Google+ Article deux: février 2015

vendredi 20 février 2015

Enthoven 2 Durendal 0.


Raphaël Enthoven anime sur France Culture une émission intitulée le Gai savoir. Il y est question de littérature, de philosophie. Pendant une heure, on profite de lectures d'extraits et des commentaires du philosophe accompagné d'une jeune femme, Paola Raiman qui semble jouer le rôle de faire-valoir indispensable à une émission qui se propose comme un dialogue philosophique.

Comme tous ses camarades qui osent se montrer dans les médias et notamment à la télévision, Raphaël Enthoven essuie des critiques. C'est inévitable. Tant sur le fond, points de vue, interprétations, et c'est plutôt sain, que sur la forme, phrasé, tics de langage, manière, c'est un peu plus discutable, mais après tout...

Les émissions culturelles sur les ondes publiques ne sont pas légion, alors je dois avouer que je prends du plaisir à écouter, pendant une heure sans interruption publicitaire, disserter sur quelques pages de Victor Hugo, de Montaigne, ou Camus...

Il ne faut pas se plaindre du mépris de la culture dans les médias, critiquer sans cesse son absence, la part belle donnée aux ineptes jeux ou émissions de télé réalité, et cracher sur ceux qui s'évertuent à résister, à tirer encore le public vers le haut. Bref. Je préfère Enthoven à Hanouna.

Or, dans le cadre d'une de ses récentes émissions consacrée à Tocqueville et pour illustrer les propos de ce dernier sur le régime démocratique, le talentueux Raphaël a pris le parti de diffuser un extrait d'une critique d'un «Youtuber» auto proclamé expert cinématographique, Durendal.


Le lien vers l'émission: Le Gai savoir. Un notre est-il possible? 21 décembre 2014

Il s'agissait de proposer un exemple concret à la démonstration de «l'abaissement généralisé des âmes.»

Les réactions furent, aux dires du sieur Raphaël, d'une ampleur et d'une violence jamais atteintes jusqu'alors... On reproche principalement aux animateurs de l'émission d'avoir osé jeter en pâture sur les grandes ondes un pauvre jeune garçon, représentant méritant d'un média inédit, innovant, iconoclaste et libertaire, YouTube, comme ça, gratuitement, sans retenue, pour le plaisir de nuire, par jalousie médiatique, par crainte de se voir délester de leur emprise intellectuelle sur le bon peuple, eux les représentants d'une caste élitiste et d'un média du passé et aux abois...

Il ne s'agit pas ici de rentrer dans la comparaison puérile entre les deux camps: «C'est lui qui a commencé». «Si un youtuber obscur peut insulter, appeler à la mort quiconque lui déplaît alors il doit accepter de recevoir verte remarque en retour». «Les mots du premier sont plus violents que ceux du second». ... Tout cela a déjà été fait. Lisez les commentaires de l'émission.

Mais il faut bien constater le choc générationnel, le choc culturel, technologique aussi, de deux univers qui ne pouvaient auparavant se rencontrer. Presse, radio, télévision ne permettaient pas de confrontation directe de ce type entre des représentants de divisions aussi éloignées l'une de l'autre.
Et il faut bien constater que la démonstration radiophonique du philosophe est finalement très convaincante. La deuxième émission, (qui avait été annoncée, on ne peut donc taxer maître Enthoven de droit de réponse et de vengeance offerte par le service public), illustre avec encore plus de force la validité des thèses de Tocqueville.


Notons d'ailleurs que le docte Raphaël semble bien concevoir à quoi il s'expose. Il relève d'emblée qu'il «est contaminé par cet abaissement général des âmes» en citant Durendal. Il se baisse et met les mains dans la boue pour mieux donner à la voir à ses contemporains. Et il est difficile ensuite de se débarrasser de la souillure...

On pourrait avancer que Raphaël Enthoven, du fait de sa position, de son savoir, aurait dû faire preuve de plus de responsabilités... Et peut-être se taire... Ne pas donner de l'audience à la «bave du crapaud». C'est recevable. L'argumentation en aurait été moins puissante tout de même. Et puis... il faudrait donc que la supériorité intellectuelle abdique? Les universitaires, et notamment ceux issus des sciences humaines, ne sont-ils pas déjà assez silencieux? Quand est-il donné à entendre à des heures décentes des exposés sur nos grands auteurs? Sont-ils nombreux dans les cabinets ministériels à offrir leurs connaissances au bien public? Quand use-t-on de l'histoire, de la littérature, et de la philosophie, concrètement, pour l'amélioration du cadre de vie commun? Et il faudrait qu'ils se taisent? Devant la facilité? Devant la méchanceté gratuite? Devant la jeunesse juste parce qu'elle est jeune?

Cet abaissement généralisé des âmes ne date pas d'hier. Tout ceci n'est pas le fait d'internet. Voilà bien longtemps que la télévision avait préparé le terrain. Internet, les réseaux sociaux ne font qu'amplifier le phénomène. Depuis des années, la télévision a tout nivelé. Tout est traité de la même façon. Le format ultime et niveleur est le journal télévisé. La grande formule indémodable «sans transition» le prouve à elle seule. Le football se trouve sur le même plan que la diplomatie. Un scientifique nobelisé jouxte un acteur de comédie à succès. Le temps qu'il fait ou qu'il va faire occupe autant si ce n'est plus d'espace que la destinée politique du pays. Et la publicité cadre, rythme l'ensemble. On a plus le désir de vendre que l'on ne veut réellement informer. (Au passage, Internet n'est-il pas dans la même logique? YouTube est également un support publicitaire. J'ai cru comprendre que le surnommé Durendal lançait un modèle payant pour son activité...)

