Réussir
à faire détester l'idée d'une Union européenne aux peuples qui la composent et
qui sont pourtant convaincus de sa nécessité;
réussir
à créer de l'animosité entre ces mêmes peuples, en paix depuis si longtemps
peut être pour la première fois dans leur l'histoire;
réussir
cela en restant sourds aux avertissements et aux revendications qu'elles soient
politiques, économiques, sociales de vos citoyens,
réussir
cela en trahissant ceux qui vous ont pourtant délégué leur souveraineté avec
confiance...
Chapeau
bas messieurs les technocrates!
Chapeau
bas messieurs nos dirigeants nationaux démocratiquement élus!
Votre
conception de la démocratie est en train de détruire une belle idée construite
sur les ruines de la Deuxième guerre mondiale. Et si vous vous rappeliez
qu'elles étaient les circonstances de la naissance de l'Europe? N'étaient-elles
pas plus difficiles qu'aujourd'hui à tous les points de vue? N'avez-vous
vraiment pas d'autres moyens d'actions, d'autres objectifs que ceux de la
finance et de l'ultralibéralisme?
Après
le peuple français en 2005 et sans oublier les peuples irlandais et hollandais, que vous
avez superbement ignorés et humiliés, montrant là une bien étrange application
du mot compromis, le peuple grec vous rappelle encore en 2015 la définition du
mot Démocratie.
Il
serait sans doute temps d'écouter ce nouvel avertissement ou à vos risques et
périls d'avancer au moins au grand jour et de ne plus vous cacher derrière ces
belles idées d'Europe et de Démocratie.
Et
si vous manquez d’inspiration… lisez donc le discours qui suit… Il ne date pas
d’hier mais comporte tout ce que les peuples attendent : Loi, Justice, droit, devoir, paix, intérêts
communs, destinée commune, nations, qualités distinctes, glorieuses
individualités, fraternité européenne, commerce, esprits, idées, suffrage
universel des peuples, arbitrage d’un grand sénat souverain…
« Messieurs,
si quelqu'un, il y a quatre siècles, à l'époque où la guerre existait de
commune à commune, de ville à ville, de province à province, si quelqu'un eût
dit à la Lorraine, à la Picardie, à la Normandie, à la Bretagne, à l'Auvergne,
à la Provence, au Dauphiné, à la Bourgogne : Un jour viendra où vous ne
vous ferez plus la guerre, un jour viendra où vous ne lèverez plus d'hommes
d'armes les uns contre les autres, un jour viendra où l'on ne dira
plus :-Les normands ont attaqué les picards, les lorrains ont repoussé les
bourguignons. Vous aurez bien encore des différends à régler, des intérêts à
débattre, des contestations à résoudre, mais savez-vous ce que vous mettrez à
la place des hommes d'armes ? savez-vous ce que vous mettrez à la place
des gens de pied et de cheval, des canons, des fauconneaux, des lances, des
piques, des épées ? Vous mettrez une petite boîte de sapin que vous
appellerez l'urne du scrutin, et de cette boîte il sortira, quoi ? une
assemblée ! une assemblée en laquelle vous vous sentirez tous vivre, une
assemblée qui sera comme votre âme à tous, un concile souverain et populaire
qui décidera, qui jugera, qui résoudra tout en loi, qui fera tomber le glaive
de toutes les mains et surgir la justice dans tous les cœurs, qui dira à chacun :
Là finit ton droit, ici commence ton devoir. Bas les armes ! vivez en
paix ! Et ce jour-là, vous vous sentirez une pensée commune, des intérêts
communs, une destinée commune ; vous vous embrasserez, vous vous
reconnaîtrez fils du même sang et de la même race ; ce jour-là, vous ne
serez plus des peuplades ennemies, vous serez un peuple ; vous ne serez
plus la Bourgogne, la Normandie, la Bretagne, la Provence, vous serez la
France. Vous ne vous appellerez plus la guerre, vous vous appellerez la
civilisation.
Si
quelqu'un eût dit cela à cette époque, messieurs, tous les hommes positifs,
tous les gens sérieux, tous les grands politiques d'alors se fussent
écriés :-Oh ! le songeur ! Oh ! le rêve-creux ! Comme
cet homme connaît peu l'humanité ! Que voilà une étrange folie et une
absurde chimère !-Messieurs, le temps a marché, et cette chimère, c'est la
réalité.
Et,
j'insiste sur ceci, l'homme qui eût fait cette prophétie sublime eût été
déclaré fou par les sages, pour avoir entrevu les desseins de Dieu !
Eh
bien ! vous dites aujourd'hui, et je suis de ceux qui disent avec vous,
tous, nous qui sommes ici, nous disons à la France, à l'Angleterre, à la
Prusse, à l'Autriche, à l'Espagne, à l'Italie, à la Russie, nous leur
disons :
Un jour
viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi ! Un jour
viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre
Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu'elle
serait impossible et qu'elle paraîtrait absurde aujourd'hui entre Rouen et
Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où vous France, vous
Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du
continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse
individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous
constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la
Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont
fondues dans la France. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de
bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux
idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les
votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un
grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à
l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'assemblée législative
est à la France ! Un jour viendra où l'on montrera un canon dans les
musées comme on y montre aujourd'hui un instrument de torture, en s'étonnant
que cela ait pu être ! Un jour viendra où l'on verra ces deux groupes
immenses, les États-Unis d'Amérique, les États-Unis d'Europe, placés en face
l'un de l'autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs
produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies […]. »
Congrès de la Paix, 1849, Victor Hugo, Actes et Paroles, 1849.
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