigeants élus ne seront pas disposés à remettre
en cause la doxa du monétarisme et de l’équilibre budgétaire. Pendant ce temps,
l’Allemagne campe sur son incorrigible position.
Réagissant au
remaniement gouvernemental français, les autorités de Berlin ont déclaré qu’“il
n’y a pas de contradiction entre consolidation et croissance” – pour le dire
autrement, peu importe ce qui se passe depuis quatre ans, nous sommes toujours
convaincus que l’austérité est gage de croissance. Ce dont l’Europe a besoin de
toute urgence, c’est donc qu’un dirigeant d’une grande économie (qui ne soit pas
très mal en point) dénonce cette austérité qui est en train de compromettre
l’avenir économique du continent.
François Hollande aurait pu, il aurait
dû être ce dirigeant –mais ce n’est pas le cas. Si l’économie européenne
continue de stagner, ou pis si elle plonge, qu’adviendra-t-il du projet
européen, de cette entreprise de longue haleine de maintien de la paix et de
démocratie dans une prospérité partagée ? En lâchant ainsi la France, c’est
toute l’Europe que laisse tomber François Hollande –et nul ne peut prédire où
s’arrêtera sa chute.
—Paul Krugman
Publié le 28 août 2014 dans The New
York Times New York
A lire du même auteur: Austérité ? Relance ? Une analyse approfondie sur les choix des politiques concernant la crise économique et financière.
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