Les émissions télévisées ne sont plus spécialisées depuis longtemps. Tout le monde s'assoit autour d'une table et donne son avis sur tout. Le conflit Israël-Palestine est abordé par le philosophe puis par l'actrice oscarisée. Les institutions politiques d'une éventuelle VIème République sont traitées par le candidat d'un parti et par un chanteur à un succès....

Je l'avoue. Je me sens concerné par cette problématique Durendal-Enthoven. Parce que je me rends compte, avec ce blog, que je participe aussi à l'abaissement généralisé des âmes. J'ai souvent mauvaise conscience. Internet, ce média formidable, me donne le moyen de m'exprimer. Je le prends. Je ne suis pas agrégé. Je suis simplement titulaire de ce que l'on appelait dans un ancien temps, une maîtrise. Mon audience est limitée et me chagrine parfois. Oui, j'ai de l'amour propre, comme tout le monde. Mais je fais de mon mieux à mon modeste niveau en respectant des règles intellectuelles et de savoir-vivre. Je ne m'arroge pas le droit d'interpeller et d'en remontrer à des personnes reconnues juste parce que les réseaux sociaux me le permettent. Humilité face aux titres du savoir ou face au talent. Cela paraît suranné; ce ne serait pas contre mon caractère mais contre mon éducation que de faire autrement.

Il ne faut pas aller jusqu'à faire taire les Durendal. Beaucoup d'autres, dont je fais partie, jouissent de la même liberté qu'eux... Du bien, du bon, peuvent en sortir. De plus, toutes les chroniques et les vidéos du concerné ne sont pas du niveau de celle incriminée par le Gai savoir. Il faut le reconnaître. Il n'insulte pas, ni n'appelle au meurtre de façon systématique et semble avoir bien mieux préparé parfois au lieu de céder à la spontanéité et l'improvisation. Enfin, tous les vidéastes amateurs du net ne se valent pas. La généralisation Enthovenienne peut apparaître exagérée, il est vrai, même si la démonstration est efficace. Durendal prend un peu pour beaucoup d'autres mais l'extrait en question, il est vrai également, ne lui en déplaise, est édifiant. Il avait les moyens de reconnaître dans sa réponse publiée sur Facebook qu'il avait été sans doute trop loin. Il pouvait se grandir à peu de frais.

Il faudrait finalement se confronter bientôt, très vite, à la question de la responsabilité de la parole sur Internet, à la question de l'impunité totale dont certains pensent jouir de YouTube à Twitter en passant par Facebook. Tout le monde fréquente le même espace, se rencontre, se croise, se heurte parfois, mais sans respecter les mêmes règles. Tout ce monde, souvent de générations différentes, ne respecte pas, du fait d'une éducation différente, les mêmes codes, les mêmes principes, les mêmes valeurs, les mêmes lois. Dans tous les espaces de notre quotidien, nous sommes dans l'obligation de suivre les préceptes de la loi, de la morale et de la bienséance. Code de la route ou politesse par exemple. Parce que nos responsabilités vis à vis d'autrui sont le gage d'une existence sûre et agréable en communauté. Internet semble être un lieu à part, non concerné par cette préoccupation.

Il faut donc adapter ce nouveau support culturel, mode d'expression, de communication, de diffusion d'informations. Appliquer les anciennes règles? En inventer de nouvelles?

L'expression employée par Enthoven voyant Internet comme «un revolver dans les mains de milliers d'adolescents» prend un écho particulier quand on sait les suicides tentés ou réussis de jeunes harcelés sur les réseaux sociaux, phénomène qui s'amplifie, mais surtout après les attentats du mois de janvier 2015 et la recrudescence de la propagande et de la logistique terroriste sur le réseau informatique. Les mots du philosophe sont durs. C'est vrai. Mais la réalité l'est bien plus.

On peut voir finalement dans cette confrontation Durendal-Enthoven la marque de la faiblesse de notre enseignement, de notre éducation, qui devient de moins en moins humaniste. Certains ne se tempèrent plus, se permettent tout. Ils ne s'empêchent plus, ce qui est pourtant la marque de notre humanité. Ils ne pratiquent plus la nuance. Ils se laissent emporter par leurs possibilités, certains disent libertés; ils ne se limitent plus.


On ne se reconnaît plus aucune autorité et surtout intellectuelle parce que l'on est témoin, partout, tout le temps, dans nos médias, d'un nivelage des propos. Or, si tout a la même importance, alors plus rien n'a d'importance.

BH

"Vous me rendrez raison Monsieur"



mercredi 18 février 2015

Imitation Game

Le film est de facture classique et raconte comment un professeur mathématicien britannique, Allan Turing, a aidé l'armée de son pays à casser les codes cryptés de la fameuse machine nazie Enigma. 

Aidé d'autres cerveaux, recrutés par les services secrets, Allan Turing aboutit à la création d'une machine, embryon des futurs ordinateurs et permit ainsi aux Alliés de prendre un avantage décisif pendant la Seconde Guerre mondiale.

A travers des flash-back et des flash-forward, (analepses et prolepses pour les puristes)  on rentre aussi dans l'intimité de la personnalité complexe, torturée, de ce chercheur génial rongé par ses tourments intérieurs dans une époque corsetée.

Benedict Crumberbatch est parfait, ni trop sobre ni trop "je tente la performance pour avoir un Oscar". Les seconds rôles sont au diapason (Mark Strong, Charles Dance...), et au final le féru d'Histoire est comblé. 


