Extrait d’un article publié en mai
2013 par un sociologue allemand.
La plupart
des gens me considèrent comme un monstre lorsque je leur dis que je ne voterai
pas. Comment ? Alors que certains se battent pour obtenir ce droit ?
Après tout ce qui s’est passé en Allemagne au XXe siècle ?
L’abstention n’est pas acceptable. Voter est un devoir citoyen.
(…) Au moins
peut-on opter pour le “moindre mal”, le moins néfaste de tous ceux-là ou bien
étudier l’éventail des coalitions possibles et se déterminer stratégiquement
pour ce qui apparaîtra comme la moins pire des solutions. Mais qui incarne ce
moindre mal aujourd’hui, et par rapport à quoi ? (…)
(..) En
réalité, toute l’ironie de notre ère postdémocratique réside dans le fait que
les dernières personnes à associer appartenance politique et divergence
idéologique sont nos hommes et nos femmes politiques, car dans la pratique
parlementaire les décisions de fond sont généralement repoussées non pour des
raisons idéologiques, mais pour des raisons partisanes. Il faut être prêt à
défendre la moindre couillonnade émanant de son parti et à rejeter la
proposition la plus brillante au motif qu’elle vient du parti rival. Les prétendues
divergences ne sont plus que des éléments cosmétiques. Les politiques essaient
de nous convaincre de choses auxquelles ils ne croient pas eux-mêmes. (…)
Nos partis
se désintéressent unanimement de la construction de notre avenir. Ils recyclent
de vieilles politiques au lieu d’en imaginer de nouvelles et jouent la
surenchère sur des questions marginales comme si elles étaient centrales :
des quotas de femmes dans les conseils de surveillance ? Mais c’est bien
sûr ! Une augmentation des impôts sur les hauts revenus ? Voilà bien
une solution radicale à la crise financière !
Les
élections sont démocratiques lorsque la volonté des électeurs peut se traduire
dans l’action du gouvernement. Mais le sont-elles encore lorsque la
souveraineté nationale, et donc le gouvernement, est ainsi soumise à la
“pression des marchés” ? Qu’en penser lorsque des pays européens sont
placés sous curatelle par une “troïka” agissant sans la moindre légitimité
parlementaire ou lorsqu’ils sont classés en Etats gentils ou frondeurs ?
Que penser de ces politiques d’austérité qui se traduisent dans certains pays
– notamment l’Espagne, où la dette publique était pourtant relativement
faible – par le chômage de plus d’un jeune sur deux ? (…)
Comment
donner sa voix à un parti quand aucun n’est prêt à ruer dans les brancards
quand il le faut ? Dites-moi, dans ces circonstances, qui incarne ce
moindre mal à qui je pourrais donner la préférence ? Dans ces
circonstances, l’abstention est un refus
du statu quo. Il ne s’agit pas d’un acte passif et silencieux, il faut au
contraire en parler en privé comme en public. Seule une rupture avec le consensus
peut obliger les partis à se rendre compte de leur perte de légitimité et à se
rappeler à qui appartient le pouvoir dans un Etat démocratique.
—Harald Welzer
Publié le 27
mai dans Der Spiegel.
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