Où l’on se découvre des points communs avec des peuples du bout du monde. Où l’on découvre également le cheminement des convictions et des prises de conscience de l’homme : d’abord, les émotions, l’emportement puis la raison par le savoir, la connaissance… Où l'on espère que la mise à distance peut apporter quelque éclairage...
Un article Japonais tiré de : Asahi Shimbun Tokyo (repris par Courrier International du 30/05/2013)
La Chasse aux « cafards » coréens.
Depuis plusieurs mois, un groupe ultra-nationaliste organise dans un quartier de Tokyo des manifestations anti-coréens de plus en plus virulentes.
Un dimanche après-midi du mois de mars, dans le quartier coréen de Shin-Okubo, à Tokyo. Makoto Sakurai, le leader de la Zaitokukai*, juché sur la voiture de tête, harangue les passants à l’aide d’un mégaphone. “Bonjour à tous les cafards de Shin-Okubo ! Nous sommes des manifestants du comité de nettoyage qui entend éradiquer les insectes nuisibles du Japon ! Attachons les résidents coréens à des Taepodong [missile balistique développé par la Corée du Nord] et lançons-les sur la Corée du Sud !” Pourquoi une telle violence verbale ? “Si nous allons jusqu’à réclamer- la mort de ces Coréens, c’est parce-que leur attitude nous met vraiment en colère. Nous ne sommes pas de simples xénophobes”, explique M. Sakurai. Son organisation considère que “les résidents coréens au Japon jouissent de privilèges injustifiés”. Elle dénonce les revendications de ces Coréens, telles que le droit de vote et les demandes particulières d’allocations. Fondée en 2006, l’organisation compte aujourd’hui 12 000 membres. Sur le trottoir d’en face, des opposants à la Zaitokukai brandissent leurs pancartes. L’un d’entre eux lève le doigt en l’air en scandant : “Dégage, Zaitoku !” Depuis le mois de février, de telles scènes se répètent régulièrement à Shin-Okubo.
Ce jour-là, un homme à lunettes de 39 ans, auquel on se référera ici sous le pseudonyme de Namanushi, regarde la manifestation en semblant se dissimuler dans la foule. Il a participé à 65 manifestations de la Zaitokukai et d’autres groupes d’extrême droite. C’est la première fois qu’il assiste à un défilé en simple spectateur, et en a presque les larmes aux yeux. Ses premiers contacts avec la Zaitokukai remontent à plusieurs années. Travaillant alors chez un fabricant, il lui arrivait souvent de penser que les Japonais étaient traités avec mépris dans les échanges d’affaires avec les étrangers. “L’archipel est sans cesse blâmé, que ce soit pour des questions historiques ou des litiges territoriaux”, pensait-il. C’est en surfant sur Internet que Namanushi a découvert une vidéo de la Zaitokukai. En regardant ces images, il était si excité que, d’après ce que lui a rapporté sa femme, il n’arrêtait pas de taper du poing son bureau.
En août 2011, il participe pour la première fois à une manifestation contre la chaîne Fuji TV, dont la diffusion de nombreuses séries coréennes lui paraît tendancieuse. Il finit par sympathiser avec un petit groupe de manifestants qui se retrouvent dans un bar après avoir défilé. Par la suite, Namanushi se charge de poster des vidéos sur le site Nico Nama [le plus grand site japonais de partage de vidéos. Les internautes peuvent y regarder des retransmissions en direct et poster des commentaires]. Muni d’un ordinateur et d’un appareil photo, il suit de près les manifestations et ses images sont retransmises en direct. Ses vidéos suscitaient de nombreux commentaires – “Graaaaaaaave ! T’as troooooop raisooooooon !” Comme lui, beaucoup tapent du poing leur bureau et sortent dans les rues.