Intérêt citoyen: Constater que les efforts de recherches et d'innovation ne sont jamais autant une priorité que pendant les périodes critiques. Poser une réflexion sur l'évolution des mœurs d'une société à travers la façon dont l'Angleterre considérait l'homosexualité au milieu du siècle dernier.  


SM

jeudi 12 février 2015

Les secrets des grands crimes de l'histoire

Les secrets des grands crimes de l'histoire de Philippe Charlier, édition La librairie Vuibert, 2012. 


Une lecture qui propose un retour sur les enquêtes du passé. L'ouvrage s'attarde sur les meurtres de personnages illustres, rois, princes, présidents, auteurs célèbres, (Henri IV, Lincoln, Zola...) mais aussi sur des faits divers plus «populaires». Les propos sont souvent techniques (vocabulaire médical d'hier et d'aujourd'hui) mais permettent de mesurer l'évolution des analyses médico-légales et des rapports de police. Les techniques modernes permettent-elles une nouvelle approche des crimes anciens? Les conclusions peuvent-elles être différentes?

Citation: "Longtemps, la pratique de l'exhumation (littéralement l'extraction de corps précédemment inhumés, pour autopsie dans un contexte juridique) a été considérée comme mortellement dangereuse en raison des écoulements et émanations putréfactifs." 

Intérêt citoyen: découvrir ou redécouvrir les pratiques judiciaires habituelles du passé: jugement de Dieu, loi du talion, question (doux euphémisme pour la torture), lettre de cachet, peine de mort (l'ouvrage comporte une belle illustration du gibet de Montfaucon). Mesurer ainsi les avantages d'un régime garantissant des droits fondamentaux.



"De Guise, plus grand mort que vivant, fait la une"

dimanche 8 février 2015

Hugo: Les Misérables. Veiller et espérer.

Dans les heures sombres, quand le moral est en berne, il est bon de se détacher du flux de l’actualité. Il est bon de se déconnecter. Concrètement. Les bienfaits de la relecture des œuvres qui nous ont marqués. Les Misérables. Bien plus qu’un roman. Comme toujours chez Hugo, ce constat sombre, terrible des moments difficiles mais cet espoir en l’avenir envers et contre tout. Cette universalité de la pensée à chaque instant. Inquiétant mais merveilleux… 



Chapitre III : Argot qui pleure et Argot qui rit. 

[…]

L'œuvre du dix-huitième siècle est saine et bonne. Les encyclopédistes, Diderot en tête, les physiocrates,Turgot en tête, les philosophes, Voltaire en tête, les utopistes, Rousseau en tête, ce sont là quatre légions sacrées. L'immense avance de l'humanité vers la lumière leur est due. Ce sont les quatre avant-gardes du genre humain allant aux quatre points cardinaux du progrès, Diderot vers le beau, Turgot vers l'utile, Voltaire vers le vrai, Rousseau vers le juste. Mais, à côté et au-dessous des philosophes, il y avait les sophistes, végétation vénéneuse mêlée à la croissance salubre, ciguë dans la forêt vierge. Pendant que le bourreau brûlait sur le maître-escalier du palais de justice les grands livres libérateurs du siècle, des écrivains aujourd'hui oubliés publiaient, avec privilège du roi, on ne sait quels écrits étrangement désorganisateurs, avidement lus des misérables. Quelques-unes de ces publications, détail bizarre, patronnées par un prince, se retrouvent dans la Bibliothèque secrète. Ces faits, profonds mais ignorés, étaient inaperçus à la surface. Parfois c'est l'obscurité même d'un fait qui est son danger. Il est obscur parce qu'il est souterrain. De tous ces écrivains, celui peut-être qui creusa alors dans les masses la galerie la plus malsaine, c'est Restif de la Bretonne. 

Ce travail, propre à toute l'Europe, fit plus de ravage en Allemagne que partout ailleurs. En Allemagne, pendant une certaine période, résumée par Schiller dans son drame fameux des Brigands, le vol et le pillage s'érigeaient en protestation contre la propriété et le travail, s'assimilaient de certaines idées élémentaires, spécieuses et fausses, justes en apparence, absurdes en réalité, s'enveloppaient de ces idées, y disparaissaient en quelque sorte, prenaient un nom abstrait et passaient à l'état de théorie, et de cette façon circulaient dans les foules laborieuses, souffrantes et honnêtes, à l'insu même des chimistes imprudents qui avaient préparé la mixture, à l'insu même des masses qui l'acceptaient. 

Toutes les fois qu'un fait de ce genre se produit, il est grave. La souffrance engendre la colère ; et tandis que les classes prospères s'aveuglent, ou s'endorment, ce qui est toujours fermer les yeux, la haine des classes malheureuses allume sa torche à quelque esprit chagrin ou mal fait qui rêve dans un coin, et elle se met à examiner la société. L'examen de la haine, chose terrible !

De là, si le malheur des temps le veut, ces effrayantes commotions qu'on nommait jadis jacqueries, près desquelles les agitations purement politiques sont jeux d'enfants, qui ne sont plus la lutte de l'opprimé contre l'oppresseur, mais la révolte du malaise contre le bien-être. Tout s'écroule alors. 

Les jacqueries sont des tremblements de peuple.

C'est à ce péril, imminent peut-être en Europe vers la fin du dix-huitième siècle, que vint couper court la Révolution française, cet immense acte de probité.

