On a l’impression que certains
hommes ne sont pas dans l’Histoire mais sont l’Histoire. Ces hommes sont rares
et symbolisent une génération, un mouvement, une cause, une nation.
Pour rester en notre beau pays, on dit de la langue française qu’elle est celle
de Molière ; des Lumières qu’elles ont pour figure emblématique Voltaire ;
du Second Empire que sa légende noire est toute entière symbolisée par Hugo ;
de la Résistance française qu’elle est fondée par De Gaulle,…
Tous les pays du monde ont leurs figures
historiques : Lincoln, Churchill, Gandhi… Pour en venir à celui qui
suscite la raison d’être de ce billet, on dit de Mandela qu’il est le père de l’Afrique
du Sud.
La disparition de tels hommes est
généralement un moment d’union nationale, de communion dans le recueillement et
suscite une émotion vive amplement relayée, de nos jours, par les forces
médiatiques.
Leur aura dépasse les frontières
et les souvenirs de leur talent, de leurs engagements semblent impérissables. On
les honore régulièrement. On fête les anniversaires de leurs naissances, de
leurs morts. On fait de beaux discours. On les visite.
Les qualités du « grand homme »
Comment expliquer cette qualité
de « grand homme » ? Qu’est ce qui les caractérise vraiment ?
Qu’est ce qui leur donne cette qualification à laquelle tous les pays vouent un
culte ?
Tous ces hommes ont la
particularité d’abord d’avoir subi de vives oppositions au cours de leurs
existences. Politiques, culturelles, artistiques, militaires, raciales, tous ont
connu l’adversité ; et tous en ont subi des conséquences : censure,
exil, condamnation, prison, torture… Les pires dictateurs (toujours) comme les
plus humbles dirigeants démocratiques (souvent) cherchent à s’ériger en figure
d’opposition, jusqu’à pousser à celle du martyr : cela montre à quel point
ils savent que nous affectionnons ceux qui résistent, qui luttent. Une pensée
commune serait donc que c’est l’adversité qui forge un homme.
Mais plus important encore, c’est
leur incapacité au renoncement qui, peut-être, impressionne les masses. Nous
affectionnons ceux qui restent fidèles, jusqu’au bout, à leurs principes. Leur
force de conviction, leur caractère inébranlable, même dans le plus profond
isolement, sont leurs piliers d’airain. Ils refusent de soumettre leurs idées,
ou plutôt leurs idéaux. Ils mettent en accord leur existence avec leurs
principes. Ils pourraient tous avoir déclamé ce célèbre vers de Victor Hugo :
« Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui là ».
Le culte de la personne
Leur image est sans faille. Les discours
à leurs égards sont unanimes. Ils étaient parfois des modèles de leur vivant et
semblent se voir attribuer cette qualité pour l’éternité dès lors qu’ils
disparaissent.
Il faut pourtant ne pas tomber dans la sacralisation, dans la déification, d'un homme. Il faut aussi à ce niveau faire preuve de modération. Les journalistes doivent ainsi échapper à l’émotion et ne
pas simplement relayer l’image que beaucoup ont du « grand homme »
qui vient de mourir. Les historiens échappent à la tentation hagiographique et
font preuve de plus d’objectivité mais toujours plus tard, trop tard, par rapport à la force des
médias.
Le culte de la personnalité est
toujours montré comme une volonté effroyable des pires dictateurs, des pires
régimes totalitaires et les hommes de bien n’ont pas besoin de cela pour
apparaître « grands ». Si les « mauvais » veulent toujours
apparaître infaillibles, c’est justement parce qu’ils veulent se placer au
dessus de la condition humaine pour mieux imposer leur pouvoir. Tout homme
porte sa part d’ombre. Chaque médaille a son revers. Dire d’un homme qu’il a œuvré
pour le bien et lui en rendre hommage est noble et nécessaire. Il n’en
apparaîtra pas moins grand parce que l’on est objectif et que l’on rappelle d’éventuels
manquements par exemple, publics bien entendu, aussi infimes soient-ils.
Insister sur leur
caractère proprement humain les rend plus grands encore. Ne point trop les glorifier, les rapprocher du
commun des mortels, cette volonté de ne pas les déifier rend leurs actions plus
susceptibles d’être imitées. Ils sont « des grands » mais sont avant
tout « des hommes ».
Avec l'objectivité, toute mauvaise foi est
prise de court, tout rejet stérile de principe est mis à mal. C'est même
le moyen de débattre, d’expliquer les manquements, les zones d'ombre, au lieu de les laisser se
répandre et devenir des contre-vérités.
Ainsi, on reproche ici ou là de
ne pas rappeler que Mandela portait une amitié visiblement sincère et marquée à
Yasser Arafat. Ainsi, certains seront tentés de dénaturer la pensée du grand homme en le disant antisioniste pour ne pas dire antisémite. La réalité est sans
aucun doute beaucoup plus compliquée que cela, du moins plus nuancée. Et si Mandela était tel, il ne faudrait pas le taire.
C'est en dissimulant, en magnifiant, que l'on crée le doute,
que l'on attise la suspicion sur des figures qui peut-être ne le méritent pas.
A quoi bon ?
Pour conclure cette modeste
réflexion, notons qu’il est toujours « amusant » d’observer avec
quelle ferveur on rend hommage à ces « grands hommes », avec quelle
émotion on loue leurs paroles et leurs actes. S’ils sont dignes des plus belles
louanges et des plus grands honneurs, pourquoi ne pas s’inspirer de leurs
valeurs pour conduire nos actions ? C’est bien beau de se réclamer d’une
noble personne mais encore faut-il que cela puisse se voir en actes : ce n’est
pas chose impossible pour chacun d’entre nous, à notre modeste place.
Du côté de nos représentants, ce
n’est plus de possibilité dont il doit être question mais plutôt de devoir. Car
il faut bien être cohérent après tout. A quoi bon encenser par les mots les
comportements vertueux ou courageux des « grands » si ce n’est que
pour mieux les bafouer dans les faits.
Plutôt que les belles cérémonies,
les belles commémorations, les beaux transferts de cendres, ne serait-ce pas meilleur
hommage à la mémoire des « grands hommes » que de voir nos leaders suivre
leurs exemples, leurs honorables préceptes ?
Dans le cas contraire, rendre les
honneurs aux « grands hommes » n’est pour nos officiels qu’un
prétexte à la parade dans la plus grande hypocrisie.
Après tout, même le dirigeant de
la Corée du Nord a rendu hommage à Nelson Mandela.
un "grand homme" sur son cheval |
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