En décembre, Namanushi a appris les résultats des élections générales alors qu’il rentrait d’une manifestation en province. “J’ai été très excité en apprenant que Shinzo Abe [actuel Premier ministre, conservateur] allait former un gouvernement”, se souvient-il. Mais Namanushi s’est soudain senti déboussolé après ces élections. Les échanges de tweets avec ses camarades de la Zaitokukai ont beaucoup diminué [le nouveau gouvernement étant plus proche de leur opinion], et c’est à peu près à cette période que les propos scandés dans les manifestations sont devenus plus virulents. Namanushi avait remarqué la différence d’exaltation entre les manifestants et les passants, et cela le chiffonnait depuis déjà un certain temps. Lorsqu’il allait boire un coup avec ses camarades, tout le monde se déchaînait contre lui dès qu’il émettait un avis légèrement différent des leurs. Namanushi s’est alors demandé : “D’où vient cette colère, au juste ? Peut-être qu’on ne faisait que s’exciter entre nous, en collectant uniquement les informations qui nous arrangeaient”, dit-il. Par la suite, il s’est mis à lire des livres écrits par des personnes dont le point de vue était tout à fait autre, et a découvert les circonstances historiques dans lesquelles les Coréens sont arrivés au Japon. Il n’a pas participé à la manifestation où la Zaitokukai a appelé à “tuer” des Coréens, mais il a vu les retransmissions. Ce jour-là, il a vidé de nombreuses canettes de bière. La veille de la manifestation de mars, après avoir longuement hésité, il a diffusé de chez lui sa “déclaration d’adieu” au groupe : “Je ne peux plus adhérer à des manifestations où l’on traite des individus de cafards en incitant au meurtre. Ceux qui n’ont pas les mêmes opinions doivent nous voir comme des monstres.” Sur la vidéo, on pouvait voir son cendrier plein de mégots.
“Vous prétendez qu’il faut briser des tabous pour mieux communiquer notre colère. Mais de tels discours sont-ils vraiment nécessaires ?” poursuivait-il. En une heure, il a reçu 5 471 commentaires comme “Ça y est, on t’a démasqué, t’es coréen !” et “Crèèèèèèèèèève !” Cette fois-ci, la colère des autres était dirigée contre lui. Et il ne pouvait rien faire de plus; il avait peur.
—Hideaki Ishibashi
*organisation de citoyens qui récusent les privilèges accordés aux étrangers résidant au Japon.
Un article Japonais tiré de : Asahi Shimbun Tokyo (repris par Courrier International du 30/05/2013)
La Chasse aux « cafards » coréens.
Depuis plusieurs mois, un groupe ultra-nationaliste organise dans un quartier de Tokyo des manifestations anti-coréens de plus en plus virulentes.
Un dimanche après-midi du mois de mars, dans le quartier coréen de Shin-Okubo, à Tokyo. Makoto Sakurai, le leader de la Zaitokukai*, juché sur la voiture de tête, harangue les passants à l’aide d’un mégaphone. “Bonjour à tous les cafards de Shin-Okubo ! Nous sommes des manifestants du comité de nettoyage qui entend éradiquer les insectes nuisibles du Japon ! Attachons les résidents coréens à des Taepodong [missile balistique développé par la Corée du Nord] et lançons-les sur la Corée du Sud !” Pourquoi une telle violence verbale ? “Si nous allons jusqu’à réclamer- la mort de ces Coréens, c’est parce-que leur attitude nous met vraiment en colère. Nous ne sommes pas de simples xénophobes”, explique M. Sakurai. Son organisation considère que “les résidents coréens au Japon jouissent de privilèges injustifiés”. Elle dénonce les revendications de ces Coréens, telles que le droit de vote et les demandes particulières d’allocations. Fondée en 2006, l’organisation compte aujourd’hui 12 000 membres. Sur le trottoir d’en face, des opposants à la Zaitokukai brandissent leurs pancartes. L’un d’entre eux lève le doigt en l’air en scandant : “Dégage, Zaitoku !” Depuis le mois de février, de telles scènes se répètent régulièrement à Shin-Okubo.