La Révolution française, qui n'est pas autre chose que l'idéal armé du glaive, se dressa, et, du même mouvement brusque, ferma la porte du mal et ouvrit la porte du bien. 

Elle dégagea la question, promulgua la vérité, chassa le miasme, assainit le siècle, couronna le peuple. 

On peut dire qu'elle a créé l'homme une deuxième fois, en lui donnant une seconde âme, le droit. 

Le dix-neuvième siècle hérite et profite de son œuvre, et aujourd'hui la catastrophe sociale que nous indiquions tout à l'heure est simplement impossible. Aveugle qui la dénonce ! niais qui la redoute ! la révolution est la vaccine de la jacquerie. 

Grâce à la révolution, les conditions sociales sont changées. Les maladies féodales et monarchiques ne sont plus dans notre sang. Il n'y a plus de moyen âge dans notre constitution. Nous ne sommes plus aux temps où d'effroyables fourmillements intérieurs faisaient irruption, où l'on entendait sous ses pieds la course obscure d'un bruit sourd, où apparaissaient à la surface de la civilisation on ne sait quels soulèvements de galeries de taupes, où le sol se crevassait, où le dessus des cavernes s'ouvrait, et où l'on voyait tout à coup sortir de terre des têtes monstrueuses. 

Le sens révolutionnaire est un sens moral. Le sentiment du droit, développé, développe le sentiment du devoir. La loi de tous, c'est la liberté, qui finit où commence la liberté d'autrui, selon l'admirable définition de Robespierre. Depuis 89, le peuple tout entier se dilate dans l'individu sublimé ; il n'y a pas de pauvre qui, ayant son droit, n'ait son rayon ; le meurt-de-faim sent en lui l'honnêteté de la France ; la dignité du citoyen est une armure intérieure ; qui est libre est scrupuleux ; qui vote règne. De là l'incorruptibilité ; de là l'avortement des convoitises malsaines ; de là les yeux héroïquement baissés devant les tentations. L'assainissement révolutionnaire est tel qu'un jour de délivrance, un 14 juillet, un 10 août, il n'y a plus de populace. Le premier cri des foules illuminées et grandissantes c'est: mort aux voleurs ! Le progrès est honnête homme ; l'idéal et l'absolu ne font pas le mouchoir. Par qui furent escortés en 1848 les fourgons qui contenaient les richesses des Tuileries ? par les chiffonniers du faubourg Saint-Antoine. Le haillon monta la garde devant le trésor. La vertu fit ces déguenillés resplendissants. Il y avait là, dans ces fourgons, dans des caisses à peine fermées quelques-unes même entr'ouvertes, parmi cent écrins éblouissants, cette vieille couronne de France toute en diamants, surmontée de l'escarboucle de la royauté, du régent, qui valait trente millions. Ils gardaient, pieds nus, cette couronne. Donc plus de jacquerie. J'en suis fâché pour les habiles. C'est là de la vieille peur qui a fait son dernier effet et qui ne pourrait plus désormais être employée en politique. Le grand ressort du spectre rouge est cassé. Tout le monde le sait maintenant. L'épouvantail n'épouvante plus. Les oiseaux prennent des familiarités avec le mannequin, les stercoraires s'y posent, les bourgeois rient dessus.


Chapitre IV - Les deux devoirs : veiller et espérer


Cela étant, tout danger social est-il dissipé ? non certes. Point de jacquerie. La société peut se rassurer de ce côté, le sang ne lui portera plus à la tête ; mais qu'elle se préoccupe de la façon dont elle respire. L'apoplexie n'est plus à craindre, mais la phtisie est là. La phtisie sociale s'appelle misère. 

On meurt miné aussi bien que foudroyé. 

Ne nous lassons pas de le répéter, songer, avant tout aux foules déshéritées et douloureuses, les soulager, les aérer, les éclairer, les aimer, leur élargir magnifiquement l'horizon, leur prodiguer sous toutes les formes l'éducation, leur offrir l'exemple du labeur, jamais l'exemple de l'oisiveté, amoindrir le poids du fardeau individuel en accroissant la notion du but universel, limiter la pauvreté sans limiter la richesse, créer de vastes champs d'activité publique et populaire, avoir comme Briarée[1] cent mains à tendre de toutes parts aux accablés et aux faibles, employer la puissance collective à ce grand devoir d'ouvrir des ateliers à tous les bras, des écoles à toutes les aptitudes et des laboratoires à toutes les intelligences, augmenter le salaire, diminuer la peine, balancer le doit et l'avoir, c'est-à-dire proportionner la jouissance à l'effort et l'assouvissement au besoin, en un mot, faire dégager à l'appareil social, au profit de ceux qui souffrent et de ceux qui ignorent, plus de clarté et plus de bien-être, c'est là, que les âmes sympathiques ne l'oublient pas, la première des obligations fraternelles, c'est, que les cœurs égoïstes le sachent, la première des nécessités politiques.

Et, disons-le, tout cela, ce n'est encore qu'un commencement. La vraie question, c'est celle-ci : le travail ne peut être une loi sans être un droit. 

Nous n'insistons pas, ce n'est point ici le lieu. 

Si la nature s'appelle providence, la société doit s'appeler prévoyance. 

La croissance intellectuelle et morale n'est pas moins indispensable que l'amélioration matérielle. Savoir est un viatique ; penser est de première nécessité ; la vérité est nourriture comme le froment. Une raison, à jeun de science et de sagesse, maigrit. Plaignons, à l'égal des estomacs, les esprits qui ne mangent pas. S'il y a quelque chose de plus poignant qu'un corps agonisant faute de pain, c'est une âme qui meurt de la faim de la lumière. 

