Où l’on se rend compte que le temps passe vite et les comportements politiques aussi. Où l’on évoque des appels aux meurtres sur les réseaux sociaux.
Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen, candidat à l’élection présidentielle du parti d’extrême droite, le Front National, est présent au second tour. Il devance Lionel Jospin, candidat du Parti Socialiste, premier ministre sortant, et se place derrière Jacques Chirac, représentant de l’UMP, parti de la droite traditionnelle, et président sortant.
L’émoi est à son comble. Le séisme politique est d’envergure. Pourtant, les avertissements avaient été nombreux depuis des années. Les instituts de sondage montrent ce jour-là leurs flagrantes limites mais finalement parviennent à se justifier. Les chiffres ne mentent pas : l’interprétation n’était pas sans doute pas assez fine et au bout du compte, cette situation était envisageable.
Politiquement, tout en feignant l’indignation et l’effarement, la Droite jubile. Elle a misé une partie de sa stratégie sur l’insécurité, thème cher à une droite dure. Quelques faits divers de dernière minute achèvent sans doute d’influencer une partie de l’opinion et éparpillent un peu plus un électorat confronté à une myriade de candidats. L’élection présidentielle est gagnée dès le premier tour pour la Droite. Le deuxième tour est confisqué.
L’entre-deux tours se caractérise par des manifestations soudaines, massives, quotidiennes de républicanisme et par une absence de débat entre les deux candidats puisque Jacques Chirac le refuse catégoriquement en affirmant : « il n’y a pas de dialogue possible avec le Front National ».
Le deuxième tour est une formalité : il s’agit plus d’un referendum contre les idées politiques extrêmes. Jacques Chirac est réélu avec 82% des suffrages exprimés en sa faveur.
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21 avril 2013, onze ans plus tard, jour pour jour, des élus, des membres de l’UMP, défilent contre la loi du mariage pour tous, en tête de cortège, auprès des élus FN.
Le chef auto-proclamé de l’UMP déclare dès le lendemain qu’ « il n’y a pas de collusion avec le FN ». Il évoque un simple voisinage « malheureux ». Quoi qu’il en soit la portée symbolique est forte.
Onze ans auparavant, il n’y avait « pas de dialogue possible ». Désormais, on marche les uns auprès des autres.
L’UMP et son chef peuvent clamer leur distance autant qu’ils le peuvent mais on n’imagine mal des élus ou des membres du FN, défiler politiquement, côte à côte, tenant la même banderole, avec des sympathisants du Front de Gauche ou même du Parti Socialiste. Pour beaucoup d’électeurs la distance entre l’UMP et le FN ne parait plus aussi nette et pour les représentants de ces partis, il semble en être de même. Il faut se rappeler les stratégies et les discours de Nicolas Sarkozy pendant son quinquennat. Chaque jour voit donc la distance se réduire. La prochaine étape, (elle a déjà été franchie très ponctuellement mais il est à croire qu’elle se généralisera), sera l’alliance électorale pure et simple.
Certains avancent que l’on peut se retrouver, pour une cause, auprès de membres de partis que l’on combat habituellement. Cela serait un signe de cohérence politique, reconnaître que l’on n’est pas dans le rejet systématique de principe. Or, au niveau cohérence, que penser de ces membres de la Droite qui clament haut et fort quand ils sont au pouvoir que « l’on ne gouverne pas avec la rue » et qui, aujourd’hui dans l’opposition, condamne le gouvernement pour son intransigeance à vouloir faire voter une loi qui était pourtant dans le programme électoral de son candidat ? Où est la cohérence démocratique quand plusieurs manifestations de millions de personnes contre la réforme des retraites sont restées sans réponse de la part du précédent gouvernement alors que son candidat avait juré qu’il n’entreprendrait pas de réforme à ce sujet ?
Pour conclure sur ces 21 avril français et sur cette banalisation de l’extrême droite dans le paysage politique, il faudrait peut-être rappeler ce qui compose une partie de l’électorat du FN. Le débat sur le mariage homosexuel a une nouvelle fois révélé au grand jour l’activisme de groupuscules que l’on qualifie pudiquement « d’identitaires ». Ils sont en fait parfaitement assimilables à des groupes néo-nazis. Ils le revendiquent même pleinement par leur mode d’actions, leurs propos, leurs tenues, leurs symboles, leurs références historiques et enfin par leur antiparlementarisme. On ne choisit pas ses électeurs avance le Front National. N’a-t-il donc aucune responsabilité à ce niveau ? N’a-t-il vraiment aucune explication à fournir quant au fait que ces groupuscules se reconnaissent dans ses propositions ?
Pour ceux qui doutent de l’existence et de la teneur des propos de ces groupes, voici quelques commentaires glanés sur les réseaux sociaux comme illustration. Ils sont formulés sous une liste d’enfants nés au mois de janvier 2013 dans une ville de Seine Saint-Denis. Oui, en France, en 2013, des listes de noms circulent pour mettre en évidence par le patronyme l’origine ethnique, étrangère, de certains futurs citoyens. Ce genre de publications déclenche beaucoup de réactions, de partages et se retrouve ainsi sous les yeux de centaines, de milliers de personnes. Que l’immigration soit débattue comme un problème politique, on peut l’admettre totalement : c’est le jeu démocratique. En appeler au meurtre pur et simple et publiquement en toute impunité est d’un autre domaine.
Les quelques commentaires sélectionnés sont rapportés ici dans leur forme originale :
· « Sa commence par la cantine HALAL et bien tot sava etre quoi ? aprendre la langue de RATS dans les ecole?! Elle et belle la france .... Jamais ma fille mangera a la cantine si ses pour quelle mange de la merde non merci --' »
· « bien sûr qu'on sait que la France est appelée à disparaitre, sauf si un gouvernement qui a des couilels prend les choses en main et gère. Pour le reste, je ne vois qu'une guerre civile pour régler le problème, elle viendra, avant 2020, c'est écrit !! »
· « Suffit d'égorger les nouveau nées »
· « faut les égorger a la naissance ceux la !!! »
· « les steriliser n'est pas suffisant. une certaine personne a partir de 1934 les envoier dans des zones tres "mortelles" et ils ne vivaient pas tres longtemps... on devtait faire pareil. je suis Allemand d'origine mais je suis né en France je suis déçu de voir le plus beau pays du monde devenir une poubelle geante. il faut agir maintenant avant que l'ennemi ne nous expulse de cher nous. VIVE LA FRANCE !!! »
· « Il est déjà trop tard pour hollande la révolution est déjà en route avec les réseaux sociaux la preuve il a demande aux service de renseignement infiltrer les compte face book pour déterminer combiens et qui blogue sur le gouvernement , je sais pas a cette allure si la liberté d'excrétion en France va durer longtemps , il nous espionne , nous trace dans sa liste noire et après... Sa me fais penser à ces liste pendant la guerre ou armée allait chercher tous ces gens liste ! Démocratie tu vie tes dernières heures! »
· « Putain faut remettre les crématoires »
· « on a qu'a creer des milices armees et faire justice nous meme comme la S.A. de Rühm Ernst en Allemagne en 1932 »
· « Aucun doute déjà ils ne crèvent pas et en plus ils se reproduisent ils faut les stériliser en masse !!!»