Ce jour-là, un homme à lunettes de 39 ans, auquel on se référera ici sous le pseudonyme de Namanushi, regarde la manifestation en semblant se dissimuler dans la foule. Il a participé à 65 manifestations de la Zaitokukai et d’autres groupes d’extrême droite. C’est la première fois qu’il assiste à un défilé en simple spectateur, et en a presque les larmes aux yeux. Ses premiers contacts avec la Zaitokukai remontent à plusieurs années. Travaillant alors chez un fabricant, il lui arrivait souvent de penser que les Japonais étaient traités avec mépris dans les échanges d’affaires avec les étrangers. “L’archipel est sans cesse blâmé, que ce soit pour des questions historiques ou des litiges territoriaux”, pensait-il. C’est en surfant sur Internet que Namanushi a découvert une vidéo de la Zaitokukai. En regardant ces images, il était si excité que, d’après ce que lui a rapporté sa femme, il n’arrêtait pas de taper du poing son bureau.
En août 2011, il participe pour la première fois à une manifestation contre la chaîne Fuji TV, dont la diffusion de nombreuses séries coréennes lui paraît tendancieuse. Il finit par sympathiser avec un petit groupe de manifestants qui se retrouvent dans un bar après avoir défilé. Par la suite, Namanushi se charge de poster des vidéos sur le site Nico Nama [le plus grand site japonais de partage de vidéos. Les internautes peuvent y regarder des retransmissions en direct et poster des commentaires]. Muni d’un ordinateur et d’un appareil photo, il suit de près les manifestations et ses images sont retransmises en direct. Ses vidéos suscitaient de nombreux commentaires – “Graaaaaaaave ! T’as troooooop raisooooooon !” Comme lui, beaucoup tapent du poing leur bureau et sortent dans les rues.
En décembre, Namanushi a appris les résultats des élections générales alors qu’il rentrait d’une manifestation en province. “J’ai été très excité en apprenant que Shinzo Abe [actuel Premier ministre, conservateur] allait former un gouvernement”, se souvient-il. Mais Namanushi s’est soudain senti déboussolé après ces élections. Les échanges de tweets avec ses camarades de la Zaitokukai ont beaucoup diminué [le nouveau gouvernement étant plus proche de leur opinion], et c’est à peu près à cette période que les propos scandés dans les manifestations sont devenus plus virulents. Namanushi avait remarqué la différence d’exaltation entre les manifestants et les passants, et cela le chiffonnait depuis déjà un certain temps. Lorsqu’il allait boire un coup avec ses camarades, tout le monde se déchaînait contre lui dès qu’il émettait un avis légèrement différent des leurs. Namanushi s’est alors demandé : “D’où vient cette colère, au juste ? Peut-être qu’on ne faisait que s’exciter entre nous, en collectant uniquement les informations qui nous arrangeaient”, dit-il. Par la suite, il s’est mis à lire des livres écrits par des personnes dont le point de vue était tout à fait autre, et a découvert les circonstances historiques dans lesquelles les Coréens sont arrivés au Japon. Il n’a pas participé à la manifestation où la Zaitokukai a appelé à “tuer” des Coréens, mais il a vu les retransmissions. Ce jour-là, il a vidé de nombreuses canettes de bière. La veille de la manifestation de mars, après avoir longuement hésité, il a diffusé de chez lui sa “déclaration d’adieu” au groupe : “Je ne peux plus adhérer à des manifestations où l’on traite des individus de cafards en incitant au meurtre. Ceux qui n’ont pas les mêmes opinions doivent nous voir comme des monstres.” Sur la vidéo, on pouvait voir son cendrier plein de mégots.
“Vous prétendez qu’il faut briser des tabous pour mieux communiquer notre colère. Mais de tels discours sont-ils vraiment nécessaires ?” poursuivait-il. En une heure, il a reçu 5 471 commentaires comme “Ça y est, on t’a démasqué, t’es coréen !” et “Crèèèèèèèèèève !” Cette fois-ci, la colère des autres était dirigée contre lui. Et il ne pouvait rien faire de plus; il avait peur.
—Hideaki Ishibashi
*organisation de citoyens qui récusent les privilèges accordés aux étrangers résidant au Japon.
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