Le progrès tout entier tend du côté de la solution. Un jour on sera stupéfait. Le genre humain montant, les couches profondes sortiront tout naturellement de la zone de détresse. L'effacement de la misère se fera par une simple élévation de niveau. 

Cette solution bénie, on aurait tort d'en douter. 

Le passé, il est vrai, est très fort à l'heure où nous sommes. Il reprend. Ce rajeunissement d'un cadavre est surprenant. Le voici qui marche et qui vient. Il semble vainqueur ; ce mort est un conquérant. Il arrive avec sa légion, les superstitions, avec son épée, le despotisme, avec son drapeau, l'ignorance ; depuis quelque temps il a gagné dix batailles. Il avance, il menace, il rit, il est à nos portes. Quant à nous, ne désespérons pas. 

Vendons le champ où campe Annibal. 

Nous qui croyons, que pouvons-nous craindre ?

Il n'y a pas plus de reculs d'idées que de reculs de fleuves. 

Mais que ceux qui ne veulent pas de l'avenir y réfléchissent. En disant non au progrès, ce n'est point l'avenir qu'ils condamnent, c'est eux-mêmes. Ils se donnent une maladie sombre ; ils s'inoculent le passé. Il n'y a qu'une manière de refuser Demain, c'est de mourir. 

Or, aucune mort, celle du corps le plus tard possible, celle de l'âme jamais, c'est là ce que nous voulons.

Oui, l'énigme dira son mot, le sphinx parlera, le problème sera résolu. 

Oui, le Peuple, ébauché par le dix-huitième siècle, sera achevé par le dix-neuvième. Idiot qui en douterait ! L'éclosion future, l'éclosion prochaine du bien-être universel, est un phénomène divinement fatal.

D'immenses poussées d'ensemble régissent les faits humains et les amènent tous dans un temps donné à l'état logique, c'est-à-dire à l'équilibre, c'est-à-dire à l'équité. Une force composée de terre et de ciel résulte de l'humanité et la gouverne ; cette force-là est une faiseuse de miracles ; les dénoûments merveilleux ne lui sont pas plus difficiles que les péripéties extraordinaires. Aidée de la science qui vient de l'homme et de l'événement qui vient d'un autre, elle s'épouvante peu de ces contradictions dans la pose des problèmes, qui semblent au vulgaire impossibilités. Elle n'est pas moins habile à faire jaillir une solution du rapprochement des idées qu'un enseignement du rapprochement des faits, et l'on peut s'attendre à tout de la part de cette mystérieuse puissance du progrès qui, un beau jour, confronte l'orient et l'occident au fond d'un sépulcre et fait dialoguer les imans avec Bonaparte dans l'intérieur de la grande pyramide. 

En attendant, pas de halte, pas d'hésitation, pas de temps d'arrêt dans la grandiose marche en avant des esprits. La philosophie sociale est essentiellement la science de la paix. Elle a pour but et doit avoir pour résultat de dissoudre les colères par l'étude des antagonismes. Elle examine, elle scrute, elle analyse ; puis elle recompose. Elle procède par voie de réduction, retranchant de tout la haine. 

Qu'une société s'abîme au vent qui se déchaîne sur les hommes, cela s'est vu plus d'une fois ; l'histoire est pleine de naufrages de peuples et d'empires ; mœurs, lois, religions, un beau jour cet inconnu, l'ouragan, passe et emporte tout cela. Les civilisations de l'Inde, de la Chaldée, de la Perse, de l'Assyrie, de l'Égypte, ont disparu l'une après l'autre. Pourquoi ? nous l'ignorons. Quelles sont les causes de ces désastres ? nous ne le savons pas. Ces sociétés auraient-elles pu être sauvées ? y a-t-il de leur faute ? se sont-elles obstinées dans quelque vice fatal qui les a perdues ? quelle quantité de suicide y a-t-il dans ces morts terribles d'une nation et d'une race ? Questions sans réponse. L'ombre couvre ces civilisations condamnées. Elles faisaient eau puisqu'elles s'engloutissent ; nous n'avons rien de plus à dire ; et c'est avec une sorte d'effarement que nous regardons, au fond de cette mer qu'on appelle le passé, derrière ces vagues colossales, les siècles, sombrer ces immenses navires, Babylone, Ninive, Tarse, Thèbes, Rome, sous le souffle effrayant qui sort de toutes les bouches des ténèbres. Mais ténèbres là, clarté ici. Nous ignorons les maladies des civilisations antiques, nous connaissons les infirmités de la nôtre. Nous avons partout sur elle le droit de lumière ; nous contemplons ses beautés et nous mettons à nu ses difformités. Là où est le mal, nous sondons ; et, une fois la souffrance constatée, l'étude de la cause mène à la découverte du remède. Notre civilisation, œuvre de vingt siècles, en est à la fois le monstre et le prodige ; elle vaut la peine d'être sauvée. Elle le sera. La soulager, c'est déjà beaucoup ; l'éclairer, c'est encore quelque chose. Tous les travaux de la philosophie sociale moderne doivent converger vers ce but. Le penseur aujourd'hui a un grand devoir, ausculter la civilisation. 

Nous le répétons, cette auscultation encourage ; et c'est par cette insistance dans l'encouragement que nous voulons finir ces quelques pages, entracte austère d'un drame douloureux. Sous la mortalité sociale on sent l'impérissabilité humaine. Pour avoir çà et là ces plaies, les cratères, et ces dartres, les solfatares, pour un volcan qui aboutit et qui jette son pus, le globe ne meurt pas. Des maladies de peuple ne tuent pas l'homme. 

Et néanmoins, quiconque suit la clinique sociale hoche la tête par instants. Les plus forts, les plus tendres, les plus logiques ont leurs heures de défaillance. 

L'avenir arrivera-t-il ? il semble qu'on peut presque se faire cette question quand on voit tant d'ombre terrible. Sombre face-à-face des égoïstes et des misérables. Chez les égoïstes, les préjugés, les ténèbres de l'éducation riche, l'appétit croissant par l'enivrement, un étourdissement de prospérité qui assourdit, la crainte de souffrir qui, dans quelques-uns, va jusqu'à l'aversion des souffrants, une satisfaction implacable, le moi si enflé qu'il ferme l'âme ; chez les misérables, la convoitise, l'envie, la haine de voir les autres jouir, les profondes secousses de la bête humaine vers les assouvissements, les cœurs pleins de brume, la tristesse, le besoin, la fatalité, l'ignorance impure et simple. 

Faut-il continuer de lever les yeux vers le ciel ? le point lumineux qu'on y distingue est-il de ceux qui s'éteignent ? L'idéal est effrayant à voir, ainsi perdu dans les profondeurs, petit, isolé, imperceptible, brillant, mais entouré de toutes ces grandes menaces noires monstrueusement amoncelées autour de lui ; pourtant pas plus en danger qu'une étoile dans les gueules des nuages. 


Victor Hugo, Les Misérables, Tome IV Livre Septième, chapitre III et IV, 1862 

Source : In Libro Veritas



[1] Dans la mythologie grecque, Fils d’Ouranos, frère des Titans et des Cyclopes.



"Tout ce qui augmente la Liberté augmente la responsabilité.
Etre libre, rien n'est plus grave" 


jeudi 5 février 2015

Le Fanatisme sur l'intelligence

Il parait que le passé éclaire le présent et peut servir de guide au futur...  Voici, un extrait de 1876. Encore une fois la parole de Victor Hugo...

Deux inviolabilités sont les deux plus précieux biens d'un peuple civilisé, l'inviolabilité du territoire et l'inviolabilité de la conscience. 

Le soldat viole l'une, le prêtre viole l'autre. Il faut rendre justice à tout, même au mal; le soldat croit bien faire, il obéit à sa consigne; le prêtre croit bien faire, il obéit à son dogme; les chefs seuls sont responsables. Il n'y a que deux coupables, César et Pierre; César qui tue, Pierre qui ment.

Le prêtre peut être de bonne foi; il croit avoir une vérité à lui, différente de la vérité universelle. Chaque religion a sa vérité, distincte de la vérité d'à côté. Cette vérité ne sort pas de la nature, entachée de panthéisme aux yeux des prêtres; elle sort d'un livre. Ce livre varie. La vérité qui sort du talmud est hostile à la vérité qui sort du koran. Le rabbin croit autrement que le marabout[1], le fakir contemple un paradis que n'aperçoit pas le caloyer[2], et le Dieu visible au capucin[3] est invisible au derviche[4]. On me dira que le derviche en voit un autre; je l'accorde, et j'ajoute que c'est le même; Jupiter, c'est Jovis, qui est Jova, qui est Jéhovah; ce qui n'empêche pas Jupiter de foudroyer Jéhovah, et Jéhovah de damner Jupiter; Fô excommunie Brahmâ, et Brahmâ anathématise Allah; tous les dieux se revomissent les uns les autres; toute religion dément la religion d'en face; les clergés flottent dans tout cela, se haïssant, tous convaincus, à peu près; il faut les plaindre et leur conseiller la fraternité. Leur pugilat est pardonnable. On croit ce qu'on peut, et non ce qu'on veut. Là est l'excuse de tous les clergés; mais ce qui les excuse les limite. Qu'ils vivent, soit; mais qu'ils n'empiètent pas. Le droit au fanatisme existe, à la condition de ne pas sortir de chez lui; mais dès que le fanatisme se répand au dehors, dès qu'il devient véda, pentateuque ou syllabus, il veut être surveillé. 

La création s'offre à l'étude de l'homme; le prêtre déteste cette étude et tient la création pour suspecte; la vérité latente dont le prêtre dispose contredit la vérité patente que l'univers propose. De là un conflit entre la foi et la raison. De là, si le clergé est le plus fort, une voie de fait du fanatisme sur l'intelligence.

S'emparer de l'éducation, saisir l'enfant, lui remanier l'esprit, lui repétrir le cerveau, tel est le procédé; il est redoutable. 

Toutes les religions ont ce but: prendre de force l'âme humaine. C'est à cette tentative de viol que la France est livrée aujourd'hui. 

Essai de fécondation qui est une souillure. Faire à la France un faux avenir; quoi de plus terrible?

L'intelligence nationale en péril, telle est la situation actuelle. L'enseignement des mosquées, des synagogues et des presbytères, est le même; il a l'identité de l'affirmation dans la chimère; il substitue le dogme, cet empirique, à la conscience, cet avertisseur. Il fausse la notion divine innée; la candeur de la jeunesse est sans défense, il verse dans cette candeur l'imposture, et, si on le laisse faire, il en arrive à ce résultat de créer chez l'enfant une épouvantable bonne foi dans l'erreur. 

Nous le répétons, le prêtre est ou peut être convaincu et sincère. Doit-on le blâmer? non. Doit-on le combattre? oui. 


Victor Hugo, « Paris et Rome », Dans Actes et Paroles, juillet 1876




[1] Dans les pays musulmans et plus particulièrement en Afrique, saint local reconnu comme protecteur des moissons 
[2] Moine de l’Eglise d’Orient. 
[3] Religieux de l’ordre des Frères mineurs 
[4] Membre d’une confrérie religieuse musulmane



"Tout peut arriver car tout est arrivé"

mercredi 4 février 2015

Total Laicity

Parce que l’on oublie décidément tout très vite… Projetons-nous un peu dans l’avenir…Que restera-t-il de l'esprit du 11 janvier? Que restera-t-il de la laïcité? Utopie? Dystopie?


Janvier 2015. Après les attentats de Charlie Hebdo, la vague d'émotion est immense. Oui, mais… dans les médias, sur les réseaux sociaux, le débat sur le blasphème, prend également de l'ampleur. Le meilleur historien de France, Lorànt Deutsch, réclame le délit de blasphème pour la sérénité nationale. 

Septembre 2015. Suite à des incidents communautaires liés à la publication de nouveaux dessins d'une « certaine presse », le débat est porté devant les assemblées.

Janvier 2016. Après des débats houleux, l'interdiction de représentation du prophète Mahomet est votée par les chambres. Le jour même, les représentants des cultes Catholique, Protestant, Juif, lancent une campagne de presse œcuménique pour demander l'élargissement de la loi. Ils prônent une interdiction du blasphème pour toutes les religions. Leur lettre ouverte intitulée, «Y a pas que l'Islam» est publiée à la une des grands quotidiens nationaux. Najat Vallaud-Belkacem demande une lecture dans les classes de collège et lycée en respect du «fait religieux». En parallèle, Fleur Pellerin lance une campagne sur internet avec un clip de Grand Corps Malade reprenant un Slam « fils de Dieu ou pas, l'école te juge pas ».

Février 2016. La loi est modifiée en urgence. «Il fallait un élargissement à toutes les religions en vertu du principe de laïcité». Le président Hollande salue la réactivité des citoyens pratiquants qui ont su rappeler à la République ses manquements. Le blasphème est donc désormais puni par la loi. Un secrétariat d'État chargé du respect laïc de la tolérance mutuelle interreligieuse est créé. Une première: il aura à sa tête une commission de secrétaires d'État, chacun représentant une communauté religieuse, et ce malgré une pétition reprise par le Nouvel Observateur et signée par Martine Aubry qui déplore « l'absence de ticket paritaire femme-homme parmi les représentant-e-s de cette instance que nous respectons ». Ce secrétariat d'État sera placé, dans un souci évident d'efficacité, sous la tutelle conjointe des ministères de la Culture, de la Justice, de l'Intérieur et directement rattaché à Matignon.

Mars 2016. Les Sectes se regroupent en une fédération dirigée par Tom Cruise, en attente de sa naturalisation française, pour demander le statut de religion, ou du moins un élargissement de la loi interdisant le blasphème à toutes les croyances possibles et non plus seulement aux religions dites révélées. «La laïcité se doit de respecter également la foi personnelle, privée, originale, hors norme, avant-gardiste, passéiste. Aucune croyance ne peut être stigmatisée, moquée, martyrisée, par des amuseurs inutiles. L’hérésie d’aujourd’hui est l’orthodoxie de demain. » La Miviludes est dissoute.

Avril 2016. La campagne présidentielle est lancée prématurément dans ce climat houleux. Suite à une caricature de Plantu qui a croqué une colombe au-dessus des candidats déclarés, et devant la colère de ces derniers de se retrouver sur le même dessin, le président Hollande décide la création d'un comité de surveillance éthique de l’humour engagé. Il nomme Jamel Debouzze, Patrick Timsit, Jean-Marie Bigard, à sa tête. Ces trois humoristes présentent au journal de Pujadas une signalétique qui avertira le lecteur, le téléspectateur, du degré de satire et le public visé par le dessin. Des messages préenregistrés sont prévus pour les sketchs radio. Tous les auteurs devront donc soumettre leurs productions au comité avant publication ou diffusion. 

Mai 2016. Pour faire face à la confusion générale liée aux 7 signes et 9 couleurs de la signalétique De-Ti-Bi, le président Hollande décide par décret de suspendre l'autorisation de toute caricature de presse, et de toute forme d'humour engagé, pour le temps de la campagne électorale «dans le but de retrouver sérénité et raison», et «afin de trouver une solution susceptible de satisfaire le mieux-vivre, le bien-sourire, le bon-rire ensemble dans le cadre d'une responsabilité épanouie et agréablement vécue par la totalité des communautés nationales». Un poste de secrétaire d'État à la surveillance de l'humour engagé et à la bien-pensance électorale est créé. C'est Éric Besson qui inaugure la fonction. 

Juin 2016. Un fonds d'aide exceptionnel est créé pour les dessinateurs, les humoristes, qui se retrouvent du jour au lendemain sans ressources. Dany Boon se voit refuser une pension au titre que ses œuvres n'ont jamais présenté un caractère engagé et satirique ; Guy Bedos au titre qu'il ne fait plus rire personne depuis 1978 même quand il est méchant. Gad Elmaleh, lui aussi évincé, se joint à eux dans le cadre d'une action de groupe contre l'État: «Nous militons pour la reconnaissance du droit à l'humour gentil mais subtilement engagé quand même». 

Août 2016. Le PSG, pour la reprise du championnat, présente son nouveau maillot avec un nouveau slogan: «One Game, One God». En tribunes, le prince du Qatar jubile. 

Septembre 2016. Un citoyen attaque en Justice son voisin qui s'était moqué de lui pour avoir déclaré que Nicolas Sarkozy était son Dieu. Il obtient gain de cause quand, après enquête approfondie, il s'avère que le plaignant vouait effectivement un culte depuis 2002, dans sa cave, à l'ancien maire de Neuilly et ancien président de la République. 

Octobre 2016. Par jurisprudence, une lycéenne obtient elle aussi justice. Elle avait été ridiculisée par ses camarades de classe pour avoir porté un t-shirt de Beyoncé en classe de gym. Or, la jeune fille s'était auto-proclamée grande prêtresse de la chanteuse R'n'b au cours d'une cérémonie dans le garage de ses parents. La vidéo, mise en ligne sur YouTube deux ans auparavant, a constitué un élément de preuve décisif au tribunal. 

Novembre 2016. Les tribunaux sont débordés pour des cas de moqueries religieuses s'apparentant à des blasphèmes. L'union nationale est réclamée par Manuel Valls qui convoque tous les responsables politiques à Matignon. Le conseil constitutionnel déclare anticonstitutionnelle la proposition commune de Le Pen, Sarkozy, Dupont-Aignan, Bayrou, d'obliger les professions de foi des candidats à tout suffrage d'indiquer leur obédience. La cour européenne casse la décision des sages qui s'auto dissolvent. 

Décembre 2016. Dans la foulée et comme pour faciliter la tâche des tribunaux, la campagne des sectes obtient enfin gain de cause. Tom Cruise, le jour de sa naturalisation, est décoré, à l’Elysée, de la Légion d’Honneur. La notion de blasphème est étendue à toutes les croyances possibles et non plus limitée aux croyances religieuses. Une réforme constitutionnelle est engagée. Lors d’un meeting de campagne, Christine Boutin reprend le mot d’ordre de cette réforme et hurle : « Il ne faudra plus dire: « La France, religion officielle : aucune. Mais il faudra dire : « Croyances : toutes ! » Elle ajoute : « mais il ne faut pas oublier que c’est au Christianisme qu’elle doit ses racines et ses valeurs ! ». 

Le jour de la Saint-Sylvestre, les dirigeants du CRIF et du CFCM, accompagnés de Monseigneur Di Falco, tous en pleurs et main dans la main, déposent une gerbe commune devant la statue de la République sur la place du même nom. L'image est symbolique. L'émotion est intense. «Il faut rendre hommage aux institutions sans lesquelles tout cela n'aurait été possible. Enfin la laïcité s'exprime sur des bases sereines et durables, celles de la foi qui reprend ses droits. Mais le combat est loin d'être gagné. Il y a encore tant à accomplir.» Voilà les mots que les représentants des cultes majeurs ont prononcés à l'unisson. De cette journée historique on retiendra aussi les 24 victimes et les centaines de blessés, lors de ce que Bernard Cazeneuve a qualifié de « simples débordements de casseurs malheureusement inévitables » et qui ont eu lieu en marge de cette cérémonie. 

Janvier 2017: lors d'une galette des rois à Evry, Manuel Valls se fait surprendre par les caméras du Petit Journal en train de demander à un membre de la mairie de « mettre des cathos whites, des feujes au premier rang... y'a trop de musulmanos pour la caméra ». Malgré des excuses sur son fil Twitter derrière le hashtag « #maboulettelorsdelagalette», il en tire toutes les conséquences en démissionnant. Il laisse la place à Emmanuel Macron qui réserve sa première interview au journal du Vatican Il Messagere romano en déclarant, sibyllin, « je serai un Premier Ministre respectueux de la République Française mais dans le respect de l'intime de chacun, car il n'y a pas de tabou en politique». 

Février 2017: Sarkozy, le jour du Mercredi des Cendres, annonce depuis la Cathédrale de Notre Dame de la Garde à Marseille qu'il est candidat investi d'une mission par les Français. Il répète que les curés sont supérieurs aux instituteurs et que lui, re-président de la République, il s’efforcera de leur donner à nouveau tout le poids qui devrait être le leur dans l’élévation morale et spirituelle des enfants de France. Parallèlement, il annonce son équipe de campagne avec l'artiste Abd Al Malik comme porte-parole. 

Mars 2017. En chute libre dans les sondages, Hollande, toujours par décret, instaure que le vendredi, le samedi et le dimanche seront désormais des jours fériés en fonction de la croyance du salarié. Un certificat officiel d’appartenance religieuse sera délivré par les bureaux du Pôle-Emploi qui passent de fait sous la responsabilité des autorités religieuses du pays, autorités qui prennent pour l’occasion le statut de service public. Hollande déclare : « La loi de 1905 n’était finalement qu’une orientation, une indication à suivre, un peu comme le préambule de notre Constitution ou la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen ». Henri Guaino approuve le président : « je le répète : je ne comprenais plus ce monde où tout était régi par des règles automatiques ». Kippour et l’Aïd devenant officiellement jours fériés, les Protestants obtiennent la date du 24 août pour commémorer la Saint-Barthélemy. Les agnostiques et les athées se voient proposer une journée du « faire société ensemble». Le président Hollande propose le 11 janvier après concertation avec le MEDEF. Interrogé sur le choix de cette date, il répond : « Le mois de janvier était pauvre en fêtes ou autres commémorations, et cela permettra aux citoyens de se remettre doucement après les réveillons. Le chiffre 11 me semblait également facile à retenir ».

S.M & B.H

ça c'était avant...